You are currently viewing Quand le marin Barthes échoue au « port » de Créon (4)

Quand le marin Barthes échoue au « port » de Créon (4)

Enrôle à bord de la Corvette Uranie partie pour un Tour du monde scientifique, le mystérieux Bernard Barthes devenu quartier-maître, après avoir doublé le Cap Horn dans la tempête se retrouve en grande difficulté aux îles Malouines… L’aventure se corse.

Le navire commandé par Louis Claude de Saulces de Freycinet après avoir essuyé une tempête terrible en doublant le Cap Horn avait opté pour se réfugier aux îles Malouines. Malgré l’extrême prudence des manœuvres, l’Uranie heurte une «aiguille » d’un écueil non porté sur les cartes. La coque est percée. La situation fut rapidement très grave. Les pompes ne servaient plus à rien : la plaie était trop large et trop profonde.

« Nous sommes en perdition, dit avec calme M. Freycinet. Il y a beau jeu pour les hommes de cœur ; et vous en profiterez tous, j’en suis sûr, pour montrer ce que vous valez. » Ces paroles furent couvertes par les cris de : Vive le commandant ! Mais l’enthousiasme fut bien plus grand encore lorsque madame Rose de Freycinet dont on sait qu’elle avait embarqué contre toutes les lois en vigueur sur un bateau de guerre car elle avait voulu accompagner son mari dans cet aventureux voyage, se montra tout à coup sur le pont et s’écria : « Mes amis, je viens de promettre à Dieu de vivre ou de mourir avec vous ! » Un hourra de reconnaissance partit de cent poitrines puis l’ordre se rétablit comme par enchantement.

La nuit était venue, et malgré le jeu des pompes qui n’avait cessé qu’un instant, on ne pouvait espérer que la corvette soit maintenue à flot jusqu’au jour. Il n’y avait donc d’autre moyen de salut que de la faire échouer dans l’endroit le plus convenable. Le commandant descendit dans son canot pour aller à la découverte. Quoique la nuit fut très sombre, il parcourut une partie de la baie des Français dans laquelle l’Uranie venait d’entrer, et parvint à découvrir une sorte de lit de rochers à marée basse. Le navire pourrait s’abattre de manière à rendre possible le sauvetage des objets les plus indispensables pour s’établir à terre.

Revenu à son bord, M. Freycinet le pilota donc vers ce lieu, et la fit abattre par les gabiers dirigés par Barthes de manière à pouvoir attendre sans danger le jour suivant. Dès qu’elle fut couchée sur le coté, on l’étaya le plus solidement possible avec des vergues, e1 l’on attendit, non sans anxiété, mais avec résolution, que le jour permit de reconnaître la terre près de laquelle la centaine de membres de l’équipage se trouvait. Le voyage était terminé. Désormais il fallait songer seulement à sauver le maximum des trésors scientifiques accumulés durant le voyage et toutes les vivres et matériel encore intact.

« Dès que l’aube eut éclairé les objets, explique Barthes dans son récit, on put voir que l’on se trouvait vis-a-vis d’une plage sablonneuse; le regard se perdait sur des plaines herbeuses, tristes, monotones, presque sans fin, au milieu des-quelles ruisselaient quelques cours d’eau ou dormaient quelques étangs. L’horizon était bordé de hautes montagnes nues; pas un arbre, pas un arbrisseau ne se dressait sur ces steppes. Des nuées d’oiseaux de mer, peu habitués à de pareilles visites, tournoyaient autour du navire, et plongeaient à l’envi sur les débris d’aliments que les vagues emportaient de la corvette. » Un décor désolant : un île absolument déserte ! Tout le monde se mit au travail pour installer sur la plage un campement provisoire.

La position de la Corvette empira : la marée, en se retirant, l’avait forcée à s’incliner beaucoup plus qu’on ne l’avait prévu ; les lames entraient et sortaient par les sabords. On se hâta donc, geste horrible pour des marins, de couper les mâts. Malheureusement on ne put sauver qu’une partie du biscuit et de la poudre qui se trouvaient à bord; les vivres se trouvaient maintenant sous l’eau, et alors même qu’on put les dégager, ils n’étaient plus utilisables. Le camp fut vitre dressé avec des tentes de fortune. Le carré des officiers avec Madame Rose fut placé à l’écart. La préoccupation la plus pressante fut celle de… la nourriture.

Le commandant forma au sein de l’équipage deux entités : celle des chasseurs dans lequel se trouva Barthes qui avait en charge de « tuer tout ce qui pouvait constituer une nourriture pour une centaine de personnes, et celle des pêcheurs. Aussi les chasseurs et les pêcheurs se partagèrent les rôles. « Comme je l’ai dit explique Barthes le gibier ne manquait pas, et on revenait chaque jour chargé de butin. »

On faisait alors tout bouillir, tout griller, tout rôtir : albatros, pétrels, mouettes, labbes, vautours noirs, aigles, cormorans et pingouins, hôtes nombreux de ces îles brumeuses. Ces oiseaux étaient si peu habitués à l’homme, qu’ils ne le regardaient pas comme un ennemi. Mais de tous, celui qui fut du plus grand secours aux naufragés, fut le manchot ou pingouin. « Cet oiseau-poisson est plutôt organisé pour nager que pour voler explique Barthes. Au lieu d’ailes, il a deux nageoires aplaties et son corps est recouvert d’un feutre serré ressemblant plutôt à de la soie qu’à de la plume. Vivant presque toujours dans l’eau, où ils se nourrissent de poissons, les pingouins occupaient en nombre immense la petite île fangeuse de la rade.  C’était le moment où ces animaux élèvent leurs petits. Aussi faisait-on de fréquentes descentes sur l’île aux pingouins. On y trouvait, rangés à la file, comme des anachorètes vêtus de blanc et de noir, ces stupides volatiles, et on les assommait à coups de bâton, sans qu’ils se dérangeassent en aucune façon. Ils recevaient la mort presque sans s’émouvoir : tout au plus faisaient-ils quelques pas en poussant des cris assez semblables à ceux d’un ânon qui se plaint. » D’autre part, les matelots poursuivaient et tuaient beaucoup de phoques avant l’arrivée d’une baleine !

(à suivre)

Ce champ est nécessaire.

En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Cette publication a un commentaire

  1. J.J.

    Nous voici maintenant à suivre les aventures non fictives d’un village de Robinson.
    Mieux que la fiction !

Laisser un commentaire