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Quand le marin Barthes échoue au « port » de Créon (1)

Derrière une simple plaque fixée sur un tombe grise se cache toujours une aventure humaine oubliée ou totalement inconnue. J’ai voulu effectuer une enquête sur l’une d’entre elles qui m’intriguait depuis pas mal de temps. Une pierre tombale très modeste dans le cimetière de Créon, constituait le seul indice pour cette recherche des éléments de la vie de celui qui repose depuis 168 ans dans la terre d’une commune où peut-être une seule personne (celle qui a déposé un chrysanthème) ne l’a pas abandonné. « Bernard Barthes, chevalier de la légion d’honneur ». Rien d’autre. Et pourtant les indices sont suffisants pour découvrir une aventure hors du commun.

Bernard Barthes n’avait pas de racines créonnaises. S’il y est mort il était né à Castres, sur la rive gauche de la Garonne. Le 8 février 1793, « an deuxième de la République Française », le village a oublié la tourmente révolutionnaire et ne sait pas qu’à Paris se prépare l’épisode de la Terreur. Sa mère, Françoise Latreille n’a pas pu évidemment se déplacer en Mairie pour déclarer sa naissance et elle ne peut pas compter sur son mari Matthias Barthes pour accomplir une tâche qui paraît banale alors que c’est une grande nouveauté. Le nouveau-né figurera en effet sur un registre d’Etat civil quand depuis des siècles il aurait dû attendre son baptême pour avoir une existence constatée.

Son père ne signera pas au bas de l’acte puisqu’il est, selon le constat écrit du représentant du « conseil général (sic) » de Castres, « actuellement au service de la République en tant que matelot dans le port de Toulon ». La sage-femme Anne Dupuy assistée du frère de la mère Bernard Latreille, atteste que l’accouchement a eu lieu à onze heures « dans la maison du port » sur la Garonne.  Cet environnement pèsera certainement beaucoup sur l’avenir de Bernard qui deviendra à son tour… marin ! Les services rendus à la Nation par son père l’aideront à accomplir sa vocation. Il sera ainsi enrôlé sur la frégate « Circé » le 13 juin 1812 comme simple matelot à 19 ans.

L’équipage est sous les ordres du baron Ange René Armand de Mackau âgé de 24 ans seulement. Il reçut le commandement de l’escadre française chargée de protéger les côtes de Toscane. En cette qualité, il participa, en décembre 1812, à la défense de Livourne et put, en 1813, ramener à Toulon tous les vaisseaux de son escadre et une grande quantité d’approvisionnements tirés de Livourne et de Gênes. L’équipage y débarque le 21 juillet 1814. Bernard Barthe a été exemplaire durant tout son engagement et De Mackau qui avait débuté comme moussaillon sera sensible à sa bonne volonté. Il ne tardera pas à avoir des promotions. Il revient à Castres (33) et effectue quelques contrats dans la marine marchande. 

Lorsque le célèbre Louis Claude de Saulces de Freycinet obtient en 1817 la mission de diriger une expédition de  circumnavigation « dans le but de déterminer la figure du globe, d’étudier le magnétisme terrestre et de recueillir tous les objets d’histoire naturelle qui pourraient contribuer à l’avancement de la science » il lui faut des hommes aguerris pour naviguer autour du monde sur la corvette « Uranie ». Notre Bernard Barthes sera donc appelé pour cette expédition qui regroupe les plus grands savants de l’époque : Jacques Arago qui écrira un livre, Charles Gaudichaud-Beaupré botaniste , le célèbre jardinier d’alors Antoine Guichenot, le médecin Jean René Constant Quoy, des horticulteurs, des dessinateurs … et un passager clandestin. C e n’est que longtemps après le départ que les marins ébahis seront en effet informés qu’il s’agit de Rose l’épouse de de Freycinet. À bord, elle fait preuve d’un ascendant moral sur l’équipage, ne s’occupe jamais des travaux scientifiques mais égaye tout le monde par ses récitals de guitare (sic).

