J’ai décidé de le publier avant le 80° anniversaire de la Libération d’Auschwitz et après le salut du maître de X ce discours que j’avais écrit et prononcé lors du vernissage d’une exposition sur Mauthausen.
« C’est pour moi un honneur de vous accueillir en cette soirée dans les salons du conseil départemental de la Gironde. Sachez que j’en suis sincèrement fier car l’enfant de la République que je reste, l’instituteur que je fus, l’élu respectueux des valeurs républicaines que je suis encore, apprécient sincèrement ces moments de rappel de notre devoir de mémoire vis à vis de celles et ceux qui ont payé de leur vie, la cruauté insensée des porteurs d’une idéologie intolérante, déshumanisée, xénophobe et criminelle(…)
Aucune initiative personnelle, aucun acte officiel, aucune œuvre collective ayant pour but de remémorer les instant noirs de notre histoire commune n’est en effet inutile dans notre société de l’éphémère et de l’oubli catastrophique des chemins obscurs empruntés par l’humanité.
C’est donc avec une farouche volonté de participer au réveil des consciences que nous avons accepté de recevoir cette vision du pire camp (y en avait-il d’ailleurs un qui ne soit pas pire que les autres?) dans lequel selon une formule célèbre l’homme s’est comporté « en loup pour l’Homme ».
Laure Lataste, mon amie de plusieurs décennies, nous offre grâce à son inlassable action militante au service de la mémoire, sa motivation permanente en faveur de la défense de l’idéal républicain, l’opportunité de secouer par cette exposition poignante cette indifférence générale qui asphyxie les esprits et endort tel un gaz inodore, des consciences qui sont de moins en moins citoyennes.
Je tenais à l’assurer de mon affection et de mon estime pour son engagement et j’y associerai Pierre, son époux, fidèle parmi les fidèles aux combats démocratiques que nous avons eu à partager. Il devient en effet chaque jour plus urgent de rappeler que ce qui est parfois scandaleusement nié, négligemment oublié, éventuellement banalisé appartient à ce que l’on appelle l’Histoire mais constitue surtout les racines de notre présent.
Regardez bien ces panneaux, observez bien les silhouettes qui ont été fixées par des photographes insensibles, plongez votre regard dans les regards hagards des bagnards de Mauthausen, ne refusez pas la réalité terrifiante des corps épuisés, décharnés, mutilés, envisagez simplement devant chaque homme ou chaque femme, que vous auriez pu être à leur place par simple fidélité à vos valeurs, par simple appartenance à une religion, à une conviction, à une nation, à un peuple
Dites autour de vous que sur le terreau des idéologies malsaines prospèrent les fleurs du mal, la négation même de l’intelligence, l’abandon du respect des autres dans sa différence. Surtout ne pensez pas un seul instant que le chiendent du fascisme ne repousse jamais car il n’est jamais éradiqué des esprits avides de pouvoir… Souvenez vous que rien n’est jamais définitif et que la plus terrible faiblesse des hommes c’est de croire que le bonheur du vivre ensemble est durable, éternel, infini !
Le 8 août 1938, Himmler ordonna de transférer quelques centaines de prisonniers de Dachau vers la petite ville autrichienne de Mauthausen, tout près de Linz. Le but de ce transfert était de construire un nouveau camp afin de fournir une main-d’œuvre gratuite à la carrière de granit « Wiener Grabben » située à proximité immédiate. Jusqu’en 1939, le travail de ces prisonniers consista essentiellement à construire les baraques et les quartiers d’habitation pour leurs bourreaux SS. En tout et pour tout, le camp principal de Mauthausen était constitué de 32 baraques entourées d’une enceinte barbelée placée sous courant électrique à haute tension, de hauts murs et de plusieurs miradors. Suite au nombre extrêmement élevé de prisonniers entassés dans le camp principal, le commandant du bagne inhumain, ordonna à son tour d’agrandir l’enceinte du camp vers le nord et l’ouest. Cette partie fut appelée le « Camp russe ».
