Les hasards d’une programmation télé et me voici plongé dans un bain de nostalgie toujours démoralisant car on fait semblant, les uns et les autres, de ne pas voir filer le temps. L’émotion naissant des faits les plus simples et donc les plus sincères, il est rafraîchissant de temps à autres de revenir sur ses pas, en ce monde où les apparences ne sont pas seulement trompeuses mais trop souvent mortifères.
Sur l’une des chaînes de cette TNT dont personne ne connaît la signification, « La guerre des boutons » fait rage. Impossible de ne pas se sentir emporté par le vent léger des souvenirs. Impossible de ne pas penser que mon petit-fils ne connaîtra pas les joies exceptionnelles de l’enfance libre, totalement libre et sans soucis. Devenus des esclaves d’étranges lucarnes ou d’une société castratrice de l’imaginaire, les « Petit Gibus » de notre époque ne comprendront jamais la jubilation triste qui peut envahir le cœur de ces « vieux pépés » pour qui le bonheur était dans les bois, les prés, les cours de ferme ou au fil de l’eau pure d’une rivière qui ne savait pas qu’un jour elle deviendrait labellisée « Natura 2000 »…
Il risque bien d’ignorer l’intense émotion que représentait la construction d’une cabane toujours réputée supérieure à celle qui l’avait précédée. Fumer une queue d’ail, une branche de sureau séchée ou une pseudo liane accrochée à un robinier. La vie sortait de partout sous le manteau gris de la misère, comme les perce-neige le faisaient dans les sous bois dont on connaissait tous les recoins. Elle n’était ni ostentatoire, ni épouvantable mais elle se nourrissait des réalités de chacun.
« La guerre des boutons » n’était que le reflet fidèle de ces villages où l’on était bizarrement sans pitié mais aussi bourré d’une tendresse inavouable. Les enfants y apprenaient l’autonomie par nécessité, l’injustice par obligation, la fraternité par conviction, la solidarité par atavisme. Ils se construisaient dans une école exigeante mais prometteuse pour celles et ceux qui s’accrochaient à ses valeurs. Oh ! Certes il n’y avait rien de reluisant, de bling-bling, d’exceptionnel dans tous les actes du quotidien, mais on en mesurait le prix par les efforts qu’il nécessitait. L’espoir pouvait avoir une durée interminable, mais diable que c’était bon quand il s’habillait du costume fait main de la réalité.
Combien Lebrac me rappelle de souvenirs ! Combien il faudrait de Lebrac en cette période où la virtualité des révoltes passe par les tuyaux d’Internet mais ne se traduit même plus par un bulletin dans une urne. En sortant de l’enchevêtrement des branches d’un chêne majestueux abattu par la hache des bûcherons impitoyables le « meneur » va finir dans la prison des fortes têtes. Tout un symbole que seuls les gamins qui ont été menacés de la « pension » réparatrice peuvent comprendre. Rien n’était pire que cette menace de déracinement qui éloignerait du village, des familles où pourtant les conditions matérielles étaient inférieures au lieu de relégation.
Et cette déclaration de politique générale du meneur des Longevernes reste un morceau de bravoure : » On est en république, on est tous égaux, tous camarades, tous frères : Liberté, Égalité, Fraternité ! on doit tous s’aider, hein, et faire en sorte que ça marche bien. Alors on va voter comme qui dirait l’impôt, oui, un impôt pour faire une bourse, une caisse, une cagnotte avec quoi on achètera notre trésor de guerre. Comme on est tous égaux, chacun paiera une cotisation égale et tous auront droit, en cas de malheur, à être recousus et « rarrangés » pour ne pas être « zonzenés » en rentrant chez eux. »
Perdre ses repères du chemin de l’école revenait à se retrouver tout nu dans un monde inconnu. Un nid de merle moqueur dans une haie ; un goujon frétillant dans le courant d’un ruisseau, des jonquilles pour les bouquets à revendre ; des rebuts divers à chaparder pour construire le « palais » des rêves de chercheurs de veaux d’or imaginaires ; des sons émanant d’une enclume robuste ; le meuglement d’une vache triste de ne pas voir davantage de train… et des femmes et des hommes imprégnant les souvenirs du futur : le puzzle des vies s’agençait à l’insu du plein gré des écoliers curieux. Rien de prétentieux dans le film culte d’Yves Robert. Inutile d’aller quérir d’autres significations que celles que porte une vie rurale décomplexée.
Nos arcs d’indiens en noisetier et nos flèches en roseau, nos épées en bois étaient bien moins dangereux que les centaines d’heures passées par un enfant à exterminer des ennemis virtuels. La violence des gnons ou les empoignades n’avait rien de virtuelle mais elle n’impactait pas autant les esprits que ces heures de jeux vidéo durant lesquels on tue, on extermine, on assassine inlassablement. Que de plaisir désuet de ramasser des mûres pour confectionner nos propres réserves, de chaparder des fruits ou d’allumer un feu pour rôtir des petits oiseaux victimes de pièges avec fourmi volante. Les repas confectionnés avec les apports des uns et des autres avaient des allures de festins inégalables. On y respirait la liberté, la fraternité.
