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Le coeur de la Bretagne s’essouffle

Les parenthèses dans le train-train quotidien ont l’avantage de mettre en évidence combien il est confortable de ne pas se poser de questions sur son emploi du temps. Il arrive que, sans s’en rendre compte, la routine devienne le meilleur moyen de se rassurer sur son avenir. Le bain de Bretagne « intérieure » a l’avantage de bien effacer les repères d’une vie certes toujours active mais marquée par le petit périmètre dans lequel elle s’exerce. Partager deux ou trois jours avec des personnes différentes, inconnues mais attachantes constitue le meilleur moyen de briser le pire des danger, celui des habitudes. Une plongée dans un monde qui tente de conserver ses racines et de sauver ce qui pourrait constituer son avenir permet de vérifier que nous avons oublié le monde du silence, de la simplicité, de l’authenticité.

Quasiment équidistant de Guingamp et Quimperlé, les vastes espaces naturels qui occupent le cœur de la Bretagne, regorgent d’or. Il est partout le long des routes, à la lisière des forêts, entre les prés verts où paissent encore des vaches ne connaissant pas les voies ferrées, les cabochons plantureux ou maigrichons des genêts annoncent l’appétit des Bretons pour le soleil. Ces bouffées exubérantes qui commencent sous les bourrasques récurrentes à oublier leur splendeur initiale symbolisent une nature attaquée de toutes parts. De vastes espaces fraîchement labourés attendent en effet un ensemencement retardé par les pluies d’une année pourrie. La sensation que toute la diversité agricole a disparu vient immédiatement à l’esprit.

En fait l’activité humaine se concentre désormais dans des villages aux clochers massifs, moussus, rongés par les intempéries, privés des flèches altières. Elle s’étiole alors que ces phares de la ruralité subsistent. La Bretagne souffre de l’intérieur. Elle se désole de constater que, comme dans d’autres territoires de caractère les cafés, les commerces de proximité, les activités artisanales n’existent plus. Les vieilles bâtisses trapues ont parfois repris des airs guillerets grâce à des gens venus de la ville. D’autres moins coquettes dominées par des silos agressifs tentent de dissimuler les élevages qu’elles hébergent. On « sent » bien que les deux mondes ne se rencontrent guère mais ils partagent néanmoins l’essentiel : un style de vie.

D’ailleurs quelques banderoles rappellent qu’ici un rendez-vous avec des cochons grillés se profile, là c’est un fest-noz qui attend les amateurs de retrouvailles traditionnelles afin de maintenir un lien social qui ne subsiste que par à-coups. On ne parle que de la querelle opposant le Maire de Carhaix et le Président du festival des Vieilles Charrues. Attention personne ne souhaite trop s’exprimer sur ce différend qui inquiète. L’édition 2024 pourrait même être la dernière, selon les organisateurs, qui pointent les récentes décisions de la municipalité de Carhaix (Finistère) et de Poher communauté concernant les terrains où se déroule chaque été le festival. Une annonce choc qui fait suite à de nombreux épisodes de crise depuis 2019 entre le festival et Christian Troadec, maire régionaliste de la ville et président de Poher communauté… Mais aussi un des fondateurs du festival en 1992.

Perdre une manifestation au budget de plus de 23 millions produit par le milieu associatif… sans subventions s’ajouterait à des fermetures d’hôpitaux ou d’écoles que des panonceaux dénoncent comme d’autres régressions inadmissibles. En fait derrière toutes ces préoccupations se niche la survie d’un art de vivre et d’une solidarité qui jusque-là avait résisté à l’épreuve du temps. La coopération a disparu faute de combattants. La vie associative tente de survivre. Le cœur de la Bretagne a du mal à tenir le rythme. Au fil des ans il s’essoufle. 

À cheval sur plusieurs départements, la Bretagne « centrale » continue à voir ses bourgs se vider, ses commerces se fermer et ses agriculteurs s’inquiéter sur leur avenir. Elle est aussi un peu loin de tout. Loin des grandes villes et loin du littoral qui drainent de la richesse et des habitants. Loin des axes de communication. Loin des discours sur la réindustrialisation. Loin des théories parisiennes.  Il ne lui reste que sa nature envoûtante, ses secrets ancestraux, l’envie de partage des irréductibles qui entretiennent à leur manière les valeurs fondatrices du vivre ensemble. « Elles ne fédèrent plus comme avant » m’expliquait un observateur avisé. « Tout éclate sous la poussée répétée des crises et des abandons qui nous sont infligés. » Je l’ai ressenti. La résistance à l’individualisation s’effrite.

En trois jours j’ai pris conscience de l’intérêt de ne pas laisser mourir l’engagement citoyen local, de ne pas renoncer à envisager l’avenir autrement que par le recours à la manne étatique ; de ne pas abandonner la structuration d’une offre diversifiée de services et plus encore à consolider l’existant avant de penser à créer le « toujours plus » qui finit par dépasser les capacités locales.

