You are currently viewing Le poids des mots sur la mémoire

Le poids des mots sur la mémoire

Dans le langage politique il y a un certain nombre de déclarations utilisant des expressions qui font froid dans le dos au vieux citoyen que je suis devenu. Par exemple lorsqu’à propos des événements exceptionnellement dangereux de Nouvelle Calédonie certains membres du gouvernement ont expliqué que « L’État français » lançait des opérations de « maintien de l’ordre » sur un territoire rattaché à la République. Bien entendu il est logique et admissible que l’on déclenche aussi « l’état d’urgence » mais i semble que l’on n’ait pas tiré les leçons de l’Histoire. Le poids des mots a maintnant toute son importance dans la période actuelle. On a vite rectifié le tir en parlant « d’ordre républicain ».

Certes souvent par ignorance, les moins de soixante-dix ans ne comprendront pas les raisons qui me poussent à retourner vers divers souvenirs de mon enfance ou de mon adolescence. Qui a fait le rapprochement avec… l’Algérie en entendant les propos « officiels » actuels. Dès son début en 1954, les autorités françaises ont en effet refusé d’employer ce mot pour désigner les réalités du conflit qui se nouait sur l’autre rive de la Méditerranée, choisissant à la place « des mots censés démilitariser le conflit ».  La « guerre d’Algérie » n’a ainsi été désignée que par différentes périphrases et litotes : « les événements d’Algérie », « les opérations de police », « les actions de maintien de l’ordre », « les opérations en Afrique du Nord » ou plus tard « la pacification ». De même, les « nationalistes » algériens n’étaient pas nommés : ils étaient qualifiés de « suspects », « terroristes », « hors-la-loi » ou « rebelles ». Nous n’en sommes pas à ce niveau mais nous en prenons la direction.

On sait fort bien que le refus des gouvernements français successifs de parler de « guerre » trouve sa source dans le refus d’admettre la volonté d’émancipation de l’Algérie. Comme l’a parfaitement expliqué Benjamin Stora, écrivain spécialiste de cette période : « nommer la guerre, ce serait reconnaître une existence séparée de l’Algérie, ce serait admettre une « autre histoire ». Cela aurait également été même reconnaître l’existence d’une guerre civile. Pourtant, tout montre que le conflit en Algérie était bien une guerre, opposant deux forces armées et il faudra des décennies avant que ce soit admis. Il y a encore moyen d’éviter pareille dérive sur le Caillou. 

Le criminologue Alain Bauer a pourtant tiré la sonnette d’alarme sur Europe 1 et sur l’un des chaînes de télévision orientée sur laquelle il est souvent invité. Il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : « Si on n’avance pas intelligemment sur cette affaire, l’État prend un risque majeur, celui de créer une petite Algérie. Il est de l’intérêt général de l’État que le président de la République, décide de confier une mission de conciliation au niveau d’anciens Premiers ministres, sous l’égide de l’actuel Premier ministre, afin d’avancer intelligemment sur une solution qui ressemble, d’après ce que disent tous les locaux, à une sorte de souveraineté association telle que le général de Gaulle lui-même l’avait prévue ». Il est clair quand il rappelle que depuis les accords de Nouméa en 1998, le processus de décolonisation de l’archipel est irréversible et doit donc être mené à son terme.

La seule réponse qui est arrivée hier soir en provenance de l’Élysée c’est qu’après avoir lancé l’éventuel envoi de soldats français en Ukraine, le Président qui est de fait le Chef des Armées. Il a vite souligné « de nets progrès dans le rétablissement de l’ordre » lors d’un nouveau conseil de défense où il a été décidé de mobiliser « pour un temps » des personnels militaires pour « protéger les bâtiments publics » à la place des forces de sécurité intérieure, Nous sommes passé du « maintien de l’ordre » assuré par la Police, les CRS, la gendarmerie au déploiement de militaires ce qui risque de transformer des émeutes en « situations de guerre » à la merci d’une folie provoquée par des « intervenants » extérieurs au territoire. 

