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Sous les pavés se trouve la page de légende

Sur les pavés la rage. Lancés comme des bolides sur les chemins des betteraviers d’antan, les meilleurs cyclistes du monde méritent leur surnom de forçats tant il leur faut produire des efforts hors du commun pour arracher une parcelle de gloire entre Compiègne et Roubaix. Un trajet de 260 kilomètres avec 30 séquences de tape-cul sur les 162 derniers permettra une explication au plus haut niveau du vélo. S’aligner dans une telle course implique une farouche volonté pour affronter ces traquenards entretenus pour certains d’entre eux, uniquement pour piéger les voltigeurs des pelotons. Il faut en effet allier l’adresse des acrobates du vélo et la puissance des pédaleurs luttant contre la montre pour espérer triompher sur le vélodrome d’arrivée. Une indispensable dose de chance pour éviter chute ou crevaison s’ajoute à ce mélange rare permettant de survoler les portions chaotiques.

Rien n’est plus casse gueule qu’un pavé et ce n’est pas les CRS de mai 68 qui prétendront le contraire. Sur ce monument du cyclisme où pour entrer dans la légende des cycles il est inévitable selon la météo d’entrer dans la catégorie des gueules noires ou des avaleurs de poussière, la « guerre » éclate dans des tranchées. Celle d’Arenberg, avec sa ligne droite de 2,4 kilomètres pavée des bonnes intentions des ambitieux qui l’abordent en tête avant de se transformer selon les années en enfer pour les prétentieux. L’histoire de Germinal plane au-dessus de cette zone boisée dans laquelle s’entasse une foule vociférant, bigarrée, fanatisée qui hurle sa passion au passage de danseurs de gigue sur deux roues confrontés à ces moignons de pierre disjoints et traîtres disposés au hasard par des poseurs d’antan.

C’est en 1967, un an avant l’année la plus célèbre pour l’usage du pavé que le « Paris-Roubaix » a emprunté pour la première fois cette « trouée » qui avait été proposée par Jean Stablinski aux organisateurs. Lui qui avait été mineur dans le secteur avait l’habitude d’expliquer à celles et ceux qui s’étonnait de cette trouvaille : «  je suis le seul coureur au monde à être passé dessous et sur les pavés ». Une plaisanterie d’une autre époque, celle où les immigrés gagnaient leur inclusion à la force de leurs mollets.

Ce tronçon des chemins du Nord reste le plus exigeant de tous. La tradition veut que « si l’on n’y assure pas sa victoire on y consomme sa défaite ». D’ailleurs pour augmenter les risques pris par les meneurs de cette bande de dévoreurs habituels de macadam, les organisateurs labourent les bas-côtés et jalonnent le parcours de barrières les contraignant à bouffer du pavé casse-gueule.

En fait les traversées de ce lieu protégé par Les Monuments historiques est offert aux chèvres quelques jours avant le passage des stars du peloton. Elles ont en charge la disparition des folles herbes pour que rien n’altère la dignité de ce « canal » malaisé auquel on a donné cinq étoiles. Magnifiée par des retransmissions télévisées la traversée ressemble étrangement aux situations vécues par les marins contraints d’affronter les éléments déchaînés avant d’arriver à bon port. Les efforts répétés sur les secteurs similaires rend l’épreuve extrêmement pénible, ne lassant pas la place au moindre répit.

Compiègne-Roubaix reste la seule épreuve cycliste non aseptisée du programme mondial. Elle ramène les plus grands champions à la glorieuse incertitude du sport, celle qui se nourrit d’un brève inattention fatale de quelques fractions de seconde. Le passage d’Arenberg est devenu depuis 1968 le cimetière des rêves de tellement de vedettes que l’on ne sait plus où les enfouir. Sur les pavés il y a du sang (en 1998, Johan Museeuw avait évité d’un rien l’amputation après avoir été victime d’une fracture ouverte de la rotule) et des larmes cachées de déception car il est très difficile d’y tenir le haut du pavé chaque année.

Ce week-end je serai devant ma télé pour me pourlécher les babines du festin sportif que je préfère. Avec mes doutes. Avec ma naïveté. Avec mon enthousiasme. Une épopée renouvelée s’annonce avec ses drames potentiels ou ses exploits formidables. Sous les pavés il y aura la page. Celle qui proposera le visage d’un maillot arc-en-ciel noirci mais lumineux par son aura de champion hors du commun ou celle qui offrira l’entrée définitive dans la légende du petit-fils de celui qui n’a jamais pu ramener chez lui le bloc de grès noir posé sur un socle robuste. A moins que quelque part surgisse la bonne mine d’un second rôle ayant eu la permission de tenter sa chance. Peu importe. J’ai l’âme de Gavroche.

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Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    Plus attiré par l’archéologie que part le sport, ma première idée en voyant « l’image du jour » , c’est que l’on était là devant la perspective d’une belle voie romaine. Mais je n’étais pas loin, car il s’agit bel et bien d’un « monument historique ».
    Et la différence n’est pas très grande entre le mot SPORT et l’inscription portée fièrement sur l’enseigne des légionnaires romains, qui connurent bien avant nos cyclistes l’enfer des routes pavées : SPQR (Senatus Populusque romanus : le Sénat et le Peuple Romain).

  2. pontoizeau-puyo martine

    Quand elles n’ont pas été détruites, les routes romaines sont toujours praticables. Elles étaient bien pensées, droites, directes et bien construites.

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