Dès qu’un drame frappe notre société la réaction collective est immédiate : on décrète une minute de silence histoire de se laver collectivement les consciences. Une séquence qui ne dure que rarement 60 secondes lorsqu’elle ne suscite pas de cris irrespectueux ou débiles. Pour l’assassinat du professeur de lettres Dominique Bernard l’Éducation nationale a prévu un moment de recueillement de ce type aujourd’hui à 14 heures. L’Association des maires de France appelle aussi les élus qui le souhaitent à « organiser » la même action de recueillement en invitant « la population à y participer ».
Les initiatives de ce type se multiplieront et demain on oubliera l’essentiel : les enfants des écoles, les collégiens, les lycéens, publics captifs auront-ils les éléments nécessaires pour comprendre les raisons de ces rassemblements ponctués par ce laps de temps où il faudra faire silence. Les consommateurs médiatiques que sont devenus les ex-citoyens trouveront-ils la motivation pour participer à un rendez-vous durant leur temps de travail, leur période de retour vers chez eux d’où il est extrêmement difficile de sortir? Ils pratiquent souvent de leur propre chef le silence face à la réalité du monde. Elle s’assimile même parfois à l’indifférence pour bon nombre d’entre eux.
Le « silence» dont il est question se comprend dans son sens premier, : c’est l’état d’une personne qui s’abstient de parler. Une manière d’éviter les expressions divergentes et qui vise à simuler l’unanimité d’une position sur un fait en général douloureux. Il est le plus souvent complété par une suspension de l’activité : on s’immobilise debout, dans une attitude recueillie. La conjonction des deux symbolise aussi la solidarité avec les morts, qui ne peuvent ni bouger, ni parler. On se fige hors du temps. Il ne saurait y avoir de minute consacrée à un hommage sans explication, sans éducation, sans prise de position. Trop facile.
Peut-on vraiment ne pas inclure dans le silence toutes les victimes innocentes des multiples conflits qui existent sur la planète ? Comment ne pas évoquer les assassinats du Hamas ou les ravages causés par les bombardements (pour le moment) de l’armée israélienne ? Comment éviter de se recueillir sur les exactions de l’Azerbaïdjan sur le territoire du Haut Karabagh ? Comment ignorer les récentes victimes du marché dans le village ukrainien de Kostiantynivka ? Comment ne pas associer ces enfants, ces femmes noyés en cherchant un chemin vers la fraternité ? Doit-on se contenter du silence face à ces actes et bien d’autres d’inhumanité intégrale ? Chacune et chacun doit avec ses moyens les dénoncer haut et fort, les combattre avec la plus féroce volonté, s’engager avec la plus grande énergie. Ne laisson pas le combat à celles et ceux qui ne voient qu’une part de la devise républicaine.
La colère envahira les esprits. La haine montera d’un cran. La croyance dans un salut passant par les extrémismes gagnera du terrain. C’est une constante après chaque moment de détresse. L’oubli viendra très vite. Un événement remplacera celui qui met en cause notre capacité collective à détruire la montée de l’intolérance religieuse. Nous laissons prospérer la radicalité car dans le fond elle inspire la crainte et nous n’avons comme réponse que la force. La bataille est virtuelle pour beaucoup puisque les préoccupations dans cette période de crise se situent ailleurs dans le quotidien.
Nous avons perdu l’usage des mots fondamentaux. Nous avons perdu l’envie de convaincre. Nous avons perdu le besoin d’éduquer. La facilité nous conduit souvent à admettre sans réagir et à faire silence. Toute sa vie Dominique Bernard d’après ce que l’on en sait a été actif, engagé, valeureux, soucieux de transmettre. Il a croisé la route d’un fanatique muni d’un couteau pour son plus grand malheur. N’oublions pas les blessés qui luttent toujours en réanimation : Jacques Davoli, le responsable des équipes d’entretien et le professeur de sport, David Verhaeghe, lui aussi blessé à la gorge et au visage. Tous deux gisent sur un lit d’hôpital pour effacer les séquelles de cette violence aveugle. Impossible de les occulter.
Une minute de silence. Une prise de conscience. Un cri profond de révolte. Une solidarité sans faille face à l’obscurantisme. Un soutien sans faille à ceux qui ont en charge la lutte contre tous ses effets. Une volonté inébranlable de mettre la laïcité au cœur de vie collective. Une réelle dénonciation de tous les actes terroristes, de tous les crimes de guerre ou contre l’humanité. Ce serait donner une autre dimension à cet hommage.
Dominique Bernard est entré dans le monde du silence éternel. Il aimait Céline qui dans un « voyage au bout de la nuit » rappelle que « c’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours ! » Je crains qu’il ait raison.
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Pareil sujet me laisse sans voix et, comme le commandant Cousteau, né comme moi à Saint-André-de-Cubzac, je préfère me réfugier dans « le monde du silence ».
Oh putain que oui!!!
Bonne journée quand même…
« Comment ignorer les récentes victimes du marché dans le village ukrainien de Kostiantynivka ? »
Et comment ignorer la quarantaine de syndicalistes brûlés ou défenestrés de leur immeuble en 2014 à Odessa, sans qu’apparemment la police se soit donnée la peine d’enquêter ?
