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Quand la consommation devient une arme de contestation

Depuis des années le comportement des individus a lentement mais inexorablement glissé de la posture citoyenne à celle du consommateur de plus en plus frénétique. Ce constat a profondément modifié le système démocratique qui reposait sur un lien entre un système social dans lequel tout acte devait reposait sur la responsabilité et les actrices ou acteurs de son fonctionnement. La référence de ce mode de fonctionnement était le suffrage universel qui jugeait la manière dont étaient conduite les affaires publiques. La référence à l’impôt équitable comme support du financement constituait le nerf des guerres électorales. En rompant cet équilibre entre la contribution solidaire et le retour aussi égalitaire via les services publics les politiques ont conduit la république dans une impasse.

Refusant d’appliquer la règle simple de la responsabilité de l’État dans la recherche d’un équilibre entre les contributions individuelles et la mise en œuvre de ses fonctions régaliennes, les gouvernements depuis quarante ans ont trahi par les privatisations progressives les valeurs prônées par le Conseil national de la Résistance. La déviance repose sur la taxation de tous les actes de consommation. Une manière inégalitaire au possible de gérer les moyens financiers de fonctionnement de la puissance publique.

L’évolution s’est accélérée sous l’influence de l’Europe et la traité constitutionnel de 2005. Les taxes ne s’appliquant sur l’économie sociale et solidaire, les services municipaux ou d’intérêt général il fallait évidemment au nom de la « concurrence libre et non faussée » basculer vers la loi du marché. Les recettes destinées au train de vie de la nation augmentent sans que le « citoyen » s’en aperçoive et se révolte. Plus les individus consomment et plus l’État engrange. Ce dernier donne du pouvoir d’achat en calculant qu’elle sera son retour sur concession. La France a ainsi bâti sa « croissance » sur la consommation intérieure… avec des résultats plus ou moins productifs.

Dans tous les secteurs de la vie quotidienne, les incitations à acheter, à dépenser, à investir se multiplient. La crise Covid a marqué une temps d’arrêt et la peur a gagné les rangs d’une part croissante des foyers.  Les « pauvres » en nombre grandissant en raison de la précarité des emplois étant dans l’impossibilité d’acquérir des biens de toute nature ils n’intéressent pas les penseurs libéraux. Ils dépassent désormais les 10 % de la population. Les cyniques qui gèrent les finances publiques cherchent à les mettre à contribution non par l’espoir de les voir consommer davantage mais par la diminution des allocations de solidarité qui leur sont attribuées ou en renforçant les conditions d’accès. Pour les plus riches la prudence est de mise car souvent ce sont eux qui contrôlent les outils de production ou les médias. Ils sont préservés en raison de leur influence sur les milieux politiques et sur l’illusion que sans eux l’économie s’effondrerait.

Il reste alors les classes dites moyennes ou moyennes supérieures. Elles constituent le réservoir des taxables. Par le crédit, par des obligations normatives diverses, par des aides publiques temporaires elles sont incités à consommer au nom de la liberté d’exister. Il faut absolument qu’il justifie la politique de l’offre…et qu’ils soient une source majeure de taxables. Le problème inédit c’est que depuis la crise du Covid, une bonne part d’entre eux, sous l’influence de la peur du lendemain, de l’inflation ont épargné bloquant globalement des sommes folles sur l’épargne. La consommation s’effrite. Le pire serait qu’elle s’arrête. Chez nous elle se ralentit sous les poids des taxes et de la restriction liées aux manques de moyens financiers. C’est du drame pour Bercy avec un déficit de plus de 40 milliards déjà enregistré en 2025 !

Consommer ou non consommer devient donc une arme citoyenne par les choix effectués. Le boycott constitue à cet égard une « arme » aussi forte que le bulletin de vote. L’idée vient de Turquie. Après l’arrestation puis l’emprisonnement du maire d’Istanbul et rival de Recep Tayyip Erdogan, Ekrem Imamoglu, qui devait être désigné comme candidat aux élections présidentielles, l’opposition se cherche de nouveaux modes d’action. Après les manifestations gigantesques elle se lance dans une campagne de boycott destinée à faire entendre sa colère.