Pour ma part, avec « L’école buissonnière » et « Cinéma Paradisio », je ne me lasserai jamais de voir et revoir l’emblématique « Guerre des boutons », car comme tous les anciens combattants qui l’ont faite, j’en mesure la véritable valeur. Les blessures n’y étaient que d’amour-propre, les morts ne l’étaient que de peur ou de honte, mais diable que les victoires sur soi-même étaient belles ! Et croyez moi je ne suis pas certain que la guerre des « moutons » soit plus excitante. Comme le dit la Crique à propos des grands : « Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux ! »
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Yves ROBERT était un » ajiste » de la région lyonnaise, il a fait du théâtre amateur avec mon père » le franca » La troupe se nommait » Vive la Vie » Tout un programme
Je n’ai jamais pu participer à ces aventures, n’étant pas autorisé à fréquenter les « garnements » du voisinage, ni même à sortir du minuscule jardin qui entourait la maison, mais que je m’y serais ennuyé si je n’avais imaginé un tas de choses pour m’occuper.
Mais je m’y suis ennuyé quand même parfois, et je mesure tout ce que j’ai perdu quand j’entends mes voisins rappeler leur enfance, le pommes chapardées, les virées dans le collines, les baignades au « Bain de sable » , à la confluence de deux ruisseaux (profondeur 50 à 80 centimètres, largeur maxi 4 mètres…) où l’on pêchait aussi parfois des écrevisses.
J’ai parfois assisté à ces baignades, dument réprouvées par le cerbère qui me surveillait.
J’évite le genre « c’était mieux avant » (parce que ce n’est pas vrai à bien des égards) mais je souscris totalement à ces souvenirs d’enfance qui sont aussi les miens. Et j’ai aussi connu « la pension » (l’internat) ce ne fut pas toujours rose, mais j’y ai appris une incroyable solidarité. J’espère que les jeunes générations, par d’autres chemins, c’est sûr, trouveront aussi ces valeurs qui nous ont fait grandir, et combattre, alors que ces gouvernements au service du capitalisme leur promettent sans cesse, hélas, que régressions et lendemains qui déchantent.
« La guerre des boutons » rappelle à ma mémoire… ce « P’tit Gibus ! »…
« Si j’avais su… j’aurais pas v’nu… ! »
Et pour ce qui est de « ma chute », ce sera, en gardant le masculin et les rires… :
» Dire que maintenant que nous sommes grands, nous sommes aussi couillons qu’eux ! «
Bonjour,
au-delà de mes souvenirs de jeunesse ou l’Authion ( affluent de la Loire ) a joué un rôle prépondérant, je voudrais éclairer la « guerre des boutons » sous sa forme originelle.
l’auteur Louis Pergaud est un écrivain français né le 22 janvier 1882 à Belmont (Doubs) et mort pour la France le 8 avril 1915. Cet ancien instituteur après 3 ans d’études acharnées à l’ école normale en sort, le 30 juillet 1901, troisième de sa promotion. Il est nommé enseignant à Durnes, son premier poste, pour la rentrée d’octobre 1901.En 1912, il écrit La Guerre des boutons, roman de ma douzième année : rivalités belliqueuses entre garçons de deux villages voisins à chaque rentrée scolaire. Le roman commence avec humour et innocence, mais devient de plus en plus sinistre au fur et à mesure que la frontière entre jeu et réalité est brouillée. C’est cet aspect du roman qui est occulté dans les films adaptés de l’ouvrage.
La Guerre des boutons traite aussi de thèmes sociopolitiques de la Troisième République française : le conflit entre l’Église et le mouvement anticlérical, l’esprit revanchard, l’instruction civique à la Jules Ferry, etc. Les villages que Pergaud appelle Longeverne et Velrans sont ceux de Landresse et Salans, et dans le personnage de La Crique on reconnaît l’auteur lui-même. Landresse ou Pergaud est muté en 1905, lors de la séparation des Églises et de l’État. L’arrivée au village d’un instituteur réputé socialiste et anticlérical suscite des protestations des populations locales ulcérées. Le refus de Pergaud d’assister à la messe et d’enseigner la doctrine catholique ont pour effet d’aggraver les tensions. A travers le roman Pergaud critique les rivalités entre villages si fréquentes dans le passé.
La phrase de conclusion « Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux », en référence à leurs parents qui viennent de les punir durement, restera dans la mémoire de nombre des lecteurs du livre.
Pergaud, grand antimilitariste, décédera au champ d’honneur en 1915 selon la version officielle. En fait il aurait été piégé dans les barbelés et blessé par balles, plusieurs heures plus tard. Des soldats allemands seraient venus à son secours et l’auraient emmené avec quelques-uns de ses camarades dans un hôpital provisoire à Fresnes-en-Woëvre. Celui-ci est détruit par un tir de barrage de l’armée française le 8 avril, Louis Pergaud et de nombreux compatriotes figurant au nombre des victimes, bien que leurs corps n’aient jamais été retrouvés.
Triste épilogue pour le prix Goncourt 1910, sauvé par les ennemis il est tué par son propre camp.
Bonne journée
Bonjour Facon jf,
Merci pour votre récit, aujourd’hui j’ai appris quelle triste fin pour cet auteur/instituteur mort pour la France. Il n’a surement pas imaginé qu’en 2023 on parlerait de lui et de son livre, ce qui permet de le conserver dans nos mémoires.