Dans mon enfance et mon adolescence j’ai eu maintes fois l’impression que les deux guerres mondiales n’avaient pas la même présence dans la mémoire du village. Autant de nombreux habitants portaient haut et fort la mémoire de celle de 14-18, autant la seconde que personne navait souhaitaité voir venir, était passée sous silence. Il a fallu par exemple quelques années avant que le nom des soldats morts entre 39 et 45 soient gravés sur le Monument. Un peu comme si leur combat avait été moins glorieux que celui de leurs aînés.
Toutes les familles ou presque ayant eu un proche tué dans les tranchées ou un poilu rentré blessé ou traumatisé d’un conflit épouvantable, le souvenir s’ancrait dans le quotidien. Une foule considérable se massait le 11 novembre lors de la commémoration de l’Armistice alors que je n’ai pas souvenir lointain de moments de recueillement similaire pour marquer la victoire sur le nazisme. Il est vrai que les anciens combattants de celle que l’on appelait la « Grande » Guerre étaient les personnalités les plus fortes de la commune. Ils étaient très nombreux au conseil municipal dont le Maire, avait été l’un des héros de Verdun.
Nul n’aurait songé à remettre en cause un seul instant la légitimité d’une période marquée par la mort de tous les hommes dans la force de l’âge assumant la vie économique du village. Les médailles pleuvaient. Le traumatisme étaient dans les esprits et les corps de ceux qui avaient réchappé au carnage. Quatre membres de ma propre famille avaient péri dont mon arrière grand-père maternel. Mes deux grands-pères avaient connu le front en France pour l’un à 18 ans, en Italie pour l’autre à 21 ans. Mon arrière-grand-mère était veuve de guerre. Le curé, l’instituteur, notre voisin avaient été blessés. Cette omniprésence d’une victoire glorieuse obtenue par le Peuple me frappait.
Rien de comparable avec la défaite de 39, l’occupation, l’État Français de Vichy et des années sombres. Le silence, la méfiance, le refus ostensible d’en évoquer les réalités locales, le peu de documents disponibles, la rareté des témoignages m’ont toujours intrigué. Même des décennies plus tard il est encore impossible de connaître exactement quel a été le comportement des adultes que je côtoyais alors. Rumeurs, demi-vérités, diffamation ou approximations constituaient les seuls propos qui filtraient à mi-voix entre adultes. Ma mère qui avait vêtu cette période dans la Mairie du village possédait des éléments clés qu’elle se refusait à donner.
Elle lâchait cependant des souvenirs comme l’arrivée en camion des premiers soldats allemands à Sadirac qui l’avait contrainte avec sa copine Raymonde, à se jeter par peur dans le fossé avec leur vélo; les directives sur le recensement des Juifs arrivant de la Préfecture sous la signature de Papon; le départ des époux Shuss avec leurs superbes deux petites filles sur la quai de la gare de Sadirac entre deux gendarmes lui arrachait des larmesà plus de 80 ans.
La tombée d’un obus de DCA lors d’un bombardement de la base sous marine presque en face de chez elle et à quelques mètres de la gare; les menaces d’un propriétaire d’origine auvergnate se prétendant cousin de Laval et qui l’avait menacée; les répétitions des hymnes américains et anglais après la Libération pour être chantés au Monument aux Morts; les colères de son instituteur ancien de 14-18 face aux bassesses de quelques habitants; les prisonniers ariégeois affectés chez les grands propriétaires pour l’entretien des bois; la peur lors des bals clandestins,; le trafic des tickets de rationnement et le marché noir : rien de bien glorieux à proposer à des enfants.
Jamais on aurait osé à la maison, chez mon grand-père maternel seulement prononcer le nom de Pétain qu’il considérait comme le « plus grand boucher de l’Histoire » et personne n’aurait un seul instant imaginé que « le traitre » puisse revenir un jour comme un enjeu dans la vie politique hexagonale. Il y avait eu bien des pétainistes convaincus mais ils n’osaient absolument pas revendiquer les bienfaits du Maréchal. Il appartint dès la Libération à une liste radical-socialiste issue de la non-collaboration qui chassa tous les soutiens au régime de Vichy après une campagne électorale musclée.
Personne ne songeait un instant à réécrire l’Histoire. Les vrais Résistants (il y en eut dans ce village) ne réclamèrent ni vengeance, ni honneurs, ni reconnaissance. Les rares archives disparurent (comme à Créon d’ailleurs) et le silence soit-disant destiné à favoriser « la réconciliation » s’installa. Ma mère vit revenir au premier plan les porteurs de l’uniforme des jeunesse pétainistes qui avaient probablement déchiré leurs belles photos. Tixier-Vignancour en 1965 obtint déjà une bonne vingtaine de voix et aux dernière présidentielles Marine Le Pen a glané une voix sur trois chez les votants. Ma mère en fut malade.
