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« Promets moi de toujours lutter contre la peste »

Comme beaucoup d’enfants, j’ai gardé un souvenir très heureux de mon passage dans l’école élémentaire publique du Bourg de Sadirac. Je fus des premiers occupants d’un groupe scolaire en pierre de taille de Camarsac construit à l’initiative d’André Lapaillerie, maire radical-radical socialiste visionnaire. Comme le voulait en milieu rural la tradition c’est un coupe d’instituteur, Madame et Monsieur Meynier qui occupèrent les deux classes. Ils ont marqué ma vie sans que jamais j’ai conscience du rôle qu’ils jouaient pour que je devienne un citoyen.

André Meynier eut vite une place essentielle dans la vie du village. Il anima sans la diriger l’amicale laïque qui organisait voyages, déplacements au cinéma, spectacles et rencontres conviviales. Passionné de football il trouva vite un siège de secrétaire de l’Union Sportive Sadiracaise dont l’équipe fanion évoluait sans vestiaires sur un pré débarrassé de ses vaches au dernier moment. Ces engagements concrets accompagnaient une pédagogie proche de celle de Freinet. Fortement engagé à Gauche il défendait avec brio et ardeur la laïcité, la fraternité dans une commune où les immigrés italiens ou polonais étaient nombreux, la valeur du mérite. Sévère mais juste il suscitait le respect.

André Meynier m’envoya en classe de sixième dans le nouveau de Collège d’Enseignement Général de Créon décidant ainsi de mon avenir. Sans cette orientation rien n’aurait été possible. Il m’a poussé sur les rails de la réussite par l’école. C’est le genre d’acte dont on ne mesure l’importance décisive que des décennies plus tard. En 1958 nous ne fûmes que trois dont deux filles de l’école du Bourg à partir vers ce qui était encore un vecteur d’ascension sociale. Il nous offrait une chance. A nous de la saisir.

En 1960, Madame et Monsieur Meynier quittèrent Sadirac pour s’installer en ville. Ils ne revinrent que rarement dans la commune même s’ils y avaient noué des liens amicaux avec de nombreuses familles. Je n’eus donc pas l’occasion de dialoguer avec lui avant d’entrer à l’école normale d’instituteurs. Le duo qui le remplaça (Aimé Lepvraud et son épouse) pallia cette absence. Nous nous sommes perdus de vue mais il me restait l’envie de le revoir, de partager avec lui ce sentiment de reconnaissance qui était en moi.

Il fallut de longues années avant qu’avec l’une des filles qui était partie vers le lycée au moment où j’allais vers le CEG nous prenions contact avec lui. Il était retiré à Mérignac avec son épouse. Un ami nous suggéra que le temps pressait car il était atteint d’un cancer ne lui laissant que peu de mois à vivre. Ce fut donc un lundi après-midi que nous nous sommes présentés à son domicile. Un moment personnel inoubliable. Avec sa délicatesse, sa gentillesse et sa douceur maternelle Mme Meynier nous accueillit sur le pas de la porte. Elle nous prévint : « Il est très faible mais il a tenu pour vous à quitter son lit. Il vous attend dans le salon »

André Meynier , chemise blanche, tiré à quatre épingles n’était que l’ombre de l’homme athlétique et fort que nous avions connu. Grâce à une farouche volonté il avait tenu à nous recevoir dans une tenue qu’il ne mettait plus depuis plusieurs semaines. Seul signe de son état il clignait des paupières « abruti » par une dose élevée de Morphine. Après une évocation de nos souvenirs communs il invita son épouse à conduire son ancienne élève à découvrir le jardin. Je restais seul avec lui.

Il m’invita à m’approcher du fauteuil où il était installé, calé avec eds oreillers. Il prit ma main entre les deux siennes blanches et décharnée. « Tu vois Jean-Marie je te suis dans ta carrière. J’ai toujours su qu’un jour tu viendrais me voir. J’attendais. Je t’ai gardé un cadeau me dit-il d’une voix extrêmement faible. Attrape le, il est sous le fauteuil. » En me penchant je trouvais un journal plié en deux. C’était un exemplaire du Monde Diplomatique barré d’un titre à la une : « la peste ». Il me laissa le temps de regarder ce journal et murmura : «  tu liras cet éditorial de Ramonet.» Parler lui était difficile.

