Je vous propose ce matin le discours prononcé il y a… onze ans pour la cérémonie de commémoration du 11 novembre. Dois-je y changer quelque chose!
« La guerre s’installe sur les écrans de nos télévisions et la mort vient s’y prélasser avec des images réputées authentiques. Les jeux vidéo permettent de tuer virtuellement des centaines de soldats sans que jamais celui qui tire ait l’impression de transgresser un principe moral. Les journaux diffusent en boucle des visages tuméfiés ou ensanglantés pour magnifier la victoire.
Notre société a oublié que, durant des décennies, après les affres de 1914-1918, des milliers de poitrines clamaient durant des crises pouvant conduire à un conflit armé : plus jamais ça ! Ces « pacifistes » d’un autre siècle avaient connu les réalités des combats dans le froid, la boue, la puanteur et l’effroi. Ils savaient ce que la violence engendre comme souffrance et comme haine.
Ils n’avaient, de retour dans leur village, aucune envie de raconter ce qu’ils avaient vu, entendu, senti et subi. Certains n’arrivèrent même jamais à se débarrasser de visions infernales qui les hantèrent toute leur vie. Leur guerre n’avait rien de virtuel, et la mort rôdait chaque jour dans les tranchées, sous les bombes ou face à une mitrailleuse impitoyable. Elle surgissait pour faucher en pleine jeunesse des hommes partis pour simplement faire ce qu’alors tout le monde considérait comme leur devoir.
Cette guerre 14-18 dont nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire de la fin, restera, dans l’histoire de notre pays, comme la première de la mondialisation d’un conflit. Elle mêla dans le fracas des armes, des hommes de toutes les religions, de toutes les origines sociales, d’ethnies différentes ou d’opinions diverses. Ils avaient en commun leur volonté de ne pas subir un sort défavorable, de se battre pour préserver leur avenir et celui de leurs proches, de défendre leur lopin de terre, leur atelier modeste ou industrialisé, leur bureau cossu ou médiocre, leur école ou leur maison. Il n’y eut aucune pitié, pour aucun d’entre eux, quel que soit le camp qu’il fréquentait.
Près de 10 millions de morts ou de disparus, près de 13 millions de blessés, des millions d’orphelins et des destructions massives, figurent au bilan de ces affrontements menés selon un principe de Paul Valéry voulant que « La guerre soit le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais qui ne se massacrent pas ! » Jamais peut-être, à notre époque, ce constat n’a été aussi valable, comme si nous n’avions jamais tiré les leçons de l’Histoire.
Sur la monument de Sadirac ma commune natale il y a le nom de mon arrière grand-père mort au combat le 24 décembre 1914, du frère de mon arrière grand-mère, de ceux du frère de mon grand-père et de son oncle. Quatre morts pour la France que je ne connais que par des vieilles photos ou par des souvenirs transmis par celles et ceux qui les ont connus. La grande guerre collait au village, aux robes noires des veuves, aux lettres dorées du Monument. Elle était partout dans mon enfance. Mes deux grands-pères y étaient partis. L’un à Verdun. L’autre en Italie dans les Abruzzes.
Cette commémoration d’un bref moment de joie pour celles et ceux qui voyaient la fin de leur cauchemar, et d’une longue période de tristesse pour celles et ceux qui voyaient débuter ou se poursuivre leur deuil, doit démontrer notre volonté collective de ne pas nous laisser tromper par les apparences.
Il n’y a pas et il n’y aura jamais de guerre juste, puisqu’elle est provoquée par des faits ou des décisions qui ne le sont pas. Rien ne justifie que l’Homme devienne un loup pour l’Homme.
Ne nous laissons pas abuser par des déclarations victorieuses, tentant de faire oublier encore une fois la disparition de femmes, d’enfants, d’hommes d’un camp ou d’un autre, innocentes victimes de guerriers lointains. La seule victoire qui vaille c’est celle qui permet d’éviter les affrontements, les crimes, les attentats, les atrocités.
