Depuis pas mal de temps je me suis attaqué à la préparation de ce que j’appelle une « rencontre-mémoire » sur la Résistance au plan local. Une quête comme je les aime, faites de longue promenade dans les archives mais aussi dans des boîtes aux souvenirs souvent oubliées dans les maisons de personnes en ayant oublié l’intérêt. Lorsque j’ai débuté mon engagement d’instit dans la pédagogie Freinet aujourd’hui passée de mode j’ai participé lors des premières années de ma vie professionnelle à des stages dits « d’étude du milieu » Nous partions sur un lieu inconnu de chacun des participants pour chercher dans l’histoire, la botanique, la faune, la géographie, les sciences des sujets permettant aux enfants de construire au plus près de chez eux leur propre savoir par l’enquête, l’analyse, le placement dans des ensembles plus vastes de réalités locales. J’adorais ces séquences et elles ont inspiré mes pratiques pédagogiques par la suite.
Le constat est implacable : les enfants actuels connaissent mieux le monde lointain que celui qui les entoure. Ce mépris pour les atouts d’un environnement proche les conduit alors à envier ce qu’ils considèrent ailleurs comme digne d’intérêt. Travailler sur la période 1940-1945 alors que l’on la croit lointaine et inintéressante illustre ce nouveau principe d’éloignement des dures réalités de la « France d’en bas » durant ces années. Il y a eu, c’est certain des milliers de « villages » ou de quartiers de ville dont les comportements ont véritablement illustré la nature humaine. Plonger dans les témoignages, les récits, les clichés familiaux conduit à penser combien l’Occupation a été noire et exécrable.
Le premier constat c’est que même plus de quatre-vingts ans plus tard les blessures existent encore. Elles sont là derrière les mots ou sur les photos. Impossible de tout dire, de tout montrer. Les mythes historiques d’un peuple fier de ses valeurs républicaines ont la peau dure. Il faut avancer prudemment car souvent les faits découverts ne contribuent pas à la gloire d’une personne ou d’ une famille. La réserve ou l’autocensure s’imposent. Par exemple dans un texte écrit par un résistant authentique j’ai trouvé ce récit qui m’a ému et révolté.
« Début 1944 le boulanger n’avait plus de farine pour fournir du pain au village dans lequel j’habitais raconte Albert X. Je connaissais un minotier. J’allais le rencontrer après avoir récolté auprès des quelques agriculteurs des sacs de blé qu’ils avaient planqués depuis la moisson de 1943. J’étais heureux. Lorsque j’arrivais je fus étonné de ne point entendre la meule en action. Le propriétaire de mes amis me lâcha que le moteur électrique n’avait pas… résisté. Qu’à cela ne tienne, je savais où il y en avait un ! Je me rendis chez le châtelain qui en avait un pour remonter l’eau d’une réserve vers son château et sollicitait le prêt du moteur actionnant la pompe » poursuit Albert.
Après lui avoir expliqué que le village n’avait pas de pain il s’attira cette réponse : « Je n’ai que faire du pain pour les enfants, les femmes et les vieillards. J’ai des invités au château et je ne peux pas les priver de leur bain ! » Le résistant avoue avoir « regretté de ne pas être venu avec ma mitraillette ». Il avait été leader des jeunesse pétainistes ». Le maire lui-aussi proche de Vichy refusa de réquisitionner le fameux moteur. « Je suis allé le démonter de nuit et je l’ai amené chez le minotier qui en quelques heures a rempli les sacs de farine. » ajoute cet homme qui n’a jamais voulu être reconnu comme membre de la Résistance alors qu’il y a joué un rôle primordial! « La libération est arrivée et il n’a jamais réclamé son moteur ! Il a échappé à toutes les sanctions. »
Les noms des dénonciateurs ayant conduit des hommes devant les pelotons d’exécution à Souges ou ces gendarmes zélés transférant des gens qu’ils côtoyaient tous les jours vers les geôles terribles de la Gestapo, sont tabous. Les dossiers des fonctionnaires ayant provoqué le malheur, les larmes et la mort ont disparu des archives et des pans entiers de l’histoire locale n’existent plus. La honte existe encore. Elle a parfois été masquée par une inscription tardive sur les listes des membres d’un groupe de résistants de la dernière heure. Rien ne fut aussi moral que l’on veut bien le raconter. Dans l’histoire locale on croise aussi toutes ses femmes et ces hommes qui n’on pas touché une arme, qui n’ont fait aucun éclat, qui sont juste restés eux-mêmes, fidèles à leurs convictions, fidèles à l’humanisme, fidèles à la solidarité simple mais précieuse du quotidien.
