« Tous les pays du monde qui n’ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid ». Ce constat de La Tour du Pin s’applique en effet à tous les lieux ayant une vie sociale, et ce quelle que soit la taille des territoires. Une tribu des fins fonds de l’Amazonie, de Bornéo ou d’Afrique qui oublie ce qui a construit son passé, finit toujours par disparaître. Il en est de même pour tous les villages, les quartiers, les entités humaines qui prétendent se débarrasser de leur parcours antérieur et finissent comme « dortoirs » comme « musée » ou « misérables ». Le danger augmente pour eux avec l’arrivée de nouveaux habitants peu soucieux de connaître les racines de leur commune d’adoption. La fracture devient vite insurmontable. Mépriser les histoires locales c’est aller vers l’avenir à tatons.
Le repli sur soi et le mépris pour ce que certain(e)s appellent des « traditions désuètes » censées retarder le « modernisme forcené », causent des ravages. N’ayant déjà plus que de vagues notions de l’évolution historique de leur nation, les jeuens générations se trouvent dans impossibilité de trouver le moindre intérêt à la celle de leur proximité de vie. Cette tendance sort renforcée de l’influence médiatique qui instille l’idée que « c’est toujours mieux ailleurs ». Les émissions sur toutes les chaînes de télévision cherchent à cultiver l’évasion, à expliquer les aventures exotiques et à cultiver l’extra…ordinaire au détriment d’un quotidien délabré, peu valorisé et déprimant.
Plus que jamais cette tendance influe sur les comportements individuels et collectifs. L’Histoire n’a plus sa place, et l’ignorance des événements ayant marqué l’évolution de la nation aggrave la sensation de ne pas être solidaire des autres, favorisant le complotisme et un communautarisme dangereux. Rien ne s’est construit sans le peuple, cette entité qui, selon Brecht lorsque qu’il vote contre le gouvernement, devrait être dissout ! Une « légende » transmise, adaptée, perpétuée offre un trait d’union indispensable entre les générations, les classes sociales et même parfois, elle constitue un excellent facteur d’intégration. Nous ne sommes que les fruits d’une aventure collective.
Comment par exemple vivre dans une ville bastide comme Créon si on ne connaît pas les tenants et les aboutissants de son plan urbanistique ? Comment apprécier sa vie de centralité si l’on ignore les motivations de sa création ? Tout a des racines ancrée dans le temps. La tendance consisterait à raser tout ce qui déplaît ou constitue une gêne. la tendance est à l’indifférence et au mépris. Les électrices et les électeurs n’ont cure des évolutions passées pour ne retiennent que les aléas négatifs du présent ! La vitesse de l’oubli s’accélère. On voit alors ressurgir des idées, des comportements, des propos, des affirmations que l’on pensait suffisamment néfastes pour qu’ils soient au moins abordés avec méfiance.
Il ne s’agit surtout pas de surfer sur cette conception réactionnaire prétendant « qu’avant c’était mieux ». Elle se répand, chez les personnes âgées avec une forme de nostalgie inspirée par les difficultés actuelles. C’est absurde de clamer « avant c’était mieux » alors que la vraie formule serait plutôt « avant c’était différent ». Il est idiot de penser que le retour en arrière sauverait l’avenir des inquiétudes qu’il génère. Bien au contraire. Pourtant c’est indéniable nous marchons à reculons en pensant que ce qui a causé le malheur d’autrefois se révélerait comme la recette du bonheur futur. Le froid glacial de l’oubli guette le monde.
Ce n’est devenu possible dans le monde actuel que parce nous avons justement perdu le sens du récit historique local. Il n’y a pas une ferme, une rue, une école, une usine, un commerce, une maison sans une histoire humaine faite d’échecs, ou de réussites, de pleurs ou de cris de joie, d’espoirs ou de craintes, de vies réussies ou gâchées. Chaque parcelle a sa « légende », celle qui construit ce que les « savants » appellent l’Histoire. Ma passion depuis longtemps(1) a été et restera la « petite » histoire qui par ruissellement a nourri la « grande », celles des femmes et des hommes ordinaires qui souvent ont été plus utiles que les maîtres du temps.
