Tous les ports du monde possèdent un lieu de vie commune symbolique où aiment à se retrouver les copains d’abord et où bon nombre d’étrangers alléchés par ce qui a vraiment une « gueule » d’atmosphère. César empereur du« Bar de la Marine » inventé par un Pagnol ayant souhaité reconstituer symboliquement ceux de Marseille, a illustré à merveille ces patrons n’étant pas de combat, car avides de partages. Il en existe encore quelques-uns comme lui qui ajoutent avec talent « quatre tiers » d’originalité, d’amitié, de simplicité et une bonne dose de sincérité pour créer une ambiance Picon-citron-curaçao.
J’en ai déniché un à Ars en Ré sur des quais parfois pavés par l’enfer de plus en plus grandissant du tourisme de masse. Il faut en faire abstraction en poussant la porte aux heures creuses de la journée où lors des soirées délaissées par les familles en quête de sortie « burgers », « galettes » ou « pizzas ». Il faut alors respirer un grand coup de silence, observer des espèces en voie de disparition ou se délecter de la part réservée aux démons de la plus sérieuse des discussions celle des comptoirs.
Malgré une angine carabinée donnée par ces agents de Poutine que les médecins appellent « virus’ j’ai planché pour vous sur un établissement exubérant et chaleureux. Ce bourg séculaire où désormais le moindre lopin de terre à artificialiser ou la plus minuscule des demeures s’arrachent à des prix d’heureux propriétaires de pétro-dollars, possède en effet sa maison extraordinaire. Bar, brasserie, crêperie, restaurant le bien nommé « Café du Commerce », ne permet pas de reconstruire le monde mais de se retrouver dans celui hétéroclite et insensé qu’ont ramené, collé à la semelle de leurs godillots, de leurs tongs ou de leur bottes, deux aventuriers avides de liberté. Ils l’ont rassemblé dans un immeuble face au port où se trouve au plus près de leur terrasse une étrange embarcation ayant la silhouette d’une jonque qui bruisse parfois dans la nuit de moments heureux de partage.
En fait l’histoire dit qu’il y a exactement cinquante ans c’est là à Ré un duo inventif a déniché le plus belle escale de son périple. Eux qui étaient partis « conquérants » et qui « chaque soir, espéraient des lendemains épiques./ l’azur phosphorescent de la mer des Tropiques/ enchantait leur sommeil d’un mirage doré » ont investi dans un bâtiment séculaire à réaménager. Ils ont jeté l’ancre pour partager un voyage immobile laissant aux rêves le soin de transporter ailleurs les passagers de leur navire amiral. Ils ont ouvert la frégate du Café du Commerce.
Le pont d’où partent les ordres destinés au bosco et à ses aides a fière allure. Un ancien Ice-cream de la prude cité américaine de Boston incité à plongé dans une nuit américaine. Deux miroirs complètent cette ambiance western avec deux miroirs dépecés dans un Saloon historique d’El Paso. Pour qu’ils soient plus vrai que nature, une balle de colt demeure incluse dans l’un d’entre eux. Tout l’intérieur en bois vernis contribue à recréer un ambiance chaleureuse, un tantinet sombre qu’une lumière jaune peine à dissiper. On entre dans ce monde réduit constitué de coins et de recoins, de niches et d’espaces collectifs, comme on se conduirait dans un lieu de culte. Une vaste terrasse, une devanture couverte forment de vastes sas pour retenir le touriste ou la clientèle habituée à s’envoyer un repas en l’air. Les autres, les plus authentiques, comme les habitués s’installent au cœur d’une vaste collection de témoignages des années d’avant la dernière guerre mondiale.
Le « Café du commerce »donne à voir, à découvrir, à chercher un sens à ce qui n’en a pas. On regarde sans comprendre. On essaie d’apprendre. Affiches (théâtre, cinéma, variétés), tableaux, photos meublent les murs dans un touche à touche dérangeant car sans ligne directrice. Deux marins immobiles, figés dans un bois minutieusement sculpté montent la garde et veillent sur des centaines de « cartouches » où des objets inanimés ont chacun un âme. Il suffit d’avoir envie de la découvrir. Il est aisé de se prendre pour le découvreur de ce nouveau monde de la diversité érigée en valeur essentielle de la nature humaine.
Sur des cartes monumentales on découvre là aussi une formidable diversité de photos légendées avec des « gueules » historiques ayant fréquenté le lieu. Aucune vedette. Aucun millionnaire. Aucune star. Aucune revendication de célébrités mais des copains simples, heureux de se retrouver, heureux de pratiquer la mise en bière. D’ailleurs la table où ils siégeaient en conclave de la bonne humeur de manière régulière poursuit sa vocation. Je suis mort d’envie d’y être convié où toléré pour simplement écouter leurs considérations sur cet univers en perdition.
Allez une petite confidence. Le plat qui résume à merveille ce bel endroit n’est autre qu’une savoureuse salade d’anguilles. Une petite merveille (25 €) avec un dôme de pommes de terre de Ré tiédies avec un filet d’huile sur lequel sont posés des filets finement fumées de ce qui deviendra bientôt introuvable. On ne s’en lasse pas avec un verre de rosé de Lauduc (Tresses en Gironde). Faites le commerce de la diversité heureuse.
« Le Café du commerce » Port d’Ars en Ré. Ouvert tous les jours 05 46 29 41 57 (Il est très prudent de réserver par téléphone uniquement ou sur place pas par mail
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Bojour et merci pour le voyage on s’y croirait manque juste les odeurs.
Plus encore qu’un voyage, c’est une symphonie en Ré que tu nous offert là.
Amitiés à tou(te)s.
Il me semble avoir lu un récit un peu semblable..
» Les voyages de culinaire » je crois .
Avant le repas, le jaune attend, pour le prénom et pour le nom…..
Cordialement.