La guerre 14-18 restera celle des gens simples mobilisés, ne sachant pas forcément les raisons qui les conduisaient au front. Cette réalité a transformé des paysans, des ouvriers, des employés, des fonctionnaires, des étudiants, des cadres en « chair à canon ». Ils n’ont réalisé ce qui les attendait que quand il était trop tard. L’indifférence constitue, à cet égard, le pire poison pour la démocratie.
Il nous faut, inlassablement, éduquer. Il nous faut inlassablement expliquer. Il nous faut inlassablement faire vivre les principes de la tolérance, du partage, de la solidarité. Il nous faut mener sans fléchir le seul combat qui vaille, celui pour que vive la paix.
En ce 11 novembre, en notre monde malade du profit, traversé par une guerre économique devenue fatale socialement à tellement de gens, nous avons le devoir de ne pas renoncer à exercer notre statut de citoyennes et des citoyens.
Ce matin, en nous recueillant devant cette trop longue liste de noms, nous avons démontré, comme le souhaitait Jaurés, premier mort de la guerre, assassiné par l’une des victimes de l’endoctrinement haineux, que nous sommes encore capables de « n’avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent et une confiance inébranlable dans l’avenir »
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, merci d’avoir eu le courage, en ce jour férié dont plus grand monde ne connaît le sens véritable, de consacrer une part de votre temps au souvenir d’une pierre blanche posée au bord du chemin sombre de notre histoire commune.
Merci de votre chaleureuse présence républicaine.
Merci tout simplement de considérer que tout hommage public responsable et solidaire a son utilité dans un monde des mémoires défaillantes.
Merci de votre attention. »
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
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Deux écoles: le discours de la méthode et la méthode du discours. René Descartes ou Jean-Marie Darmian?
@ à mon ami christian…
Je suis aussi épatée que la galerie…
Tu m’épates…
Il m’épate !
Bonjour J-M !
Malheureusement, ce texte est toujours d’actualité … comme le furent ceux des …onze décennies précédentes tout aussi déplorablement qu’aux futurs 11 Novembre même si les orateurs sont régulièrement renouvelés !
Ce n’est point à toi, « l’Instit » que l’on peut apprendre que l’Histoire est une roue aux crampons incassables qui viennent régulièrement mélanger au sol de nos pays le sang d’innocents patriotes qui auront droit à un sentencieux « Mort pour ….. » !
Le Monde a-t’il une mémoire ? Sincèrement, nous savons bien (au moins tous les deux!) que non. Ou alors ….
Malgré ces constations, faut-il continuer à commémorer l’espace d’un matin frais ? Oui bien sûr car » Vingt (cent, mille….)fois sur le métier, remettez votre ouvrage » (Boileau) ! !
Amicalement
@ à mon ami François…
Hélas, trois fois hélas ! Je partage ce début…
« Malheureusement ! »
@ à mon ami François…
Et, « parce qu’étant étranger, et un homme pourtant, » il faut attendre… 70 ans… pour obtenir cette reconnaissance « mort pour la France… »
Que faut-il en conclure ?
Bonsoir @Laure !
C’est tout aussi absurde et inconscient avec un zeste de non-reconnaissance même si sentencieuse (pour ne pas écrire »foutage de gueule »), près d’un siècle après les évènements, que d’avoir le toupet de décorer de la Légion d’Honneur, des poitrines de rescapés en pleurs, portant souvent des traces de cette guerre. Je voyais arriver l’instant de décoration … dans les cimetières !
Dans toutes les guerres, il n’y a pas d’étrangers, mais des hommes …et des femmes croyant défendre la Liberté.
Oui, continuons notre méditation …constructive sur le principe de Paul Valéry.
Respectueusement
@ à mon ami François…
Je vais te rassurer… : « ces rescapés en pleurs » sont très fiers d’avoir été » ENFIN… ! » ouf ! reconnus par la France.