J’étais ému aux larmes, incapable de formuler le moindre mot. Il me reprit la main et me demanda : « promets-moi que toute ta vie tu lutteras contre cette peste qui nous envahit. Promets moi ? ». Je ne pus que l’embrasser le regard embué par les larmes : « je vous le promets. Merci… Merci !» Il lâcha mes mains et ferma les paupières qu’il avait eu tant de mal à ouvrir. Le silence s’installa. Il était apaisé. Le duo revint de sa promenade. Monsieur Meynier ne bougea pas.

A la demande de son épouse nous prîmes congé. Il me sera à nouveau la main et me fixa droit dans les yeux. Il pleurait. Il replongea dans son monde secret. En sortant alors que nous nous proposions de revenir, Madame Meynier lâcha : « mes enfants je ne crois pas que vous le reverrez ! » Une annonce qui nous écrasa alors que nous pensions retrouver une nouvelle fois nos années heureuses d’enfance. Le jeudi soir, le téléphone sonna à la maison. C’était mon institutrice qui m’annonça de sa voie toujours aussi douce : « Monsieur Meynier est mort hier ! » . Il  était parti épuisé mais avec ma promesse. Dimanche je la respecterai une fois encore. Discrètement et humblement.

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Cet article a 9 commentaires

  1. Massé

    J’ai reconnu, dans cette description de ces successeurs des hussards noirs de la République, mes parents : animateurs de la SEP (Section d’Education Populaire) affiliée à la Ligue de l’Enseignement. Très émouvant. Merci.

  2. Gilles Jeanneau

    Merci pour ce témoignage émouvant du monde d’avant.
    Ils sont devenus fous mais moi aussi, je ferai demain mon devoir…
    Bonne journée quand même.

  3. J.J.

    « Ils ont marqué ma vie sans que jamais j’ai conscience du rôle qu’ils jouaient pour que je devienne un citoyen. »
    Tout au contraire, j’ai eu vite compris l’importance qu’ont eu mes deux maîtres de l’ École Publique, le premier en me faisant comprendre le jour même de l a rentée ce qu’est la Laïcité (sans la nommer), le second en nous inculquant les valeurs républicaines et les devoirs du Citoyen.
    Les leçons d’instruction civique n’étaient pas des matières abstraites. Il nous avait apporté pour illustrer son propos, un exemplaire de la constitution de 1946, fondement de la Quatrième République et son importance (sans trop entrer dans les détails, nous avions 10 ans !).
    Ces leçons avaient quelque chose de solennel sans pour autant sombrer dans la prétention et le dogme d’n culte à une quelconque divinité, ou d’un prétendu enseignement religieux. La discussion était possible, même encouragée.

  4. Eimer

    Cher Jean-Marie,
    Quel magnifique témoignage ! Du coeur et de la raison : l’espoir comme devoir.

  5. Jolivet Marie-Claude

    Ne t’inquiète pas Jean-Marie, je n’ai pas connu M.Meynier, mais avec quelques autres autour de moi nous t’aiderons dimanche à tenir la promesse que tu lui as faite…
    En revanche, il me semble avoir connu M. et Mme Lepvraud…
    Bon dimanche quand même. On tient le coup!