La photo du bandeau est celle d’une cérémonie du 11 novembre à Sadirac…. il y a 65 ans
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« A l’encontre du vieil Homère,
Moi aussi, mon instit’,
Celle que j’préfère,
C’est la guerre de 14-18. »
Emprunté et corrigé à un mec qu’avait une pipe et une paire de… moustaches.
@ à Christian
… et dont les initiales étaient G.B…
Je parlais – bien sûr – de la guerre des boutons. Celle des 14-18 ans.
Les trahisons commises pendant cette deuxième guerre mondiale ont été si traumatisantes pour la France, qu’au nom « de la réconciliation de son peuple », certains ont fait faire à son Histoire un grand saut dans le néant, aboutissant même à la négation historique. Je prendrai comme exemple : Bordeaux, 1940-1945, cinq années de plomb.
Bonjour,
nous vivons une uchronie* permanente. Pour comprendre les enjeux de la réécriture de l’histoire vous pouvez lire cet article détaillant la stratégie déployée par le maire de Béziers . https://librejugement.org/2021/09/29/la-reecriture-de-lhistoire/
Marc Dugain, écrivain et réalisateur exprime cette réécriture à sa manière:
« Une alliance objective s’est formée entre les nouvelles technologies qui dessinent notre avenir et des populistes comme Éric Zemmour qui nous bassinent avec un passé révolu. Zemmour comme Donald Trump prospèrent sur l’angoisse d’une partie de la population qui voit disparaître un passé qu’elle maîtrisait à peu près. Ils forment une dérivation, laissant croire à une reprise du pouvoir alors qu’ils sont prêts à l’abandonner tout aussi violemment aux intérêts privés que les ultralibéraux. Pour réaliser leur tour de passe-passe, ils détournent la colère de leurs électeurs vers des boucs émissaires tout en les berçant dans le fantasme d’un passé mythifié qui n’a pas vraiment existé et qui n’est d’aucune aide pour nos problèmes actuels. »
bonne journée
*Uchronie: Récit basé sur la réécriture de l’histoire et qui permet d’imaginer le monde si un évènement passé avait eu une autre issue.
Marc Dugain
Écrivain et réalisateur, auteur notamment de La Chambre des officiers (1999), La Malédiction d’Edgar (2005) et d’Avenue des Géants (2012). Son roman Une exécution ordinaire (2007), adapté au cinéma en 2010, s’inspire de la tragédie du Koursk. Il a également participé au livre collectif Hommage à Anna Politkovskaïa (2007). Son dernier roman, L’Emprise, vient de paraître chez Gallimard.
le lien vers son article:
https://le1hebdo.fr/journal/qui-veut-rcrire-l-histoire/372/article/un-vaste-cran-de-fume-4987.html
@ facon jf bonjour,
Merci pour l’info mais attention de ne pas sombrer dans le reflet.
@ ,+
Personnellement, tout comme Laure, compte tenu de l’âge, j’ai des souvenirs d’un fragment de la période évoquée (seconde guerre mondiale). Mes premiers mais peu nombreux souvenirs identifiés datent de 1943 ; en revanche 1944 et 1945 sont bien ancrés.
Mes deux grands-pères ont été tués, l’un en novembre 1914, l’autre en mai 1915. Tous deux en Artois. Mes parents furent « pupilles de la nation ». De cela, des conséquences des veuvages, nous parlions facilement.
En revanche, jusqu’à la mort de ma mère (1994), rien, ou très peu, de 39-45, n’a été vraiment évoqué sinon son rapport à moi, ma petite enfance, les privations, etc.
Mon père (décédé en 2007 à 96 ans) racontait facilement ses souvenirs de la ligne Maginot mais je suis incapable de bien situer les périodes (il a eu comme patron le colonel Juin : donc c’est avant la guerre ; il attendait « les Boches » et de temps à autre les artilleurs envoyaient ici ou là des obus… « pour voir » : donc c’est en 39-40).
Je pense qu’après guerre les opinions, la confusion par notre patronyme avec d’autres membres de la famille, les difficultés matérielles… ont fait qu’on a mis bien des choses sous l’oreiller et qu’il fallait vivre le présent (dans une France en reconstruction).
Mon père m’a parlé de ses ordres de mobilisation : le premier (auquel il a obtempéré) l’envoyant dans le nord-est comme adjudant-chef chasseur à pied ; le second arrivé 24 ou 48 heures plus tard adressé au sous-lieutenant (qu’il avait été comme chasseur alpin) pour affectation en Syrie. Et, regrettant d’avoir obéi (au premier), il se posait la question « quelle aurait été son attitude lors des affrontements entre les FFL et eux, les troupes loyalistes… Il m’écrivit un jour, à la fin des années 80 ou début 90 sa satisfaction d’avoir reçu sa carte et sa médaille de combattant et d’avoir adhéré aux AC de Ouistreham (où mes parents résidaient depuis 1975) dont le président était un ancien du Commando Kieffer (plusieurs vétérans bérets verts sont venus terminer leur vie là où ils avaient débarqué le 6 juin 44).
