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Feuilleton de Noël : Georges et le sapin (5)

L’aide à domicile exécuta les demandes de Monsieur Georges. Elle installa au mieux le sapin pendant que l’instituteur de sa mère officiait avec sa troupe très concentrée et assise autour de la table du salon recouverte d’un plastique transparent destiné à protéger la nappe ancestrale à laquelle son épouse tenait comme à la prunelle de ses yeux. « J’ai acheté tout ce qu’il faut pour que vous construisiez vous-mêmes les décorations de mon sapin. Nous allons travailler en atelier. Vous savez ce qu’est un atelier ?

  • Oui dit Julien mon père en a un dans lequel il se fabrique des costumes ou des objets pour ses reconstitutions de jeux de rôles

  • Et alors ? Comment fait-il ?

  • Il découpe puis il assemble et après il peint ou il ajoute des décors

  • Merci. C’est exactement ça ! Nous allons regarder les modèles de ma femme et nous en fabriquerons ensemble plusieurs. Par exemple savez-vous fabriquer des étoiles avec un compas ?

  • Non. Maman les a achetées toutes prêtes… avoua Léa.

  • C’est simple je vais t’apprendre et Mahmoud les découpera, Aïcha et Julien les colorerons comme ils le veulent. Un compas c’est ça ! Il leur montra cet instrument bizarre dont ils ne soupçonnaient pas l’utilité. Tu le prends comme ça et ensuite tu traces des arcs de cercle. »

Sur un carton il en traça plusieurs sous le regard étonné des enfants qui peu à peu entrèrent dans son projet. Mahmoud fut très fier d’être préposé au découpage. Léa s’appliqua à reproduire la technique de Monsieur Georges et finit par donner naissance à une étoile. Le duo des décorateurs prit vite son rôle au sérieux. Les gommettes recueillaient leurs faveurs et les stylos feutres avec paillettes marchaient à plein régime. Lentement Monsieur Georges les avait conduits dans le monde de l’autonomie. Pour le moment les gamins ne se sentaient pas écoliers. C’était sa plus grande peur. L’instit avait disparu. Un vrai miracle de Noël auraient dit ses propres enfants tellement ils avaient souffert d’être sous la férule d’un maître d’école incapable de se débarrasser de sa blouse grise. Tous les ratés se transformaient en moments de partage détendus. Les coups de ciseaux malheureux de Mahmoud, les approximations du compas de Léa ou les débordements feutrés du duo Aïcha-Julien n’avaient aucune importance. Le bonheur s’installa dans la création.

« Allez avant de passer à table nous changeons et nous trous transformons en usine à Pères Noël. J’ai des rouleaux de carton. Vous savez d’où ils viennent ?

  • Oui moi je sais clama Julien. Du papier des toilettes.

  • Eh bien tu vas les peindre en rouge avec des points noirs devant pour faire des boutons. Tu dessines deux yeux, un nez et une bouche en haut du tube. Tu attaques ! Fais attention c’est de toi que dépend le résultat. Pour le bonnet Aïcha tu les fabriqueras avec ces demi-cercles que j’ai préparés. Toi Léa avec la ouate tu ajouteras la barbe et Mahmoud collera l’ensemble. Pour le moment chacun prépare sa part du travail. Nous verrons après. Je vous laisse pour préparer le déjeuner. »

Dans la cuisine il retrouva Laurette qui avait arrangé la table avec du houx qu’elle avait récupéré chez le fleuriste et des petites étoiles en pochette dont elle avait parsemé la nappe. Georges s’installa sur le plan de travail pour écaler la douzaine d’œufs durs qu’il avait fait bouillir durant neuf minutes et pas plus. Il les partagea en deux, ôta le jaune et les garnit de la mayonnaise qu’il avait préparée d’une main encore leste avant huit heures. Il disposa le tout sur un plateau et couvrit grâce à sa rappe moulinette habituellement destinée au fromage d’une pluie de graines obtenues avec les jaunes. Il lança la friteuse avec une pointe d’angoisse et mit les cuisses du poulet au four. Il n’avait plus éprouvé cette joie de cuisiner, même simplement, pour des invités.

Du salon il entendit quelques éclats de voix enfantines. Il se rendit aux nouvelles. Rien de bien grave. Mahmoud ne témoignait pas d’un soin particulier dans l’usage de la colle. Léa s’était mise à rouspéter. Georges engagea donc les rôles en notant que tout le monde prenait à cœur la réalisation. Il n’y avait que quatre bonhommes rouges à peu près convenables. Peu importe ! On rattraperait les autres. « Etes-vous satisfait de vous ? questionna-t-il

  • Pas trop car ils sont vraiment moins beaux qu’à la maison. Ceux de maman sont plus jolis avoua avec une pointe de regret Julien.

  • Moi je ne les trouve pas mal du tout ajouta Laurette venue à son tour effectuer un point de situation. Vous verrez le sapin sera content de les accueillir. Allez continuez je vais mettre les frites à cuire.

  • Des frites. Comme à MacDo ? s’exclama Mahmoud

  • Non comme celles de Monsieur Mac Georges » dit en riant Laurette qui disparut.

Le vieil instituteur mit la main à la pâte et réalisa lui-même quelques décorations qu’il confia Léa, la seule qui restait assidue autour de la table. Les trois autres donnaient de signes de fatigue et un manque de motivation évident.

« Dis Monsieur Georges. Elle marche ta télé ? demanda Julien

  • Oui. Pourquoi ?

  • Tu pourrais l’allumer car il ya des dessins animés !

  • Non je ne crois pas. Je ne m’en sers pas souvent et je ne sais plus si elle fonctionne bien !

  • On peut essayer. Je sais l’allumer. Tu ne regardes jamais la télé s’inquiéta Mahmoud

  • Très peu souvent.

  • T’es un peu bizarre Georges » lâcha le gamin.

Heureusement la voix de Laurette parvint de la cuisine : « A table ! A table ! » Georges confirma l’ordre et la bande des quatre fila vers les bonnes odeurs qui venaient jusque dans le salon. Encore des surprises ? (…)

(à suivre)

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Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    « un maître d’école incapable de se débarrasser de sa blouse grise. »
    Je ne devais pas être un très bon maître, car je me suis débarrassé de la mienne avec plaisir, comme de tout uniforme, d’ailleurs.
    Comme disait ce militaire en retraite et qui regrettait ses activités, parodiant un illustre inconnu, poète et auteur, Houdard de la Motte, :
    « L’ennui naquit un jour de l’uniforme ôté… « 

  2. christian grené

    Salut l’instit’
    Hier j’étais en compagnie de F J-F. Aujourd’hui avec J.J. Et j’apprends qu’il a existé un certain Houdard de la Motte. On se sent moins con quand on apprend en Roue Libre.

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