Connaissez-vous le syndrome de l’instit’ ? Sûrement pas puisqu’il frappe de moins en moins dans une société où l’instituteur a vraiment disparu. Durant au moins deux Républiques ce syndrome a parfois bouleversé la vie de celles et ceux qui exerçaient dans les écoles élémentaires sur tout le territoire national. Certes tous n’en étaient pas atteints mais il existaient en chacun une pointe de cette nécessité de ne surtout pas prêter le flanc à la critique. Encore une fois Marcel Pagnol a parfaitement décrit dans « la Gloire de mon père » ce sentiment que leur métier ressemblait à une mission.
« (…) Le plus remarquable, c’est que ces anti-cléricaux avaient des âmes de missionnaires. Pour faire échec à « Monsieur le Curé » (dont la vertu était supposée feinte) , ils vivaient eux-mêmes comme des saints et leur morale était aussi inflexible que celle des premiers puritains. M. l’Inspecteur d’Académie était leur évêque, M. le Recteur leur archevêque, et leur pape, c’était M. le ministre : on ne lui écrit que sur un grand papier, avec des formules rituelles (…). » Le besoin d’exemplarité était tel que souvent il tournait à l’obsession maladive. Les esprits avaient été imprégnés de cette absolue nécessité de perfection morale lors du passage dans l’École normale.
Un ensemble de signes cliniques et de symptômes traduisait cette propension a devenir une référence dans des milieux sociaux qui avaient bien d’autres soucis que celui de l’éducation. Cette pression devenait parfois pesante puisque dans tous les engagements, il était indispensable d’être « aux taquets ». En classe, au secrétariat de la Mairie dans bien des cas en milieu rural, dans le périscolaire, dans la vie associative, dans l’action publique l’image donnée devait correspondre à ce que la mission exigeait. « Comme les prêtres, disait mon père, nous travaillons pour la vie future : mais nous c’est pour celle des autres ». Cette citation résume le fondement d’un métier qui exigeait un investissement maximum.
Les noms ne manquent pas pour illustrer cet état d’esprit. Ils m’ont accompagné sur les chemins de ma « carrière ». Nous avons quelque part dans nos souvenirs le souvenir de l’un ou l’une de ce enseignants servant de référence. Georges Vasseur, André Meynier, Aimé Lepvraud à Sadirac mais aussi les Boutin, Gourdon, Mmes Paris, Desmond à Créon, les Hourtic, Delobbe, Peynaud, Pometan, Perpère, Courbin, Camille… dans des registres différents et tant d’autres que j’ai croisés, ont marqué leur village et des générations. Tous étaient atteints de ce syndrome voulant qu’il faille être aussi irréprochable que possible. Un mal qui a parfois amputé leur existence de bien des moments personnels. Je les admire et leur sillon reste encore dans les mémoires.
Il me semble que le syndrome de l’instit’ me poursuit alors que je pensais qu’il s’effacerait avec l’âge. Il est en effet derrière moi, il me suit comme une ombre m’accompagnant nuit et jour sur les sentiers que j’ai choisis d’arpenter. Il colle à mes godasses comme ces chewing-gum dont on a tant de mal à se débarrasser sous sa semelle. Dans l’action quotidienne on ne se rend pas compte que cet œil de Caïn d’une morale simple reste omniprésent au-dessus de sa tête. Comment ne pas décevoir ? Comment ne pas trahir ce qui a été « transfusé » dans votre esprit ? Comment essayer de faire coller les actes et les valeurs ? Comment se dégager de cette gangue morale qui oblige à être toujours tourné vers les autres ? Comment vivre sans avoir une peur panique de décevoir?
Il ne s’agit pas bien évidemment d’une « maladie » mais plus exactement d’une altération de la liberté à être soi-même avec ses défauts et ses qualités personnelles sans être en permanence sous le regard critique des autres. La sensation de pouvoir être pris en flagrant délit de manquer aux valeurs que l’on a vécues puis transmises, constitue le symptôme principal du syndrome de l’instit’. Toujours sur ses gardes. Toujours en alerte. Toujours obsédé par l’idée d’être à contre-courant de ce que l’on a appris. Et même quand on croit y avoir échappé, les références reviennent en tête. J’ai souvent la trouille de ne pas correspondre à l’image d’instit’ que l’on doit avoir de moi.