Et dans le Donbass, les 14000 mille morts des suites du non respect des accords de Minsk ?
L’horreur n’a pas de nationalité ni de frontières.
On ne peut en déchirer l’un pour raccommoder l’autre.
Et la laïcité, cette valeur que l’on voudrait universelle, peut elle être comprise par tous comme une œuvre de paix et non de lutte pour imposer une non croyance, mais seulement, et c’est énorme, la tolérance et le respect de « l’autre ».
Jean-Marie,
Je vous remercie pour avoir mis des mots sur ce que je ressens… Un très beau texte sur ce que je pense aussi.
Bonjour J-M !
Certes, un beau papier en effet sur le rejet du fanatisme religieux …et autres auquel on ne peut que souscrire !
Quant à feue la citoyenneté et feue la fraternité, je crains que la relève ne soit frappée par les OGM et autres virus à la mode annihilant toute réémergence. Je sais que tu vas te vexer mais l’immigration « latine » était plus facile à insérer car ses seuls objectifs étaient travail et réussite sociale : Demande à Ézio ! !.
Mais l’heure tourne !
Si je suis citoyen français, j’ai aussi le costume de conjoint de collègue et de père d’un prof de collège. Aussi, je clos mon discours pour rejoindre mon école communale et la minute de silence … avant de hurler de douleurs face à la déchéance de mon pays : Merci les « on -a-ga-gné …on-a-ga-gné » ! !.
Amicalement
Bonjour,
une minute de silence pour la vie d’un homme ?? Mais alors combien d’années de silence pour les victimes de nos guerres actuelles ?? Des conflits les plus médiatisées au plus oubliées choisis pour occuper l’espace par nos com-MENT-ateurs merdiatiques. En fait seuls les conflits jugés importants par les maîtres du monde sont médiatisés. Il serait plus raisonnable de parler de propagande déversée à l’envie par les perroquets rémunérés indirectement par les victimes de leurs vérités arrangées.
Peu importe la guerre en cours, Carl von Clausewitz (1780 à 1831) a tenté de définir ce qui constitue celle-ci. Comme il le dit clairement dans son premier livre, la guerre est « la continuation de la politique par d’autres moyens ». Elle est donc une modalité de la politique menée par des États, des nations et des groupes. Clausewitz déclare que la guerre « est une violence en action » et dont « l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ». Quand les actions pacifiques ne mènent à rien, alors la guerre devient un moyen parmi d’autres.
L’auteur ne parle pas de gain dans le cadre de la fin de la guerre. Il parle de la soumission, de l’abdication et du retrait d’un des deux groupes dans le conflit guerrier. Il n’existe donc pas de gagnants à proprement parler. Il n’existe qu’un perdant, abandonnant sa souveraineté et sa capacité d’action au profit d’un autre.
En ce sens, si nous observons les guerres actuelles, nous devrions prendre conscience qu’il n’y aura pas de gagnants ni de vainqueurs. Quelques chefs d’État tenteront évidemment de maîtriser une certaine rhétorique victorieuse, mais le réel sera bien différent.
Nous serons tous perdants, à différents degrés. Pensons aux enfants, aux familles, aux civils, aux femmes, aux vieillards ; tant de vies sacrifiées sur l’autel de la volonté de domination et de la déraison.
Comment ne pas remarquer que sans le conflit Tchétchénie-Ingouchie de 1991 et les 2 guerres qui s’y sont déroulées (1994 et 1999 ) pas de réfugiés radicalisés de Tchétchénie-Ingouchie sur notre territoire et donc Messieurs Patty et Bernard seraient toujours présents !!!
Quand nous prendrons réellement conscience de cette absurdité guerrière et des conséquences affreuses, nous avancerons réellement vers une société et une civilisation plus pacifique. C’est là qu’apparaît notamment le rôle crucial de la diplomatie ( si méprisée et malmenée par Mac-ronds) .
Je terminerai par la phrase de Jean Jaurès : « On ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre. »
Alors oui faisons taire la propagande belliciste.
Imposons à nos perroquets merdiatique une information VRAIE ET SINCÈRE , ou si ils en sont incapables, qu’ils observent une minute de silence … Éternelle.
Nous pourrons ainsi avancer vers une civilisation pacifique.
bonne journée quand même
Message reçue de Mme Brigittte Monloubou :cHabitante de Pompignac, je me suis rendue au rdv citoyen devant la Mairie pour la minute de silence à 14h.
Sans votre aval, mais votre tribune libre est publique, après la lecture par Madame le Maire du communiqué de l’association des maires de France et la prise de photo devant la Mairie, à ma demande, avec l’autorisation de celle-ci qui vous a présenté et qui a rappelé votre engagement sur le creonnais, j’ai demandé à pouvoir lire un passage de votre tribune de ce matin.
J’ai lu les deux derniers paragraphes de celle-ci.
Il me semblait impossible d’assister à cet hommage sans pouvoir exprimer en tant que simple citoyenne ( et ancienne institutrice) mon émotion par vos mots que je trouve si justes.