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Cette publication a un commentaire

  1. facon jf

    Bonjour,
    je prends quelques minutes sur mon agenda saturé pour apporter mon grain de sel ( de Guérande) à votre billet.
    Entre la Bretagne de mes jeunes années (dans les années 50-60) et la Bretagne intérieure d’aujourd’hui le paysage a considérablement changé. Le paysage de bocage décrit par Victor Hugo dans 93 s’était maintenu presque en l’état jusqu’aux années de mon enfance. Puis dans le début des années 70 la destruction des haies et des talus s’est accélérée jusqu’à atteindre un pic pendant lequel chaque année, environ 23 500 kilomètres de haies disparaissent en France. 70 % ont été rayées de la carte depuis les remembrements des années 1950. La tendance n’est pas prête de s’inverser : « La disparition et la dégradation des haies sont des conséquences inéluctables de l’évolution de notre modèle agricole, explique le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), remis au ministère de l’Agriculture en avril 2023. L’intensification des productions, la régression de l’élevage à l’herbe, la baisse constante du nombre d’agriculteurs avec en corollaire l’augmentation de la taille des exploitations ont fait des haies une contrainte pour l’exploitant agricole. »
    Pourtant, le déclin de la haie revient à perdre une alliée précieuse face à l’effondrement de la biodiversité et aux conséquences du dérèglement climatique : inondations catastrophiques, sécheresses interminables, pollution de l’eau, canicules étouffantes, autant de catastrophes accentuées par l’arrachage des talus et des haies.
    La modification profonde du bocage en Bretagne de l’intérieur peut se constater en reprenant les cartes postales anciennes comparées à aujourd’hui. Des efforts en termes de plantations et de subventions sont indéniables (6500 haies plantées depuis 2008). Cependant nous assistons à une dégradation du bocage, le bocage, ce ne sont pas que des haies, mais aussi des talus sans arbres et des lisières de forêt. Et quand on tient compte de tous ces éléments, on note un recul de 4 % du bocage malgré les sommes engagées depuis le début des années 2000.Le problème, c’est que la plupart des chiffres raisonnent en linéaires, c’est-à-dire en longueur de haies. Ils ne tiennent pas compte de la qualité effective des haies : le bocage breton est en très mauvais état. 80 % des haies sont mal entretenues , et dépérissent. C’est même la principale cause de l’érosion du bocage. L’autre biais, de taille, est que la politique agricole commune (Pac) considère dans certains cas qu’on peut remplacer une haie existante par une jeune plantation : un exploitant peut donc arracher autant qu’il veut, tant qu’il compense en replantant le même équivalent linéaire un peu plus loin.
    « Un linéaire qui fonctionne bien, dense, avec des arbres anciens, on ne le compense pas avec une jeune haie avec des arbres de deux ans le long d’un bâtiment », explique Julie Le Pollès, technicienne bocage au syndicat de la baie de Douarnenez (Epab ; Finistère). Faute de suivi et d’entretien, de nombreuses haies issues de compensations périclitent : « Si ce n’est pas accompagné, on peut avoir un taux de reprise [survie des plants] de 20-30 %. Il n’y a pas d’attente qualitative, on n’est que sur du quantitatif, et c’est là qu’il y a un problème. »
    En Bretagne, nombre de fermes laitières cessent leur activité et partent à l’agrandissement des exploitations voisines, faute de jeunes repreneurs. « La filière est en train de se restructurer à une vitesse grand V, parce qu’elle est pilotée de plus en plus par les industries laitières, notamment les grands groupes comme Lactalis, ou les grandes coop’ comme Agrial, explique l’universitaire Thibaut Preux. Il est très probable que la restructuration de la filière ait des conséquences sur les paysages et notamment sur le maintien des particularités que sont les bocages, le maintien des prairies permanentes, et sur la qualité de l’eau. »
    La qualité de l’eau, le maintien des terres, la biodiversité, l’impact sur les températures locales, des fariboles à comparer des dividendes produits par l’industrialisation de la filière agro-alimentaire. Et tout cela va encore s’accélérer avec la croissance de l’agriculture du bio-gaz, un bien joli concept pour masquer les « nécro-carburants » qui vont ravager les campagnes.
    Aucun merdia ne fait actuellement le lien entre les torrents de boue qui ravagent les habitations ces derniers temps et la disparition des haies, des talus et fossés effacés par l’industrialisation des sols. C’est le progrès, dont un des aspects les plus marquants demeure ses conséquences néfastes.
    Les choses sont bien faites, puisque les inondations catastrophiques verront leurs indemnisations imputées aux assurances ( et donc aux assurés ! faut pas déconner non plus!) et pas aux véritables responsables et bénéficiaires de cette politique…
    L’agriculture intensive et la disparition des commerces et services de proximité transforme la Bretagne profonde mais pas que…
    Bonne journée

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