@ à mon ami François…
Pour une meilleure compréhension de ce qui précède, je dois t’expliquer, mon ami François, que nous avons mis 70 ans… (j’ai bien dit 70 ans après sa mort -1944-2014-)… avant que Pablo Sánchez soit reconnu « Mort pour la France ». Je peux t’assurer que ce fut… Un sacré combat !
Je préfère la méthode du discours, sans aucun doute, même si j’ai l’impression que Jean-Marie prêche dans le désert.
Car, quand il dit « monde malade du profit, traversé par une guerre économique devenue fatale socialement à tellement de gens, » c’est encore plus vrai aujourd’hui, 11 ans après.
Et après 14-18 (alors que mon grand-père maternel a fait 14-19, après Verdun et les Dardanelles) il y a eu 39/45. Ce qui prouve que l’homme restera un loup pour l’homme …
@ à mon ami Gilles…
Moi aussi j’ai choisi de « jouer les Cassandre »… et je l’ai cher payé !
Mais si c’était à refaire, je le referais !
@ à mon ami Gilles…
Jean-Marie ne prêche pas dans le désert… Il « nous ouvre les yeux ! »
Avant de partir pour le monuments aux morts de la ville de Bordeaux, je vous laisse méditer à partir de ces quelques vers du grand pacifiste Georges qui ne risquait plus rien en faisant ce choix, et en espérant que celui-ci ne soit pas prémonitoire… :
Du fond de son sac à malices,
Mars va sans doute, à l’occasion,
En sortir une – un vrai délice! –
Qui me fera grosse impression…
En attendant, je persévère
A dir’ que ma guerr’ favorit’
Cell’, mon colon, que j’voudrais faire,
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit!
En contrepoint au texte de Jean Marie, qui hélas n’a pas pris une ride(le texte…), je vais commémorer cette date de la façon cynique, impertinente et effrontée mais qui me semble le mieux coller à la réalité, en écoutant cette chanson du Grand Georges qui savait si bien lui aussi « dire les choses ».
http://www.analysebrassens.com/?page=texte&id=77&analyser=0#ajout_0
Les commentaires commencent tôt ce matin ! C’est vrai que le 11 novembre on se lève tôt. Il y a bientôt soixante ans, on nous avait fait lever à 3 heures du marin pour être prêts, sur les Champs Élysées, à présenter les armes à mon général et sa suite. Vingt minutes au « présentez armes », ça fait long, mais comparé aux souffrances de nos anciens de 14/18…
Qui n’a pas un ancêtre dont le nom figure sur un monument, ou pire n’y figure pas car bêtement il a été emporté par la bien mal nommée « grippe espagnole ».
@ à mon mi J.J.
Sais-tu combien nous « avons payé » cette bien mal nommé « grippe espagnole » ? Le prix … très fort lourd !
« nommée »… c’est la faute à l’émotion… !
Merci Laure de rappeler à notre bon souvenir et de citer mon auteur préféré…même si je ne préfère aucune guerre!
Comme il disait aussi: Mourons pour des idées d’accord, mais de mort lente…
Bonne journée
@ à mon ami Gilles…
Ne penses-tu pas que nous sommes sur ses positions ? !
J’adore… et je crois, moi aussi, avoir choisi… de « mourir de mort lente ». On a tant de choses à dire et à écrire… !
Depuis 135 ans existe une langue internationale nommée espéranto. Cette langue a été créée uniquement pour favoriser l’amitié entre les peuples. Elle est parlée dans le monde entier. Le mot « espéranto » signifie « celui qui espère » en une humanité meilleure, plus fraternelle.
Bizarrement les gouvernants dans le monde ne veulent pas de cette langue, qui évolue sagement comme toutes les autres langues.
Enseigner l’espéranto en France et dans le monde (et notamment dans l’Europe des 27) serait une façon pratique et efficace d’ancrer la paix dans nos cerveaux. Sinon nous risquons à l’avenir de revivre ces atrocités.
@ à mon ami Jean-Claude…
T’es-tu interrogé sur cette réticence à l’Espéranto ?