Parfois, dans les affaires de mon père (cahiers et carnets) je trouve des bribes d’écrits. On a parlé de mes oncles de la 1ère Armée (ex « Armée B » pour le débarquement de Provence, mais politiquement issue non des FFL mais des troupes de « l’Armée de l’Armistice » et des troupes coloniales d’abord pétainistes. J’ai vécu un an (49-50) chez l’un d’entre eux, en Allemagne occupée, chef d’escadron Rhin et Danube au 3ème Régt de Chasseurs d’Afrique (arme blindée).
Ce fut une période durant laquelle les Français furent divisés, que ce soit sciemment, que ce soit malgré eux (les familles, les voisins…), occupés par une armée souvent brutale ; durant laquelle la méfiance est devenue nécessaire dans les rapports sociaux. Et dans les sentiments de culpabilité qui perdurent, il y a l’attitude de la France vis-à-vis des Espagnols ayant fui le franquisme, vis-à-vis des juifs fuyant le nazisme et demandant asile… Et puis il y a l’attitude des autorités, mais aussi de nombre de citoyens antisémites, vis à vis des juifs, y compris anciens combattants de 14-18.
Alors, le 11 novembre évoque clairement une guerre, les morts, les blessés, les gazés, les familles meurtries, mais une victoire alliée claire et nette contre les armées d’un belligérant voisin. Le 8 mai, s’il commémore bien la capitulation du « 3ème Reich » hitlérien et la fin, du côté occidental, d’une longue guerre, il évoque une période difficile pleine de non-dits et de difficile rétablissement du régime républicain.
Ce à quoi j’ajoute que le 8 mai 1945 est aussi le point de départ de la future guerre d’Algérie : tant d’anciens combattants « indigènes » de la libération de la Corse, de celles de l’Italie et de la France auxquels on avait promis d’être enfin des citoyens français, de plein droit, ont retrouvé en fait le statut de seconde citoyenneté. À l’occasion de cérémonies et dépôts de gerbes, la révolte sanglante de Sétif, Guelma, Kherrata, réprimée de façon encore plus brutale par l’armée, radicalisera les leaders de mouvements autonomistes et/ou nationalistes. Neuf ans avant la « Toussaint rouge »…
Juste après la fin de la guerre, les commémorations du 8 mai étaient importantes, enthousiastes, tous alliés confondus, le drapeau ave la faucille et le marteau était présent car on n’avait pas encore oublié que sans la victoire de Stalingrad, les alliés n’auraient pas posé un pied en Normandie.
Puis il semble que les témoins ont voulu oublier, car contrairement à la guerre de 14/18, ils avaient vécu les événements de très près.
Et il y avait eu la débâcle et l’occupation dont personne n’était fier, le tout couronné par la guerre froide et l’occupation par l’armée US.
Quelles familles n’ont pas dans leurs anciens, des victimes de la grande guerre, veuves orphelins, invalides.
J’ai gardé des souvenirs très précis de l’occupation malgré mon jeune âge, je les ai notés, complétés avec des recherches sur cette période. Si ça vous intéresse, je peux vous les faire parvenir.
@ à J.J.
Oui et merci ! Mais comment faire ?
Laure @
Je réponds aux deux:
1 )…comment pouvaient-ils accepter, quand ils en ont 40, que « le sauveur de la France » devienne celui de la collaboration de 39-45 ! ?
Je pense que pour certains, l’esprit « ancien combattant » leur a fait accepter aveuglement ce que disait le « chef qui a toujours raison », et il y avait et la chambre Bleu Horizon (1919)très réactionnaire, ainsi que l’offensive cléricale. D’ailleurs le haut clergé de France se rallia aux projets antisémites de Vichy , à part quelques rares et courageuses exceptions.
2) Pour transmettre mon petit travail, peut être Jean Marie pourrait nous servir de boîte aux lettres ?
@ à mon ami Bruno
Merci cher Bruno, ces « sentiments de culpabilité qui perdurent » te font honneur !
Si je partage ta vision distincte des conséquences de ces deux guerres — 14-18 et 39-45 — je me l’explique ainsi : comment ces poilus de 14-18 qui avaient 20 ans pouvaient-ils accepter, quand ils en ont 40, que « le sauveur de la France » devienne celui de la collaboration de 39-45 ! ?
Quant à l’accueil et la suite… faits aux « indigènes », ils sont identiques à ceux que subirent les Espagnols antifranquistes. Et si « les harkis » sont aujourd’hui réhabilités, ce que j’approuve, les Espagnols eux attendent encore la réhabilitation de « l’amicale des anciens guérilleros espagnols » dissoute le 7 octobre 1950 par le gouvernement de Queuille.