Barthes montera à bord seulement le 3 juin 1818 comme gabier dans un port africain pour un périple extraordinaire qui conduira l’Uranie dans un tour du monde aventureux. L’Uranie fait des escales scientifiques au Cap, à l’île Maurice, à Timor, en Nouvelle Guinée chez les Papous, aux îles Marianne, dans l’archipel de Hawaï (îles Sandwiches)… En 1819 ils parviennent à déterminer la position exacte des îles du Danger (maintenant connues pour être l’atoll de Pukapuka aux îles Cook) et font escale à Sydney en Australie où ils réalisent de longues expériences sur la gravité. Ils recueillent des informations géographiques, d’ethnographie, de physique, de botanique ou de biologie. Les cales de l’Uranie sont chargées de caisses, de pots, de dessins, de produits divers. Un voyage fabuleux à tous points de vue avec de multiples rencontres concasses, inquiétantes ou paradisiaques auxquelles participe notre Barthes…

(à suivre)

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Cet article a 3 commentaires

  1. François

    Bonjour J-M … alias « Sherlock Holmes » !
    En découvrant ton début d’enquête, une vidéo virtuelle me transporte deux cents ans plus tard. Je vois un amoureux du local, le smartphone greffé sur l’avant-bras, qui, après s’être recueilli 9 rue de Baspeyras devenu lieu de culte (!), stoppera ses cannes anglaises devant une plaque indiquant « Jean-Marie Darmian, 1947-20xx, Chevalier de la Légion d’Honneur ». Il interrogera alors Google pour son CV, puis se dirigera vers « la Chapelle » dite « Le bar des copains »pour y déguster quelques olives … locales mais y aura-t’il du rosé frais ?
    L’Histoire est une grande roue en mouvement perpétuel ! Rassure-toi : d’ici là, le méprisant aura démissionné !
    ☺☺☺☺ ! ! ! !!!
    Amicalement

  2. J.J.

    Un autre navigateur célèbre en son temps et oublié, originaire de Nouvelle Aquitaine :
    Besson Bey 1781-1837
    « Jean Besson est né à Angoulême dans le faubourg de l’Houmeau, près de la Charente où la navigation commerciale était alors très active Devenu très tôt marin puis officier de la République puis e l’empire, il proposa un plan de fuite à Napoléon réfugié à l’Ile d’Aix, après Waterloo, qui refusa son projet.
    En 1820 il offre ses services au pacha d’Égypte Méhémet Ali et finit sa carrière comme vice amiral de la flotte égyptienne, d’où son titre de Bey. Un petit monument commémoratif, qui a subi quelques déprédations a été érigé sur le boulevard qui porte son nom, et longe la Charente à l’Houmeau.
    Une seule voie porte son nom, le boulevard Besson Bey, et encore elle n’est pas répertoriée dans l’annuaire de rues de France. Il est enterré à Paris au cimetière du Père Lachaise. »
    Quant à Charles Gaudichaud-Beaupré, probablement né à la Couronne (commune voisine d’Angoulême)
    Pharmacien botaniste, il participe à de nombreuses expéditions et récolte une imposante collection de plantes nouvelles. La reconnaissance de l’importance de ses travaux lui valut un fauteuil à l’Institut des Sciences (1837)… et une rue à Angoulême.
    Extrait de mon petit travail : Personnages nés ou ayant vécu ou séjourné en Charente, plus ou moins célèbres et plus ou moins oubliés et dont une rue d’Angoulême porte le nom

  3. christian grené

    Si je comprends bien M’sieur, Barthes a rejoint Langemarie (cf. Roue Libre d’hier) dans la terre créonnaise. Et pourquoi pas à Saint-Barth, ou à Sainte-Terre évoquée hier par mon copain Gilles Jeanneau? Voire à Saint-André-de-Cubzac où dorment mes parents à côte de la tombe de la famille Cousteau. Oui, oui, la famille du commandant.

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