Aller au bistrot représente par exemple une forme de libération de ces prêches entendus contre ces lieux où prospérait l’alcoolisme « fléau » à combattre. Un signe de faiblesse que je ne pouvais pas se permettre en « activité ». Rester sans travailler, à feignasser à al terrasse ou à la maison plonge parfois dans un profond désarroi car c’est bien connu la paresse est la mère de tous les vices. Manquer à un rendez-vous, ne pas répondre à une invitation, oublier un événement collectif constitue une entorse au sacro-saint principe du respect que l’on doit à celles et ceux qui vous font confiance. Convaincre plutôt que vaincre; expliquer, sans cesse vouloir expliquer plutôt qu’imposer, évoquer les dangers d’oublier le passé : autant de postures qui conduisent à devenir chiant. Mais c’est irrépressible! C’est un peu comme si toutes les leçons de morale avec la phrase de référence écrite en pleins et ne déliés sur le tableau noir me revenaient sans cesse en mémoire. Je viens d’un autre monde et je n’en sors pas !
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C’est bien ça ! Combien de fois on s’est f…tu de ma gueule pour avoir fait remarquer un manquement à une certaine éthique, à une entorse à un règlement, au code de la route, par exemple.
Tous n’étaient pas atteints, car un jour je me suis entendu répondre par un collègue, pourtant « bien vu » (maître d’application renommé, qualifié de « fin pédagogue », on a donné son nom à l’école de chef lieu de canton), alors que je lui disais qu’il fallait respecter une quelconque règle, que c’était une question de principe, il m’avait répondu : – « Les principes, on s’assoit dessus. »
Je ne me suis jamais pris pour un saint, des entorses aux règlements, hélas, j’en ai commis, toujours avec une certaine honte, mais cette réplique, quelque peu cynique, m’avait profondément choqué.
Complétement démodés, dans un monde pour nous devenu fou, on ne changera probablement pas !
@ à mon ami J.J.
… hélas, j’en ai commis,…
Pourquoi ce hélas de repentance?
Tiens, voilà que moi aussi je verse dans le religieux, trahissant l’éducation reçue qui m’en a toujours maintenu éloignée…
Parce que l’on voudrait être irréprochable et ne pas pratiquer une hypocrisie digne d’un ecclésiastique.
J’ai été élevé très « chrétiennement » mais même avant d’avoir découvert les turpitudes qui se cachent sous la soutane, je me suis échappé de ce carcan et ce ramassis de Tartuffes.
Je ne comprends pas d’ailleurs comment (malgré mes efforts) des gens certainement plus intelligents et compétents que moi dans des tas des domaines affichent une naïveté déconcertante quand il s’agit de croyances particulièrement irrationnelles.
@ à mon ami J.J.
J’ai suivi le même parcours à l’envers… tout en gardant mes convictions de non croyance.
J’ai ainsi pu mesurer ce qu »était… la Tolérance ».
Si tu le veux, cher Jean-Marie, je raconterai comment j’ai vécu ma plus tendre enfance entre une mère institutrice et un père instituteur dans un un bled (sans bistrot) de 345 habitants au milieu d’une fratrie de 8 frères et soeurs…
@ à mon ami Christian
La morale de ton histoire: Que faire quand on n’a rien d’autre à faire… ?
Se passionner pour… la lecture, l’écriture, la musique, la danse, la peinture…
Tes parents ont choisi la gymnastique à 2 !
Bonjour M. GRENE
quand vous dites « dans une fratrie de 8 frères et sœurs » comment votre mère institutrice s’en sortait entre travail et enfants ?
Bonjour Martine.
Quand un des huit enfants se risquait à poser cette question, il était systématiquement renvoyé à ses chères études. Et il s’en tirait plutôt bien.
J’ai toujours entendu parler du sacerdoce des « instits », et cette expression n’avait rien de péjoratif !
Mais dans ce Roue Libre du jour, je relève ceci : » Convaincre plutôt que vaincre… » Cette devise qui nous est commune m’a joué bien des tours, et pas toujours des bons ! Mais tout cela est du passé… n’en parlons plus.
Bonjour @Laure !
