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Le couteau révélateur d’un mode de vie

Quel est le garçon du siècle dernier qui n’a pas rêvé de posséder un couteau dans sa poche ? Les Opinel ont eu la côte mais dès que l’on avait les moyens d’investir il fallait acheter la gamme au-dessus pour à l’âge adulte, s’offrir un Laguiole, un Nontron ou une autre lame porteuse d’une tradition fore. Ceux de Thiers par exemple, ville qui est sinistrée dans le domaine de la coutellerie après en avoir vécu durant très longtemps. Durant des siècles le couteau fut un simple ustensile pour vivre le quotidien. Il symbolisait un mode de vie et surtout le choix que faisait son propriétaire. L’aiguisage de sa lame témoignait socialement du soin que lui portait son utilisateur.

Sur une meule à la pierre douce dont les enfants avaient le privilège de tourner la manivelle, la lame était méticuleusement affûtée pour permettre à celui qui la possédait de flamber discrètement devant les copains. L’attachement à son couteau était viscéral . Il était parfois le compagnon de toute une vie. Il était selon sa valeur dans l’héritage culturel. D’une grande simplicité de forme et de matière, il occupait une poche pour être sorti à tout moment comme une auxiliaire polyvalent emplissant de fierté son « maître ». Pour trancher la charcuterie, la viande ; pour tailler un bout de bois ; pour couper une ficelle, pour les petits travaux : il servait à tout et à rien. Compagnon de fête, auxiliaire dans les situations difficiles ou partenaire des missions délicates, le couteau jouait un tôle essentiel dans le quotidien. On le cajolait sur une bande de cuir ou on affinait son fil sur un fusil ou une longue pierre à aiguiser. 

Pour ma part, en passant devant les étals où l’on vendait ces symboles de l’accession au stade d’adolescent aspirant à une masculinité reconnue, je reluquais les manches rouges frappés d’une croix blanche. Le fameux couteau suisse avec ses multiples ajouts rendant de fait une lame discrète totalement annexe. Poinçon, tire-bouchon, râpe, décapsuleur, crochet, mini ciseaux… et bien d’autres accessoires lui donnaient son véritable attrait. C’était l’achat du boy-scout ou du petit bricoleur. En déployant ces «outils miniatures » je jubilais sans savoir que jamais je ne saurais les utiliser !

Les ados d’aujourd’hui ont une toute autre idée de cet «ami » qui ne voulait que du bien mais qui s’est désormais transformé en arme « blanche » pour actes criminels. Les études des sociologues démontrent que les hommes entre 15 et 15 ans constituent la population la plus impliquée dans les crimes liés aux couteaux, tant comme auteurs que comme victimes. Cette surreprésentation masculine s’explique notamment par des constructions sociales de la masculinité qui valorisent la prise de risque et l’affirmation de soi par la force. Les données analysées dans montrent un ratio d’environ 3 pour1 entre garçons et filles concernant le port d’armes blanches. L’âge moyen se situe généralement entre 14 et 17 ans, avec une diminution significative après 20 ans, confirmant le caractère transitoire de ce comportement pour la majorité des jeunes impliqués.

L’autre constat qui est bien entendu totalement ignoré par ces politiciens exploiteurs de la douleur des autres, c’est qu’environ 85 % des jeunes concernés déclarent porter une arme blanche pour… se protéger. Cette justification, souvent écartée comme une simple excuse, reflète pourtant une réalité vécue. Face à un sentiment d’insécurité et à l’absence perçue de protection institutionnelle efficace, le port d’arme devient une stratégie d’adaptation, aussi inadaptée soit-elle. La répression qui a été au cœur des commentaires n’a aucun effet sur ces phénomènes qui empirent de jour en jour. Les adultes achètent des bombes lacrymogènes, des revolvers, des carabines…

Selon les études que j’ai pu consulter, l’augmentation des peines et l’intensification des contrôles n’ont entraîné aucune diminution significative du phénomène à long terme. Les jeunes, particulièrement ceux vivant dans des environnements violents, tendent à percevoir les risques légaux comme distants et abstraits comparés aux dangers immédiats auxquels ils font face quotidiennement. Les échecs répétés, la montée de la violence intra-familiale ou dans l’environnement immédiat (trafics avec leurs « règles »), la précarité culturelle, la perte totale des repères conduisent à un phénomène beaucoup plus complexe que la simple « culture du couteau » souvent évoquée. La compréhension des mécanismes sociaux qui conduisent certains jeunes à porter des armes blanches constitue un préalable indispensable à l’élaboration de politiques efficaces. Le portique est un cautère sur une jambe de bois. 

Dès l’école maternelle actuellement des comportements violents sont détectés. Il n’est plus rare de voir des enfants taper leurs parents, insulter le personnel de service, se montrer racistes ou refuser les repères du vivre ensemble. Des enfants cloués de 3, 4 ou 5 ans cloués devant des vidéos sur les écrans des téléphones mobiles de la mère, j’en vois chaque jour. Ils absorbent la virtualité de la mort , des coups, des blessures, de l’irrespect. Ils absorbent sans la comprendre la haine de l’autre sous toutes es formes. Leur santé mentale est déjà atteinte.

Il s’agit d’en avoir conscience et de traiter la violence comme un problème « épidémiologique » grave et mondialisé nécessitant des interventions « en amont » sur les facteurs structurels plutôt que des mesures uniquement réactives. Le contraire de ce que la mort tragique de cette assistante d’éducation a provoqué en quelques heures. Nous sommes dans le déni d’une réalité profonde. 

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Cet article a 2 commentaires

  1. Philippe Labansat

    Perso, je fais déjà partie des ancêtres.
    À 9 ans, j’avais dans ma poche, attaché à une chaîne, un petit couteau d’éclaireur avec 2 petites lames un tire-bouchon et un ouvre-boite. Au bout de la même chaîne j’avais la clé du garage pour rentrer chez moi avec mon vélo.
    Depuis j’ai toujours une chaîne avec les clefs, mais je suis monté en gamme avec un Victorinox avec les mini-cisreaux.
    Combien de fous j’ai dépanné les uns et les autres, pour revisser, couper ka ficelle ou le saucisson et, bien sûr, déboucher la bouteille !
    Mon attirail fait tellement partie de moi que j’oublie de l’enlever avant de passer les portiques, comme une fois à l’Assemblée Nationale.
    Je me suis excusé en expliquant que, comme tous les vieux bouseux provinciaux de mon genre, j’avais toujours mon couteau suisse sur moi. Ça a eu l’air de les satisfaire…

  2. pontoizeau-puyo martine

    bonsoir à tous,
    c’est une tragédie pour toutes les familles qui ont perdu un ou une jeune par meurtre avec arme blanche.
    Pour M. le Président de la république c’est « UN FAIT DIVERS ».
    Pour le petit garçon qui a perdu sa maman hier, c’est quoi ?

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