Le plus modeste des monuments aux morts est plus précieux pour un village que les éventuels châteaux réputés historiques. Ces longues listes de noms perdus dans l’éternité m’émeuvent plus que les mobiliers étalés dans les pièces d’un musée étalant des modes de vie que ceux qui qont morts n’ont jamais connus mais qu’ils sont allés défendre au péril de leur pauvre vie. Une cruche de terre ayant servi à porter l’eau d’une source, une jarre rebondie hébergeant du blé, une enclume de forgeron, un soc de charrue, un étau, une lime, une casse de caractères d’imprimerie, un encrier, un outil, un cahier d’écolier au porte-plume agile, un sou troué, une photo jaunie… tout appartient à notre histoire commune. Il suffit de les aimer pour qu’ils revivent et nous rappellent d’où nous venons.
Mourir de froid : une perspective qui guette une société de l’éphémère et du sensationnalisme. C’est devenu un exploit que de convaincre que si l’on ne peut pas vivre dans le passé, il est important voire capital de l’aider à renaître pour construire des lendemains qui ne déchanteront pas trop.
(1) Ma monographie de sortie d’école normale portait sur la première histoire de Sadirac qui ait été écrite. Elle existe encore 57 ans plus tard.
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
« Une cruche de terre ayant servi à porter l’eau d’une source, une jarre rebondie hébergeant du blé, une enclume de forgeron, un soc de charrue, un étau, une lime, une casse de caractères d’imprimerie, un encrier, un outil, un cahier d’écolier au porte-plume agile, un sou troué… »
« Plus me plait le séjour qu’ont bâti mes aïeux
Que des palais romains le front audacieux »
(Heureux qui, comme Ulysse…)
j’ai écrit, rassemblé il y a quelques temps les souvenirs et les archives du quartier où j’ai passé mon enfance et que je fréquente toujours car j’y ai gardé mon jardin et j’ai des rapports amicaux avec les « vieux » qui y demeurent encore.
Mais les nouveaux habitants ? Peu d’entre eux (pour ne dire aucun parmi ceux que je connais) ne se soucient de ce passé. Alors pour que mon travail ne reste pas complétement inutile, je l’ai confié aux archives municipales qui m’ont adressé leur remerciements. Peut être un jour, un chercheur du futur tombera dessus ? Une bouteille à la mer.
Quant au sujet de ma monographie, il traitait aussi du passé : l’histoire des recherches préhistoriques dans le département. Ce qui m’a amené à m’intégrer à une équipe « officielle » de recherches et de fouilles, activité qui a occupé tous les loisirs, dimanche, jeudi et vacances pendant la quatrième année, et qui m’a parfois valu quelques ennuis quand le jeudi soir mon « mentor » me ramenait un peu en retard au réfectoire où patrouillait le « patron ».
Erratum : en rassemblant mes souvenirs, en réalité je ne consacrais pas toujours mon temps libre du jeudi à l’archéologie préhistorique, il me fallait « faire les courses » avec mon équipe de bizuts pour approvisionner la « coopé » dont la direction m’avait confié la gestion : achat de cigarettes, confiseries, pâtisseries individuelles, fournitures diverses : cahiers, crayons, papier à lettre etc…et tenue des comptes.
Tous les soirs après le souper, j’ouvrais la petite boutique avec mes acolytes.
Les bénéfices de cette activité étaient destinés à financer en partie le voyage de fin d’année auquel je n’ai pas participé, n’ayant d’autre financement que mon « pécule » pour l’achat d’un véhicule qui m’a permis de me rendre à mon poste de travail. J’aurais bien aimé participer à ce voyage en Italie (Naples, Amalfi, Rome …). Mais je ne me suis pas senti frustré, ayant eu le plaisir d’aider les copains et de faire une expérience « sociale » intéressante(mon côté Don Quichotte ?). C’est peut être ce qui m’a donné plus tard l’envie de me lancer dans l’aventure de l’OCCE.
Je l’ai fait plus tard quand même ce voyage, mon plus beau voyage.
si ce drame n’était que celui de notre village !
il est français , européen , mondial
quand ils sont venus chercher ….etc
Bonsoir J-M !
« En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »
A l’UNESCO en 1960.
Amadou Hampâté Bâ
En France aussi ! ! !
À samedi, 10h15 ! !
Amicalement