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Feuilleton de Noël : Georges et le sapin (fin)

Il y eut quelques litiges pour le placement autour de la longue table occupée qu’à l’une de ses extrémités. Les filles réussirent à s’imposer et à occuper les deux places aux côtés de leur hôte. Laurette déposa devant les petits affamés le plat dans lequel la « pluie » jaune d’or couvrait le contenu principal. « Ce sont des œufs mimosa à l’italienne expliqua Georges. Je les ai toujours aimés ainsi. Je n’en fais plus du tout. Vous allez les goûter et me dire ce que vous en pensez. Qui en a déjà mangé ?

– Moi répondit Léa mais pas de cette façon.

– Alors tu vas pouvoir comparer. On doit tout goûter et ne jamais refuser à priori un plat ou un produit. Allez Léa sert les autres. Commence par deux moitiés et après on verra. » Délicatement la petite fille garnit les assiettes qui lui sont tendues. Aïcha et Julien attaquent prudemment leur part alors que Mahmoud engloutit en quatre bouchées la même portion. Georges regarde et sourit. Ses convives semblent apprécier. D’ailleurs les sollicitations pour un petit supplément se manifestèrent très vite.

« Savez-vous pourquoi j’appelle ça des œufs mimosa ? » demanda l’instit aussitôt culpabilisé par ce réflexe pédagogique pavlovien. Devait-il être déçu d’une non-réponse ? Toute réflexion faite il préféra cette situation car elle signifiait que le met proposé était plus apprécié que les questions sur son nom. Il n’insista pas, se contentant de constater que seulement quelques miettes jaunes y demeuraient. Le reste avait disparu. Laurette avait sauvé ses œufs mais lui n’avait même pas eu le temps de se servir. Peu importe. Il se leva pour récupérer la suite de ce repas qu’il craignait tant.

« Elles sont bizarres tes frites s’exclama Julien. Elles sont trop grosses. Tu aurais pu les découper autrement . Le reste de la troupe se pencha sur le plat et fut tout aussi étonnée. « Tu as gardé de la mayonnaise et tu as peut-être du ketchup ? ajouta Mahmoud

– Non. Je n’y ai pas pensé… Je n’en mange jamais avec les frites et d’ailleurs je ne mange plus de frites  avoua penaud Monsieur Georges.

C’est pas grave ! tempéra Laurette. C’est une autre manière de les faire. Vous verrez elles sont formidables. » Cette incitation tomba à plat et l’enthousiasme antérieur disparut. Il fallut insister pour que quelques patates jugées « molles » soient acceptées dans les assiettes. Les gourmets en herbe avaient déjà leurs habitudes et il serait difficile de les modifier. La stratégie de Georges en prenait un coup. Il lui restait la mousse au chocolat. Et là en revanche il retrouva dans les yeux de ses invités les lueurs de plaisir qu’il attendait.

La journée se teintait de nostalgie. Le vieil instit n’aimait pas du tout cette sensation de regret. Et pourtant la spontanéité de ces gamins lui rappelait bien des souvenirs. Ce moment de Noël avait justement effacé les silences imposés par l’absence de tout ce qui avait construit sa vie. Il n’était plus le maître. Il en prit conscience quand le quatuor quitta la table en le remerciant diversement de la bise au merci furtif ! Encore une fois le partage du repas avait gommé les éventuels rapports hiérarchiques ou les écarts de l’âge.

Il eut une idée. Avant de se remettre au travail il leur proposa d’écouter une vieux disque sur sa chaîne Hi-fi. Un disque ? Il dénicha dans une pile impressionnante de vinyles, un 33 tours avec Le secret de Maître Cornille raconté par Fernandel. La découverte intégrale. Même si la concentration ne fut pas intégrale, Aïcha, Julien, Léa et Mahmoud écoutèrent cette histoire sans images. Un moment de détente totalement inédit : écouter sans voir ! Dans le fond ils allaient de découverte en découverte et c’était là l’essentiel.

Les préparations pour le sapin étaient désormais consolidées. On y ajouta des fleurs en crépon et des guirlandes colorées dans le même matériau. Léa disposa de la neige ouatée sur les branches. Mahmoud accrocha les étoiles après voir percé une branche et installé un brin de laine trouvée dans un stock de pelotes oubliées. Julien et Aïcha placèrent les Pères Noël. Des pantins articulés grâce à la pose d’attaches parisiennes complétèrent le décor avec quelques boîtes de fromage en forme de cœur recouverte de gommettes transformées en boîtes précieuses. Leur hôte plucha avec son Opinel aiguisé trois oranges à blanc et réalisa des tortillons odorants avec la peau pour les suspendre à leur tour. Le sapin devint le leur. Chacun y avait mis une touche personnelle.  Ils le regardaient tous avec le bonheur du travail accompli. Georges n’était pas peu fier de ce moment. Il les remercia et leur annonça que des petits présents seraient certainement déposés pour eux dans la semaine au pied du Nordmann. Laurette leur dirait le jour où il faudrait qu’ils viennent le voir.

« Tu auras encore de la mousse au chocolat ? osa Mahmoud

– Je ne sais pas répondit Georges. Il se tourna vers la photo de Jeannette qu’il interrogea du regard. Il y en aurait.

– Tant pis ! On reviendra quand même te voir ! ajouta Léa. Mais change tes frites.

– Je ne sais pas non plus… Tu sais c’est dur pour moi de changer. Je vais m’entrainer. En tous cas vous ce fut une belle journée pour moi. J’ai rajeuni de 25 ans. C’est combien en siècle 25 ans ? Un quart, un demi ou un tiers ?

– Georges ! On va vous appeler le « Père Instit’ soit-il » si vous continuez souffla en riant de bon cœur Laurette.

Ah ! Non surtout pas ! Jeannette ne serait pas contente. Allez bon retour.« 

Les enfants vinrent tour à tour lui faire une bise. Un plaisir rentré pour Georges. « C’était bien lâcha Léa. Moi je reviendrai c’est sûr ! Comme je n’en ai plus tu vas devenir mon papi ! » La porte se referma. En passant dans le salon il crut que le sapin le regardait et il le vit sourire.

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Cette publication a un commentaire

  1. christian grené

    « A sa façon de nous appeler ses gosses/On voyait bien qu’elle nous aimait beaucoup… ». C’était chez Laurette. Tu t’souviens Jean-Marie? Même qu’elle faisait des oeufs mimosas. Faut dire que Jeff était encore là.
    Ciao bambino!

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