Les juifs hongrois et les prisonniers de guerre russes y furent placés et durent y survivre en plein air, sans aucune possibilité de s’abriter du froid et de la neige. L’atrocité n’avait pas de limites. Mauthausen était classé par l’administration SS camp de « catégorie 3 ». Cette catégorie de camp correspondait au régime le plus sévère et, pour les prisonniers qui y étaient envoyés, cela signifiait un « retour non désiré » et l’extermination par le travail.
Dans la carrière « Wiener Graben », les prisonniers étaient divisés en deux groupes; ceux qui devaient extraire le granit et ceux qui devaient porter les blocs hors de la carrière en montant les 186 marches du terrible escalier qui menait vers le haut du mur de pierre. Ces fameuses 186 marches symbolisent à elles seules la montée vers l’enfer des idées portées de manière barbare par des femmes et des hommes venus d’un peuple se pensant supérieur aux autres.
Le 5 mai 1945, des unités de la 11ème division blindée US libérèrent le camp de Mauthausen. Plus 15.000 corps jonchaient le camp et furent enterrés dans des fosses communes les jours suivants. Au cours des semaines qui suivirent, 3.000 autres prisonniers moururent des suites de la malnutrition, de maladie ou tout simplement d’épuisement. Au total près de 70 000 prisonniers moururent dans des conditions indescriptibles d’horreur et d’atrocités que l’ont n’ose même pas évoquer ! De 1939 à 1945 plus de 10.000 soldats SS ont servis en tant que gardes à Mauthausen et dans ses camps annexes. Les noms de 818 d’entre eux sont connus et quelques centaines ont été arrêtés par les troupes américaines. Lors du procès de Dachau le 7 mars 1946, 58 gardes furent condamnés à mort et 3 condamnés à la prison à vie. Tous plaidèrent non-coupables !
Il nous faut donc inlassablement rappeler que Mauthausen a été la résultante d’un vote installant au pouvoir les tenants de l’exclusion, de la haine, les assassins de la fraternité, de l’égalité et de la liberté d’être ! Cette exposition me rappelle un poème de Martin Niemöller
Quand ils sont venus chercher les communistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher,
Et il ne restait personne pour protester
Je souhaite que cette exposition permette à tous les visiteurs de penser que tout effort et notamment celui d’informer constitue un engagement concret pour protéger la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la solidarité ! J’emprunterai la conclusion de cette inauguration à Georges Séguy ex-secrétaire général de la CGT récemment disparu qui fut déporté à 17 ans à Mauthausen et qui put en revenir : «J’ai tout de suite pensé que dans la mesure où j’avais eu la chance inespérée de figurer parmi les rescapés, de revenir vivant de la déportation, ma vie en quelque sorte ne m’appartenait plus ; elle appartenait à la cause pour laquelle nous avions combattu et pour laquelle tant des nôtres étaient morts ». Ayons un instant le même sentiment en continuant à nous rassembler, à nous encourager, à nous battre pour la cause de la paix, de la dignité, de la tolérance en ces prochaines semaines décisives pour notre monde qui est oublieux de son histoire (…)
(Prononcé en décembre 2016)
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Merci Jean-Marie d’avoir republié ce discours tenu ii y a huit ans.
Il est tellement d’actualité!
Une initiative indispensable, vitale.
https://college-genevoix.fr/2022/03/22/le-convoi-des-927-explique-aux-3e/
http://vdujardin.com/blog/les-premiers-deportes-etaient-espagnols-hommage-a-angouleme/
http://resistancefrancaise.blogspot.com/2016/08/angouleme-monument-de-la-deportation-et.html
Les édiles angoumoisins ne se sont pas vantés de cette affaire, il a fallu attendre les années 1970 pour découvrir cette horreur soigneusement cachée. Un monument à côté de celui des déportés charentais rappelle cette sinistre affaire. « No les olvidemos ».
J’ai rencontré, à l’occasion d’une expo organisée par les Espagnols de Charente un des rares survivants de ce sinistre convoi ayant survécu à Mauthausen . Je ne puis dire combien fut grande mon émotion.
http://resistancefrancaise.blogspot.com/2016/08/angouleme-monument-de-la-deportation-et.html
J’ai oublié la consigne : un seul lien par message ; « mon message est en attente…
Je ne sais s’il va passer.