Nous sommes sur la ligne de crête avec un basculement possible dans un moment où les tirs à balles réelles semblent être possibles en Nouvelle Calédonie, territoire où 100 000 armes seraient disséminées dans la population. Après la Toussaint rouge  François Mitterrand, Ministre de l’Intérieur ne se contentait pas de condamner les assassinats commis. Il affirmait « la volonté du gouvernement de réprimer sévèrement l’insurrection tout en œuvrant à davantage d’égalité entre l’ensemble des habitants de l’Algérie ». La promesse de ces réformes à venir ne résistera ni aux oppositions conservatrices du lobby colonial ni à l’engrenage de la guerre. Pierre Mendès France et ses ministres seront mis en minorité à l’Assemblée Nationale le 5 février 1955 et quitteront le pouvoir.. Les prochains jours seront décisifs à cet égard. Le moindre faux-pas et tout risque de s’effondrer. Les gouvernements de la décennie « algérienne »… ont montré le mauvais exemple avec les conséquences que seule l’Histoire a retenues.

Ce champ est nécessaire.

En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Cet article a 4 commentaires

  1. J.J.

    ….-ce qui risque de transformer des émeutes en « situations de guerre » à la merci d’une folie provoquée par des « intervenants » extérieurs au territoire.-
    Je ne crois pas vraiment à l’influence décisive des « intervenants extérieurs », les Canaques ont assez de griefs à exprimer sans avoir besoin que l’on leur rappelle. Les promesses non respectées et le traitement qui leur est accordé depuis des décennies fournissent des raisons suffisantes.
     » -Qui a fait le rapprochement avec… l’Algérie en entendant les propos « officiels » actuels …? »-
    Moi, et certainement quelques vieux machins survivants de mon âge. Le plus grave c’est qu’à cette époque beaucoup d’entre nous y ont cru, et que les rares contestataires qui nous mettaient en garde contre cette interprétation étaient considérés comme des « soutiens aux terroristes »(air connu).
    À la lumière des faits et découvertes de l’histoire (par exemple Sétif 8 mai 1945, tragique évènement, soigneusement et sournoisement caché et occulté par la liesse de la « victoire »), nous avons enfin compris.
    Même si je désapprouve les actes de vandalisme actuels, je ne peux m’empêcher de penser que cette situation est la suite logique de « nos » décisions politiques envers l’avenir du peuple Canaque. Le désespoir, la peur et la colère sont de mauvaises conseillères.(accord de proximité)
    C’est devenu un lieu commun que de qualifier de terroristes les citoyens qui luttent pour la liberté de leur pays. Nous avons eu aussi des terroristes dans la France occupée, devenus des héros à la Libération.

    1. François

      Bonjour @J.J.!
      Je vous suis 100% ! Ce que je crains, c’est qu’une étude approfondie de la démographie ne mette en exergue la présence des distributeurs de coups de pied au Q et de cravaches qui nous ont fait perdre l’Algérie ! Comme comparaison pédagogique, je prendrai le plus brave et aimable des chiens qui, avec un tel traitement, un jour,…. vous mord ! ! !
      Amicalement.

  2. François

    Bonjour J-M !
    Au passage, je constate que toi aussi, tu côtoies les chaînes TV dites sulfureuses. Perso, j’apprécie la 16 le vendredi 19 h : c’est une autre Roue Libre mais tu as beaucoup de … boyaux de retard ! Malgré cet handicap, la semaine permet de se faire SA synthèse et là, tu te positionnes dans le « ventre mou » du peloton des poursuivants ! ! !
    Donc, tu cites M. Alain Bauer, personnage qui m’impressionne toujours ( professeur de criminologie : comme histoire-géo, SVT ou français-latin ? ? ). Citation pour citation, il a aussi dit que « Toucher aux accords de 1988, c’est donner un coup de pied dans un bidon de nitroglycérine » ….. et être surpris de se retrouver cul de jatte ! ! ! Quand un abruti-incompétent veut « réformer pour réformer » afin de marquer son passage, l’Histoire ne retiendra que les morts, les dégâts … et la perte d’un territoire ! !
    Aussi, J-M, le 9 prochain, fidèle à tes idées, n’oublie pas de voter Hayer : elle … et Il (! !) en ont bien besoin ! ! !!!!!!
    Amicalement

Laisser un commentaire