Se retrouver devant une soixantaine de personnes de tous les âges pour évoquer les aspects de la Résistance dans la proximité constitue une véritable épreuve. D’abord les cicatrices de cette période ne sont pas toutes refermées et il est certain que dans l’assistance des personnes ont été attentives aux affirmations que j’ai pu lâcher. Surtout celles qui concernent d’éventuelles trahisons ou traîtrises. Les noms doivent être préservées car un peu plus de quatre-vingts ans plus tard les liens existante entre le présent et le passé sont tenaces et réels. L’époque peu glorieuse de l’Occupation éclabousse encore la société. Les exactions ignobles de la Milice minimisées pour éviter de salir l’image d’Épinal du peuple de France franchissent difficilement les portes de l’Histoire, fut elle seulement locale.
Convenons ensuite que les traces écrites, les récits précis et corroborés par des enquêtes serrées ne sont pas légions. Durant des mois j’ai pataugé dans des témoignages incomplets, contradictoires, vantards ou subjectifs et très généraux. La prise de notes n’existait pas pour des raisons évidentes de sécurité. Les « textes » officiels au niveau des territoires où exerçaient des personnes solidaires dans la défense de leur pays contre les envahisseurs, n’existent quasiment pas. ils ne sont que postérieurs à 1944 ou même 1945. On trouve beaucoup plus de références sur les décisions prises par l’État Français que celles qui permettraient de démêler l’écheveau complexe des divers groupes de Résistance. Il faut donc avoir confiance dans des listes, dans des des affirmations, dans des rapports sommaires, des histoires héroïques reconstituées à posteriori par les survivants.
Ce qui est frappant c’est que l’on résume souvent ces actions de refus de l’oppression idéologique et mortifère des nazis ou de leurs serviteurs, à des coups d’éclats (sabotages, attaques, combats…) alors qu’elles ont recouvert bien d’autres domaines. Résister ce ne fut pas seulement le langage des armes. Durant les premières années, le refus de renoncer aux valeurs que l’on défendait avant 1939 a constitué une acte de rébellion caractérisé. S’ancrer dans ses principes moraux, politiques, sociétaux ne fut pas aisé.
Pas de comportements extraordinaires chez ces gens-là mais une forme passive, silencieuse, résolue de rester fidèle à ses engagements en adaptant sa vie quotidienne à un contexte qui était insupportable. Ne rien faire qui puisse conforter l’ennemi. Ne rien dire qui apparaisse comme un soutien, une faiblesse et un renoncement. Ne rien partager, ne pas aboyer avec la meute des convaincus que les juifs, les francs-maçons, les communistes, les socialistes étaient responsables de la guerre. Les instituteurs et des curés jouèrent un rôle décisif dans ce domaine de la résistance « passive ». Il n’y a surtout pas de règle générale dans ce constat comme dans d’autres. A chacun son silence en 1940 ou 1941.
Il y eut aussi ces femmes et ces hommes n’ayant jamais vu une arme mais qui ont œuvré à héberger et à « passer » des fugitifs vers une destination leur permettant d’échapper aux griffes de l’occupant et des ses « collaborateurs ». On ne retrouve leurs traces que si les personnes aidées ont témoigné en leur faveur et ont permis d’établir leurs actes généreux. Souvent méconnus de leur propre entourage ils ne figurent sur aucune liste officielle, dans aucun registre, dans les récits leur nom a disparu. Tout comme ceux de ces paysans qui ont planqué des évadés ou des réfractaires comme travailleurs agricoles. Ils furent eux-aussi, en tendant la main en étant simplement humains des Résistants de l’ombre, de l’ordinaire, prenant des risques dont ils ne parlèrent pas souvent la guerre finie. Leurs actes ont été effacés des mémoires.
La Résistance individuelle spontanée et parfois éphémère n’a pas laissé de traces. Elle n’existe désormais que dans la transmission orale ou les souvenirs de celles et ceux qui étaient enfants durant la seconde guerre mondiale. Rien ne fut parfaitement blanc et rien n’était parfaitement noir. Même si personne ne souhaite vraiment parler des voisins, des parents, des élus, des fonctionnaires, des personnalités locales qui eurent des comportements détestables, on finit toujours par apprendre combien la nature humaine est dégueulasse quand elle conduit à dénoncer, à terroriser ou même à tuer. Le silence règne donc encore sur les relations au sein d’une petite communauté dans laquelle tout se voit, tout s’entend et tout se sait tôt ou tard.
Il faut dire que pour remettre le pays en marche, l’indulgence a été de mise dans les années suivant la libération. Des hommes rendus inéligibles durant un laps de temps bénéficiaires des largesses du pouvoir de la fin dues années quarante. La « réconciliation » et la puissance de l’oubli institutionnalisé ont permis à bon nombre de gens « ordinaires » condamnés de retrouver leur statut et leur rôle social en quelques mois ou en quelques années. La banalisation dramatique d’actes épouvantables ont été couverts de l’inscription : « c’était la guerre ! » ou de la question : « qu‘auriez-vous fait à leur place ? » Maintes fois je me le suis demandé : « qu’aurais-je fait ? » Et je n’ai pas la réponse. Je n’ai aucune certitude;
J’ai toujours été mal à l’aise en entrant dans le vie des ces habitants que j’ai côtoyés sans jamais vraiment les avoir connus Des petites photos m’ont ébranlé et perturbé. Des objets m’ont ému. Des témoignages lisses ou crus m’ont secoué. Je suis de plus en plus persuadé que faute de mémoire collective les générations futures sont condamnés à mourir de froid. es vents de l’indifférence et la passivité idéologique renforcent le coefficient des marées des les idéaux nauséabonds. Dans peu de temps nous découvrirons que les mêmes causes produisent les mêmes effets dévastateurs. Le ventre est encore fécond.
