Le gîte de pierres précieuses car taillées il y a fort longtemps par des hommes robustes mais aux mains agiles, se niche dans un écrin de velours vert tendre. Il n’arrive pas à essuyer toutes les gouttes de la sueur du ciel breton qui perle sur ses toits grisonnants . Cette pluie portée par des nuées noies et dispersées par des rafales de vent venues de la mer lointaine, lave vigoureusement ce paysage où la nature se déchaîne. Elle se rafraîchit, s’ébroue, se délecte de ce que le visiteur n’apprécie pas avec autant d’indulgence. La Bretagne a pris l’habitude de ses vagues successives impromptues comme une sorte de « bœuf » climatique pour musiciens intermittents à la recherche d’un public complaisant. Rien n’est certain ici, la météo change au mieux en quelques heures ou s’incruste durant des périodes trop longues pour celles et ceux qui viennent chercher ici un soleil nostalgique qu’ils n’ont plus parfois dans les cœurs.
Une pancarte discrète posée à même le talus précise que des alpagas ont élu domicile dans cette ferme au multiples corps qui n’ont pas résisté à l’épreuve des ans. L’animal a une part de mystère car il ne se montre pas au visiteur curieux. Méfiant et discret, il se cache pour vivre heureux. Où est-il ? Les montagnes n’existent pas dans cette contrée vallonnée où les « verts » s‘entremêlent sans jamais s’affronter. Les alpagas y ont-ils leur place ? Ces austères camélidés aiment les vastes prairies andines d’altitude alors qu’ici on ne leur propose que de l’herbe tendre abondante et des couverts forestiers de hêtres séculaires.
« Les nôtres ne sont pas dépaysés explique la maîtresse de ce lieu. Nous étions infirmiers de l’Assistance publique à Paris et nous avons décidé de changer totalement de mode de vie. Nous n’en pouvions plus. Nous avons prospecté pour dénicher une propriété avec des champs attenants. Un ensemble de bâtiments était en vente à Millionnec par un couple… d’infirmiers qui avait eu le même cheminement que nous. Ils élevaient des chèvres. Nous avons choisi les Alpagas car c’était moins contraignant. » Elle avance dans le chemin d’herbe mouillée qu’elle a elle-même empierré, en dévoilant les mystères de ces mammifères du Pérou bien moins célèbres que le lama cracheur de Tintin. Elle en connaît les secrets de leur vie d’immigrés perdus en Bretagne de marée verte.
La pluie continue ses claquettes sur les feuillus ou les massifs parsemés de bouffées colorées soigneusement laissées à l’inspiration des saisons. Au bout du chemin dans un enclos rustique, les alpagas pointent leur frimousse juvénile. « Ce sont les mâles. On les sépare des femelles pour éviter des reproductions aléatoires. Nous avons acheté un coupe en Angleterre car il n’y plus depuis des années de possibilité de les importer de leur pays d’origine où ils ont été surexploités. Seuls les élevages sont autorisés à les vendre et acheter. Peu à peu nous avons constitué un troupeau d’une vingtaine de têtes. Nous vivons désormais depuis plus d’une décennie avec eux comme avec une famille nombreuse. » Bien qu’habitués aux visiteurs, les animaux restent sur leurs gardes. Un guetteur se hausse du cou et surveille ces intrus venant perturber leur petit-déjeuner. Ce « chef » vous regarde d’un mauvais oeil. Il se fige. La méfiance se lit dans son attitude. Elle est naturelle et appartient à ses gênes.
L’attitude est la même du coté des femelles où celle qui domine la troupe assure le rôle de surveillante générale du gynécée. Ses collègues serrées les unes contre les autres n’ont rien à faire d’autre que attendre que les fibres creuses de leur pelage se remplissent d’air pour les protéger de climats bien plus rude que celui de Bretagne, se préparent à un hiver qui ne viendra jamais jusqu’ici ». Les alpagas font la pelote de leurs propriétaires qui revendent leurs petits d’autant plus facilement et garde leur tonsure rase annuelle destinée à fabriquer sur place des vêtements (bonnets, mitaines, écharpes) ou des accessoires (semelles) pour les frileuses ou frileux potentiels. Il faut que leurs fibres soient récupérées mouillées pour être de qualité.
La pluie disparaît après avoir lavé de la première à la dernière feuille cette « clairière » habitée dans la forêt. Tout paraît plus propre, plus étincelant, plus attrayant sous le premier rai de soleil. L’oasis au milieu de nulle part se régale de cette douche durable. Depuis quelques temps les précipitations (mot parfaitement) manque depuis quelque temps en Bretagne. Elle se raréfie. D’ailleurs le lendemain la ouate céleste, immaculée ou barbe sale, s’est éparpillée sous l’effet du vent. Tout s’accélère. Le bonheur est dans les prés ou dans les sous-bois. La vie en verts e déchaine.
Les alpagas mis en coupe rase ne souffrent pas de ces saute d’humeur de la météo. Leur pelage les isole des vicissitudes climatiques acceptées par les Bretons authentiques ou moqués par les adorateurs du Roi soleil de passage. Les cracheurs ne sont pas ceux à qui l’on pense. « C’est un moyen de s’exprimer entre eux. S’ils crachent sur les hommes c’est que ces derniers ont interféré dans leur évolution sociale après leur naissance commente l’éleveuse. Nous en devons pas devenir dans les premiers mois de leur vie par nos voix des membres de leur groupe autrement ils nous appliquent les règles de leur groupe ajoute leur propriétaire ». Les alpagas bretonnants ont comme tous leurs congénères une intense vie de groupe. Ils ont besoin des autres, de rencontrer les autres, de partager avec les autres; de se cracher en douce à la gueule avec parfois des conflits violents. Là dans le pré carré de leur ferme, ils ne crachent pas sur le bonheur de bénéficier d’une mise au verts permanente.
En savoir plus sur Roue Libre - Le blog de Jean-Marie Darmian
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
C’est vrai que c’est assez déconcertant de rencontrer dans « nos campagnes » ce genre d’animaux.
Chaque fois que je passais près d’un pré où broutait paisiblement le lama du cirque de mes anciens élèves, je me mettais à siffler « El condor passa » à défaut d’autre mélodie andine (« Les vigognes sont de retour », par exemple).
J’ai également fait un soir une rencontre étonnante en rentrant du travail : à la sortie d’un virage, je me suis trouvé nez à croupe avec un éléphant monté par son cornac, qui rentrait de promenade. Il n’était pas rose, et je n’avais pas bu, et j’ai mis quelques secondes à réaliser.
Dans un EPHAD du secteur, les responsables ont fait l’acquisition de quelques uns de ces animaux , de jeunes lamas je pense, dont la compagnie aiderait à améliorer le quotidien des pensionnaires.