Le 2 avril, les Turcs ont été appelés à se « priver d’achats » ou de restaurants ou de sorties, la “grève” de la consommation s’orientant en particulier vers les produits où les taxes, notamment l’équivalent turc de la TVA, sont les plus importantes (alcool, essence…). Les pertes pour l’État seront substantielles surtout si l’opération se poursuit. La trouille change de camp. Plus efficace qu’une manifestation.  En Croatie aussi devant l’augmentation des prix, un grand mouvement de refus d’acheter dans les supermarchés a débuté et s’étend même au-delà des frontières. En une journée, les ventes avaient chuté de 50%. Un succès tel qu’une nouvelle journée de mobilisation est organisée ce vendredi, avec la ferme intention de frapper plus fort. Le consommateur redevient citoyen. Et chez nous ?

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Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    « Le 2 avril, les Turcs ont été appelés à se « priver d’achats » . »
    Bien d’accord, je suis partant, mais comment faire pour les imiter ?
    Je ne vais plus au restaurant depuis longtemps, je ne bois pas d’alcool (à part ma « bordelaise » de Madiran ou de Cahors qui me « fait « un mois). Ce n’est pas vraiment la saison du foie gras. Je n’aime pas le caviar.
    Actuellement nous consommons les poireaux et les choux du jardin (mais ça va pas durer).
    De quoi pourrais-je me priver ?
    Cette année je n’achèterai pas d’œufs de Pâques, na !

  2. facon jf

    Bonjour,
    comme je l’ai déjà écrit ici le boycott est une arme très puissante et il est aujourd’hui parfaitement légal. Le mouvement Boycott, Désinvestissements, Sanctions (BDS) contre la colonisation menée par Israël est né en 2005, il se développe en 2009 en France. La justice est alors systématiquement sollicitée pour empêcher les appels au boycott. Pendant plus de 10 ans, les associations juives (Licra, à titre d’exemple) portent plainte pour “entrave à l’exercice normal d’une activité économique”, ce qui constitue une “infraction” ou pour “incitation à la haine ». Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 14/03/2024 a mis fin à 15 années de procédures abusives ( c’est ça aussi la justice avec les procédures bâillon) contre BDS.
    Dernier moyen pacifique pour se faire entendre des gouvernements à la solde des multinationales sous réserves de s’attaquer à un état ou à une politique.
    Depuis longtemps j’ai choisi cette arme non létale pour défendre mes opinions et mes intérêts. De la même manière je refuse d’encourager le vol « légal » en me passant des produits que j’estime trop chers bien que je pourrais raisonnablement mes les offrir. C’est le cas des asperges ou des cerises dont le cours progresse chaque année. Je constate, hélas que beaucoup de mes concitoyens font comme moi et la quantité disponible offerte se réduit à chaque hausse, dommage pour les producteurs. Mais les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel dit l’adage des boursicoteurs.
    Petit à petit, je fais le deuil douloureux du scrutin qui pourrait sauver mon pauvre pays qui ne mérite pas tous ces corrompus ( cloportes qui hantent les parquets des ministères diraient certains) qui croient nous gouverner … Pauvres fous qu’ils sont trop occupés à s’engraisser sur la bête. Ainsi à chaque décision qui ampute mes revenus je réduis ma consommation d’autant, viendra un temps assez proche où je serai à l’os. Il me faudra alors amputer encore ma consommation vitale et entrer dans une politique de survie comme le font déjà bon nombre de retraités. Adieu alors à ma petite voiture déjà menacée par la visite merdicale imposée aux vieux. Adieu aux voyages que j’ai tant aimés. Adieu ma maison finie de payer mais que les requins des maisons de retraite lorgnent avec concupiscence (au sens religieux du terme -Désir des biens et plaisirs terrestres-). Adieu les petits coups de pouce financiers à mes petits enfants. Adieu les heures passées à se décarcasser pour faire survivre les assoces caritatives et d’insertion. Ne subsistera que la lecture des ouvrages tombés dans la fin des droits d’auteur qui sont disponibles sur la toile gratuitement, tant que je peux payer ma facture internet.
    Vous ais-je dis que je venais de relire « les dieux on soif » le roman d’Anatole France paru en 1912. En 1950, ce roman est inclus dans la liste du Grand prix des Meilleurs romans du demi-siècle. Anatole France, républicain et dreyfusard, retrace dans cette haletante course à l’abîme les jours sombres de la Révolution, désarçonnant les critiques de l’époque. Aujourd’hui, ce roman qui dénonce la brutalité des absolus politiques, d’une lucidité et d’une liberté d’esprit exemplaires, est considéré comme son chef-d’œuvre. Des réflexions qui s’appliquent aussi à ici et maintenant, de quoi décourager les révolutionnaires de salon.
    Bonne soirée

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