« …cela est du passé … n’en parlons plus. »
Mieux vaut en parler car l’expérience acquise par les seniors ne peut être que bénéfique aux quelques jeunes regards (même rares et gauguenards ! !) qui viennent traîner sur « Roue Libre » prouvant ainsi que le syndrome de l’instit peut encore semer du bon grain.
Si la liberté est de plus en plus entravée, le rêve ne nous est point encore interdit, n’est-ce pas ?
Respectueusement.
« …gOguenards » pardon…la sieste approche ! ! ! !
Il est toujours réconfortant de corriger ses erreurs…
J’approuve.
à mon ami François
Je partage sans réserve cette analyse : »l’expérience acquise par les seniors ne peut être que bénéfique aux quelques jeunes regards… » C’est pourquoi j’écris sur » l’histoire inconnue de la France notamment à Bordeaux de 1939 à 1944″…
Bonjour J-M!
La sieste terminée ( une sieste paysanne, c’est cinq minutes sur le timon de la charrette …et oui … le syndrome paysan !!), je reviens vers ce clavier de nos liaisons amicales car, en lisant mon bréviaire matinal, j’ai constaté que le mal qui semble te frapper est commun à tous ceux qui ont pratiqué leur métier … avec passion, ce qui risque manquer aux jeunes générations à qui l’on promet deux ou trois professions !
En effet, la retraite aidant, je peux rencontrer d’autres seniors de diverses branches et le constat est toujours le même : le boulanger déplore la mauvaise façon du pain torsadé …pas cuit, le mécano fulmine devant la valise informatisée et la mauvaise liaison avec Sochaux ( il se reconnaîtra), le pharmacien a rangé son trébuchet et a cassé ses vieux flacons sérigraphiés, le policier, regrettant la vieille solidarité de la Grande Maison, constate la déferlante du mal-être et la montée de l’insécurité ; quant à mes copains viticulteurs, c’est la vision des ronces et des annonces de saisie qui les préoccupent.
Oui J-M, le syndrome professionnel est bien le trait d’union de nous tous qui, avec un rosé ou un café, sur la Lapébie ou un banc de village ou tout simplement sur ce lien moderne même si quasiment imposé, nous avons encore l’avantage et la liberté d’échanger.
Continue, restons solidaires …et conscients !
Amicalement.
Je ne suis ni boulanger, ni mécanicien, ni potard, mais je constate la même chose.
« Notre » boulanger a pris sa retraite, nous avons renoncé au pain de son successeur, un comble, celui de l' »Inter » voisin est meilleur.
Où est -il le temps où l’on redémarrait sa deuch avec une paire de pinces et un bout de fil de fer ou de cuivre ?
Où est-il le temps où mon vieil ami pharmacien nous « cuisinait » des pommades pour soigner les brûlures ou le démangeaisons ?
Ouvrez des classes et ne fermez pas les bars!
à mon ami Pierre
Ouvrez le ban…
Exactement : ouvrez des classes avec moins d’enfants, et laissez les bars qui restent ouverts. ils sont si peut nombreux……………….mais ils permettent l’échange de paroles.
@à mon amie Martine
… » laissez les bars qui restent ouverts… » à la condition qu’on y boive avec modération…
Pour côtoyer pas mal d’ instit , ce métier est vraiment devenu le dernier des métiers .
Il faut une force et une foi en sa mission énorme pour tenir , et même pas un salaire à la hauteur .
il leur faut éduquer les enfants , mais souvent aussi les parents .
Peut être un début d’ explication dans ce lien ….
https://sain-et-naturel.ouest-france.fr/enfants-daujourdhui-sennuient-a-lecole.html
Cordialement
Jean-Marie, comme je me reconnais dans ce texte, surtout dans le dernier paragraphe!
(bistrot mis à part…)
J’y reconnais aussi la morale et les règles de vie de ma mère.
Le « syndrome de l’instit. » nous sommes nombreux à l’avoir gardé, je crois.
Pour moi, le symbole de l’instit. des années 50 restera à jamais M.Belleaud. Tu l’as connu dans des circonstances diverses. Moi, je l’ai connu en maître d’école et en ami, aussi…
@ à M-Claude
M. Belleaud… son prénom ?