En fait le constat est inquiétant : les victimes et les bourreaux, les héros et les lâches, les convaincus et les indifférents, les libérateurs et les opprimés, le sordide et le magnifique, l’horreur et la fraternité sont couverts par la poussière de l’oubli. Les remettre au soleil de l’Histoire comporte une part de risques. Parler du haut d’une chaire ou pérorer de manière globale des réalités de cette période me paraît plus facile. Se confronter à des parcours humains différents de ce que l’on croit en savoir, à des visages connus, à des actes avérés ou imaginaires c’est se mettre en question puisque on hésite entre la silence et la parole. L’exercice de proximité n’est pas facile du tout.
RENCONTRE MEMOIRE LE SAMEDI 3 MAI A 14 h salle de la Maison des Vins d’Entre-Deux-Mers à la Sauve (33)
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Tu prêches un converti Jean Marie, cette période de l’histoire je l’ai vécue dans mon enfance avec une intensité et avec un regard affûté qui étonnent parfois lorsque je conte des faits qui se sont déroulés ou dont j’ai été témoin, et qui m’ont profondément marqué. Ils ont influé aussi sans doute dans mon évolution « politique » et morale.
Lors d’une randonnée en Dordogne j’ai visité le Moulin de Lasveyras ,lieu de mémoire s’il en est, où 34 résistants furent « assassinés » après dénonciation.Le docteur Dutheil propriétaire des bâtiments qu’est-il devenu? Il quitta la France pour l’Amérique du sud au dire des habitants.
https://museedelaresistanceenligne.org/media9802-Moulin-de-la-Papeterie-commune-de-Beyssenac-massacre-dit-du-Pont-Lasveyras-16-fvrier-1944
Ce genre d’évènement a été assez courant en 1944 , quand les occupants aidés par d’odieux français se livraient à la chasse aux STO. J’ai connu personnellement quelques uns des protagonistes rescapés de cette attaque. Un de mes moniteurs Franca était le neveu de la sentinelle qui a donné l’alerte et a été abattu par les fridolins (ou les miliciens).
http://resistancefrancaise.blogspot.com/2011/10/laffaire-de-javerlac-24-juillet-1944.html
« En fait le constat est inquiétant : les victimes et les bourreaux, les héros et les lâches, les convaincus et les indifférents, les libérateurs et les opprimés, le sordide et le magnifique, l’horreur et la fraternité sont couverts par la poussière de l’oubli. »
Sur ce point Jean-Marie, je ne sui pas d’accord: malgré le temps qui passe, ils sont toujours là, sous nos yeux, hélas.
Et nous ne pouvons distinguer le vrai du faux, le bon du mauvais!
Que la nature humaine peut être vile; c’est à désespérer de tout…
Bonne journée quand même
Ma quête incessante du savoir, du comprendre a souvent porter mes pas vers cette période de l’histoire que je n’ai vu que dans le regard de mes grands parents. Longtemps j’ai ete en attente du comprendre cherchant dans les silences et les bribes des mots des maux où se trouvait la vérité des récits. Je me souviens encore du silence ému de grand père Henri se perdant dans les souvenirs de ses « sorties nocturnes de résistance » des émotions enfouie de grand père Eugene qui ne disait rien. Des larmes de grand-mère lorsque qu’elle parlait de la famille Kristeller deportée dans les camps de la mort, de l’exode de mamie Giséle qui a détruit son rêve de devenir institutrice … j’ai toujours eu cette peur d’oublier leurs souvenirs et de les perdre. J’ai eu l’immense chance sans savoir les histoires de les rendre vivantes malgré tout. Il n’est jamais facile de chercher les vérités mais de les chercher et de les passer au tamis des doutes est déjà un chemin.