Bandeau de la chronique : photo terrible plus parlante que tout le reste de la réserve de poteaux d’exécution sur la camp de Souge en Gironde en septembre 1944
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« Parfois, lorsque je me promenais avec ma grand-mère, catholique très pratiquante, nous rencontrions un vieux monsieur coiffé d’un feutre mou, bien vêtu, petit, un peu enveloppé, très digne avec sa grande barbe blanche. Ma grand-mère me disait :
_ » Va dire bonjour à monsieur Jacob ».
Je m’avançais vers lui, je levais ma casquette et lui tendais la main. Il me disait quelques mots gentils, échangeait quelques mots avec ma grand-mère, et nous repartions.
Puis nous n’avons plus rencontré monsieur Jacob, nous n’avons plus entendu parler de lui.
Sur le veston de monsieur Jacob était cousue une étoile jaune…
Monsieur Adrien Jacob avait 63 ans. Il fut arrêté lors de « la Rafle de la Salle Philarmonique », comme Izaak Zylberberg, un parent de mon bon camarade de classe au triste sourire. Cette rafle de la salle Philarmonique eut lieu le 8 et 9 octobre 1942 : 387.arrestations, 8 survivants. »
Même si je n’ai pas longtemps partagé ses croyances, je suis fier de l’attitude de ma grand mère.
Mon grand père avait caché dans sa grange un homme qui s’ était évadé d’ un train vers l’ Allemagne jusqu’ à la fin de la guerre .
Ils sont toujours restés amis jusqu’ à sa mort .
Un autre grand oncle , lui avait sorti les allemands de sa vigne avec sa fourche , alors qu’ eux avaient des armes de guerre , mais ils n’ ont pas tirés heureusement …
Un cousin plus éloigné , lui payait un coup aux allemands qui patrouillaient dans le village , ce qui lui a valu le surnom de
» vieux Juda » jusqu’ a sa mort .
Des soldats allemands donnaient du chocolat à ma mère qui était une enfant de 5 , 6 ans à l’ époque , tous n’ étaient pas des monstres .
Il y a eu aussi ceux qui sont restés après guerre pour reconstruire , et qui ont épousé des Françaises , j’ ai côtoyé à l’ école ces enfants au nom de famille germanique et ça ne posait aucun problème , tous bien intégré …
Cordialement.
@Alain.e, bonsoir !
« tous n’ étaient pas des monstres « : parmi ceux qui occupaient la maison de mon arrière grand-mère (expulsée et récupérée par sa fille), mon grand-père a vu un soldat triste et en pleurs: c’était un alsacien …qui s’est suicidé peu après.
Amicalement.
Bonsoir,
pour ceux qui aiment l’histoire et cette période trouble de l’occupation et de la Kollaboration Pétainiste, je vous suggère la lecture de ce petit document résumant la résistance d’un obscur instituteur d’un petit village du Nord de l’Isère en contrebas du massif du Bugey. Ce résistant de la première heure est resté anonyme dans son livre de bord signé sous son nom de guerre Lucas.
https://www.vivreachirens.com/documents/Scribe/dossiers/Ambleon.pdf
Le Maquis d’Ambléon dans l’Ain (commandé par Jo Peysson « Lucas », secondé par Henri Eyraud et Claude Rochas) , se constitue en septembre 1943 dans le nord de l’Isère. Ces maquisards reçoivent des armes au cours de parachutages effectués dans le secteur de mars à mai 1944. Le 12 juin 1944, suite à une importance opération de la Milice en Isère, les 250 maquisards sont rassemblés au Bouchage (Isère) et passent dans l’Ain. Le groupe établit son campement au bord du lac d’Ambléon, qui donnera son nom à l’unité à partir de ce moment.
Le maquis d’Ambléon compte en août 1944 plus de 400 hommes répartis en huit sections. Parmi eux, 250 environ sont originaires de l’Ain;les autres sont essentiellement des Isérois et des Lyonnais.
Le maquis d’Ambléon participe à des sabotages et des combats en Isère à la fin de juillet et en août 1944, occasionnant des morts dans les rangs allemands et la destruction de nombreux véhicules. Il est également engagé, aux côtés des Américains et des maquisards du secteur C3 de l’Ain, dans les combats pour la libération de Bourgoin, La Verpillière, Saint-Laurent-de-Mure, Saint-Bonnet-de-Mure. D’après Claude Morel, « Le maquis d’Ambléon près de Belley »
Le récit de Lucas s’achève ainsi » Lyon est pour nous, en tant que maquisards, le terme de nos efforts.De nombreux camarades vont rapidement reprendre l’outil ou la charrue avec simplement dans le cœur la satisfaction du travail accompli et le sentiment d’ineffaçable amitié qui les liera à leurs compagnons de lutte vivants ou tombés pour que vive la France. »
Ne les oublions pas.
merci pour ce lien qui correspond exactement à ma chronique