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1944 : le quotidien d’un enfant sous les bombes (2)

Suite du récit en ces journées de 80° anniversaire du débarquement des souvenirs de Jean-Jacques Bonnin, enfant sous les bombes »… Hier à Saint Lô les autorités ont enfin parlé de ces victimes de la guerre totale venant du ciel.. Second épisode de 1944 au quotidien en Charentes. 

« La nuit, j’étais le premier dans la rue, ayant enfilé mon manteau, coiffé ma casquette et saisi mon petit sac à dos dans lequel, comme tous les réfugiés j’avais entassé quelques pauvres trésors. Aux voisins qui s’étonnaient de me voir déjà harnaché et prêt à partir, je disais paraît-il :  » Je tiens à ma peau !  » Je suis même quelques fois parti enveloppé dans un édredon : j’avais contracté la coqueluche, et ma toux déchirante m’attirait la compassion de mes compagnons d’infortune.

Je n’ai jamais vu tant de monde fréquenter notre quartier. Dans la cohue, on remarquait des voitures d’enfants ou des poussettes, transportant des bébés certes mais aussi des valises, des paquets. Certains emportaient leurs richesses sur une brouette. Parmi les réfugiés quelques hommes portaient une pelle ou une pioche sur l’épaule, au cas ou au retour il faudrait déblayer des décombres. Parfois, dans la foule on distinguait la coiffe et l’uniforme blanc d’une infirmière de la Croix Rouge ou bien des volontaires de la Défense Passive, reconnaissables à leur brassard, le masque à gaz en bandoulière, un casque noir accroché à la ceinture (ils étaient également munis d’une merveilleuse lampe électrique à lumière bleue ou rouge), tous prêts à intervenir en cas de désastre.

Lorsque les sirènes sonnaient la fin de l’alerte, tout le monde regagnait ses pénates. Sauvés pour une fois ! Les sirènes furent d’ailleurs, faute d’électricité, remplacées bientôt par les voitures et le « side car » des pompiers qui circulaient en actionnant leur  » deux tons ».

J’avais pris l’habitude, au retour de ces expéditions nocturnes de  » casser la croûte « , le grand air et la marche dans la nuit me donnant faim. Je m’étais même fait acheter un petit poêlon en terre dans lequel on me mettait tous les soirs quelques restes du souper  » en cas d’alerte « .

Le 15 juin 1944 nous n’avons pas eu le loisir d’aller bien loin : un essaim minuscule de forteresses volantes qui semblait immobile nous survolait à 20 000 pieds. Tout le monde a compris que c’était encore pour nous, et que ça n’allait pas tarder. J’étais resté seul debout dans la rue à contempler les avions. On me criait de me coucher. Soudain, de l’avion de tête s’est échappé un long jet de fumée blanche. Puis un bruit énorme, comme celui d’un train passant sur un pont métallique, enfin les explosions qui m’ont jeté à terre. Tout cela en quelques terribles et inoubliables secondes pendant lesquelles cependant je n’ai pas eu peur.

Une partie de la ville, principalement le quartier de la gare, était détruite, en particulier les bâtiments de la gare de l’État. Il y eut au moins 75 morts, 96 blessés, 13 cheminots allemands périrent également (chiffres sous toutes réserves et certainement plus élevés), de plus on comptait environ 5000 sinistrés, victimes dont les autorités allemandes et collaborationnistes tirèrent parti pour la propagande anti-alliés. C’est faire bon marché de la vie des nombreux équipages qui ne regagnèrent jamais leur aérodrome de départ, leur appareil étant victime d’une avarie, abattu par la chasse allemande ou la  » Flak « .

Quelques aviateurs, plus chanceux, ayant sauté en parachute furent parfois recueillis, soignés, cachés et évacués par la population civile qui à cette occasion prenait de grands risques. Les monuments élevés dans la campagne sur les lieux ou des appareils alliés s’écrasèrent et les cérémonies souvent émouvantes qui perpétuent le souvenir des aviateurs abattus et de leur sacrifice en témoignent encore.

Le 14 août 1944, un autre bombardement eut encore lieu. La ville fut entièrement recouverte par un énorme nuage de poussière et de fumée qui nous plongea dans l’obscurité. S’il y eu moins de victimes, car beaucoup d’habitants des zones exposées eurent le temps de fuir, les dégâts matériels furent tout aussi importants. L’imprécision des tirs était due à l’altitude très élevée à laquelle évoluaient les monstrueuses forteresses volantes qui n’avaient pas la maniabilité des chasseurs- bombardiers et qui craignaient davantage la  » Flak  » et la chasse allemande.

Mais les bombes larguées, dispersées sur une très grande surface (environ 120 ha !) furent d’une piètre efficacité : le trafic ferroviaire fut rétablie en moins de trois jours. Une équipe de résistants S S S (Section spéciale de Sabotage), des »terroristes » avait obtenu dans le tunnel de Livernan (Chavenat, vers Montmoreau, ligne Bordeaux Paris) un résultat analogue et sans dégâts collatéraux, avec quelques kilos d’explosif et beaucoup d’audace. »  Ces chasseurs bombardiers à empennage double (probablement des Ligthning, « l’avion de saint Exupéry ») je les ai vus à l’œuvre quelques temps avant la Libération (probablement le 4 juillet 1944). Ils descendaient en piqué, disparaissaient derrière les collines et reparaissaient après avoir mitraillé des trains allemands en gare de La Couronne. (à suivre)

Jean-Jacques Bonnin

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