Une vie de cheval de courses manque de principes. Elle repose essentiellement sur l’envie de ses propriétaires de faire leurs courses avec lui. Certes leur noblesse tient à leurs ascendants et surtout aux titres que leur décerne la hiérarchie du trot mais elle est bousculé si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Considéré comme une valeur potentielle l’équidé bénéficie d’un mariage arrangé pour que son avenir soit conforme à la valeur du sang que ses parents lui transmettent. Il est même réputé « pur » si la lignée le permet. A l’arrivée seul le compte en banque du mentor compte.
Penchés sur un programme les turfistes de hippodromes cherchent justement à travers une lignée et ceux qui l’entretiennent, à réaliser eux-aussi leur rêve de gains substantiels. La généalogie échappe au commun des turfistes alors qu’elle est soigneusement étudiés par les éminents spécialistes. Les apparitions dans les « cours » provinciales ou nationales offrent également des repères que jaugent les gens désireux de s’appuyer sur des parcours plus ou moins glorieux. Un cheval et sa fiche signalétique portent les espoirs de milliers de parieurs.
Lorsque l’on porte les prénoms associés « Gino Dino » il est évident que les origines ne paraissent pas des plus glorieuses et elles font davantage penser à Dalida qu’à Paris Turf. Et pourtant Les patronymes des chevaux de courses ont quelque chose de surréaliste que seuls les décodeurs des us et coutumes du milieu hippique savent cerner. A huit ans il a déjà une belle carrière derrière lui mais aussi bien des espoirs devant lui. Son père « Doctor Dino » et sa mère « Taji », ont eu des résultats intéressants mais n’ont pas pour autant marqué l’histoire des courses de galop. « Dini Gino » a pourtant permis de nourrir les fantasmes de son éleveur, celui d’avoir mis au monde un « crack ». Il n’a été qu’une sorte de Poulidor du steeple-chase. Pas mauvais mais pas au top !
Ce cheval spécialiste du saut d’obstacles surnaturels sur un long parcours plat a en effet régulièrement participé aux arrivées mais il lui a manqué ce brin de réussite pour combler son propriétaire. Né dans un haras du département de l’Orne où la courbe démographique de la race équine se révèle plus rassurante que celle des humains qui s’en occupent, il n’a pas concrétisé les espoirs placés en lui. « C’est un superbe cheval capable de rivaliser avec les meilleurs sur les grandes courses de steeple explique à la table où les hasards du placement nous ont réunis avec son ex-propriétaire mais il est sujet aux coups de sang. Souvent il n’arrive pas à concrétiser sa supériorité dans les derniers mètres. Les médicaments existent mais les traitements ne sont pas admis par la réglementation pour les plus efficaces. Je suis certain qu’il est en mesure sans ce handicap de rivaliser avec les meilleurs. »
Certains chevaux sont prédisposés génétiquement à faire des coups de sang et doivent être soumis à un régime alimentaire, un travail et un hébergement adaptés. « Gino Dino » était de ceux-là, ce qui se traduisait par des crampes, des raideurs musculaires qui le privaient des lignes droites combatives conduisant aux arrivées victorieuses. « Je l’ai vendu. Il aurait valu 100 000 € vu sa classe mais là il a été cédé pour 3 000 ajoutait avec regret mon voisin de table. Je suis venu le voir courir car il n’a pas participé à la moindre épreuve depuis juillet 2023. C’est sa rentrée… » C’est le sort réservé à ces splendides animaux que sont les chevaux de course. Productifs ou vite déclassés avec une fin de vie incertaine.
« Dino Gino » a eu la chance de rencontrer René. Cet ancien kinésithérapeute sourd de naissance, passionné, doté de fines moustaches rustiques style Belle époque, a la réputation de savoir « parler à l’oreille des chevaux ». Il les aime. Il détecte en eux le potentiel que les autres ont perçu sans parvenir à l’exploiter. René depuis neuf mois travaille avec un entraîneur local à la résurrection de son acquisition passion. Il l’a soigné, dorloté, mis en confiance à sa manière pour le présenter sur la septième course de Rostrenen. Tout le village voisin de Corlay attendait ce jour. Le « Carpe Diem » ne parle que de cette rentrée. René sourit. Connu pour ses qualités professionnelles, ses qualités humaines, il a préparé « Dino Gino » dans le plus grand secret. Ses amis (et ils sont nombreux) ont accouru pour cette résurrection. Ils n’attendent que sa course.
Le pari est gonflé. Devant les guichets pas grand monde connaît l’histoire de ce cheval qui joue son avenir sur les 4,5 kilomètres d’un steeple-chase exigeant. « Dino Gino » fera corps avec Romain Julliot, un jockey qui n’a pas monté depuis le 6 janvier dernier et une lourde chute dans une épreuve du même style. Là aussi René, la kiné au grand cœur, a soigné le bras et l’épaule droite de celui en qui il a confiance. Le duo a soif de revanche. Serein dans le rond de présentation, le cheval attend son heure. Il entend probablement les paroles de René. Il est loin très loin du coup de sang.
Durant les 4500 mètres du parcours, Rima Julliot et sa monture ne quitteront pas les avants-postes et avec une force tranquille ils franchiront aisément tous les obstacles pour emporter la seconde victoire de sa longue carrière. Une nouvelle naissance… et un exploit qui sera fêté comme il se doit au Carpe Diem de Corlay. René jubile. René est aux anges. René virevolte d’une table à l’autre. René a une joie intérieure profonde et sincère. Il a le triomphe modeste. Je suis certain que c’est le cheval qui va murmurer à l’oreille du kiné : « merci » !
Légende du bandeau : de gauche à droite : serge Gouyette (entraîneur) le présentateur, Romain Julliot; René et le Président de la société des courses de Rostrenen : 100 % local !
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Bonjour Jean-Marie.
Est-ce que l’ineffable M. Ducrottin aura connu « Dino Gino »? Il savait tout sur le monde qui pique et même les méthodes au Gino.
Bonne journée à tou(te)s
Il manque Gino Dino sur la photo, le héros du jour.
Magnifique texte merci JM.
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