Merci beaucoup. J’ ecris en allemand parce que mon francais est pas tres bien et je veut pas travailler avec une artificial translation comme deepL:
Ich schätze ihr Engagement, ihre Haltung und ihre Arbeit. Diese Verbrechen an der Menschlichkeit dürfen niemals vergessen werden. Das kollektive Bewusstsein hierfür muss immer wach gehalten werden. Das Sie dies tun, ehrt Sie im ganz besonderen Maße. Es ist erschütternd, in wie vielen Ländern – wider jeden Wissens und Vernunft – Faschisten auch heute Zulauf haben. Die Demokraten Europas müssen zusammen stehen und sich mit allem was sie haben dagegen wehren. So etwas darf – egal unter welchem Namen (ob Religion, ein Land, ein Grund, …) nie nie nie wieder passieren. Ich danke Ihnen für Ihre grandiose Rede.
@ Frank traduction approximative de votre commentaire
« J’apprécie leur engagement, leur attitude et leur travail. Ces crimes contre l’humanité ne doivent jamais être oubliés. La conscience collective de cela doit toujours rester éveillée. Le fait que vous fassiez cela est un honneur particulier pour vous. Il est choquant de constater combien de pays – contrairement à toute connaissance et à toute raison – continuent de soutenir les fascistes aujourd’hui. Les démocrates européens doivent s’unir et lutter contre cela avec toutes les forces dont ils disposent. Une telle chose ne doit plus jamais, jamais, jamais se reproduire, peu importe sous quel nom (que ce soit une religion, un pays, une raison, …). Merci pour votre magnifique discours. »
Deux observations personnelles la première concerne ce passage » Une telle chose ne doit plus jamais, jamais, jamais se reproduire, peu importe sous quel nom … ». Malheureusement dans les années 1990 en Bosnie à Prijedor, dans le nord-ouest de la Bosnie, et plus particulièrement dans les camps de Omarska et Trnopolje, l’horreur des camps de détention installés par les forces serbes en Bosnie-Herzégovine, concrétisaient l’image de ce qu’était le « nettoyage ethnique ». Aujourd’hui, ironie de l’histoire, comment peut on qualifier Gaza? Où sont les « …. démocrates européens doivent s’unir et lutter contre cela avec toutes les forces dont ils disposent. » dont vous parlez.
Ma deuxième observation concerne le vocabulaire de notre histoire commune, camp de concentration, camp d’extermination, prison … Pour éclairer toutes ces dénominations et ce quelles recouvrent on peut lire ce texte qui explique les termes et les buts poursuivis.
https://shs.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-shoah-2003-1-page-45?lang=fr
Avec mes excuses pour l’approximative traduction et mon commentaire un peu » écorché vif », deux de mes grands oncles sont partis et jamais revenus suite à la grève des mineurs. J’ai cité Gaza (situation paradoxale) , j’aurais pu mentionner la Russie héritière des camps staliniens ou le Soudan actuellement.
Amicalement.
Voici la traduction : Je salue leur engagement, leur attitude et leur travail, ces crimes contre l’humanité ne doivent jamais être oubliés. La conscience collective de ce fait doit toujours être maintenue et vous en serez particulièrement honorés. Il est choquant de constater que dans tant de pays – contre toute attente et contre la raison – les fascistes sont toujours en vogue. Les démocrates européens doivent se serrer les coudes et s’opposer à tout ce qu’ils ont. Une telle chose ne doit jamais se reproduire – peu importe sous quel nom (religion, pays, raison…) Merci pour votre discours grandiose.
Comme tu as raison de republier ce discours dont je n’ai pas connu l’original!
Mais c’est quand même incroyable de constater qu’il faut encore et encore rabâcher inlassablement les mêmes choses.
Ces temps-ci je trouve d’ailleurs que ce qui se passe en Europe ressemble étrangement à Munich 1938… J’espère que je me trompe.
A part cela, je regrette de ne pouvoir comprendre ce que dit notre lecteur allemand!
Enfin, j’espère que Laure va bien car ça fait un moment que je n’ai pas lu sa prose.
Bonne journée quand même.
Bonjour Gilles
Je reprends exactement les termes de ce message.