  6. facon jf

    Bonjour,
    l’évocation de votre poignant souvenir ne me fera pas changer d’avis, je reste sur la ligne NINI.
    Les hussards noirs de la III éme république ( nommés ainsi par ch.Péguy) avait pour mission fondamentale : assurer l’instruction obligatoire, gratuite et laïque de tous les garçons et de toutes les filles de France âgés de 6 ans révolus à 11 ans pour ceux admis au certificat d’études primaires ou à 13 ans pour les autres dans un cadre républicain et civique. Et cela afin de « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui vient de la naissance, l’inégalité d’éducation » comme l’avait déclaré Jules Ferry dès 1870. Le surnom a par la suite été repris de diverses manières, et l’on a pu dire les hussards de la sévérité, les hussards de la République ou les hussards noirs de la République tant pour les instituteurs de la IIIe République que pour ceux des IVe et Ve Républiques. Comme beaucoup des gens de ma génération les instits ont profondément marqué mon éducation en m’inculquant les valeurs humaines et républicaines.
    Pour revenir à la peste, je voudrais rappeler qu’elle vient sans doute du fond des âges dans le refus de l’autre comme étant notre égal. En voici un témoignage, Officier de l’armée française durant la conquête de l’Algérie, le lieutenant-colonel Lucien de Montagnac écrit à Philippeville le 15 mars #1843 :

    « On ne se fait pas d’idée de l’effet que produit sur les Arabes une décollation de la main des chrétiens : ils se figurent qu’un Arabe, qu’un musulman, décapité par les chrétiens ne peut aller au ciel ; aussi une tête coupée produit-elle une terreur plus forte que la mort de cinquante individus. Il y a déjà pas mal de temps que j’ai compris cela, et je t’assure qu’il ne m’en sort guère d’entre les griffes qui n’aient subi la douce opération. Qui veut la fin veut les moyens, quoi qu’en disent nos philanthropes. Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par moi-même que s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils recevront une volée de coups de plat de sabre. […] Toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge, ni de sexe : l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied… Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs. En un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens. »

    Au cours de cette colonisation l’ Algérie a perdu 58% de sa population entre 1830 et 1872.
    Le racisme et le fascisme sont inscrits dans NOTRE histoire et bon nombre de nos ancêtres bons Français ont participé à ces massacres atroces. Qui, quel parti ni raciste ni fasciste arrêtera ce qui se passe actuellement sur le territoire Français en Nouvelle Calédonie? Certainement pas le parti de la Mac-Ronnie.
    Les prétendus héritiers de Jules Ferry font mine d’oublier le racisme dans sa pensée, déclaré dans son discours du 28 juillet 1885 « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. (…) Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. (…) « .
    Tout comme un article du Monde paru ce vendredi 5 juillet fait des révélations sidérantes, qui montrent l’ambiance crépusculaire et préfasciste qui règne à l’Élysée. Le Monde confirme que Macron n’a aucune intention de faire barrage au RN : «Certains candidats ont été contactés par les équipes de l’Élysée, et parfois par le chef de l’État lui-même, pour leur demander de se tenir à l’écart de ce front républicain naissant» révèle le quotidien. Cette phrase, lâchée au milieu d’un article, devrait faire la Une de tous les JT. C’est une information capitale. Le président fait le choix de s’impliquer personnellement pour favoriser l’élection de députés RN.
    Le Monde révèle que, le 9 juin, lorsqu’il a annoncé la dissolution, Macron espérait même «qu’une campagne de trois semaines lui donnera l’avantage». Darmanin aurait acquiescé en petit comité : «Le 7 juillet, les blédards seront partis et ne voteront pas LFI». Un résumé de la vision du monde Mac-Ronniste, où se mêlent haine de la gauche, racisme et mépris de classe.
    Alors NON, NON et NON jamais je ne donnerai ma voix à des Mac-Ronnistes menteurs et tricheurs qui se drapent dans les valeurs républicaines pour faire le lit de l’extrême droite.
    Mon vote sera donc NINI, NI Mac-Ronds NI la holding Le Pen.
    Bon vote aux castors qui feront barrage pendant que l’oligarchie confectionnera échelles et échafaudages pour contourner l’ouvrage des castors…
    Bonne journée
    Ps: toutes mes excuses pour avoir une fois de plus dévissé les statues, complotiste un jour complotiste toujours.

  7. Laure Garralaga Lataste

    Magnifique ! et je pleure…

  8. A. Blondinet

    C’est difficile pour moi de passer derrière tous ces témoignages émouvants qui font écho à la tribune – toujours aussi brillante – de JMD. Surtout que j’ai vu la griffe de Jean Eimer, un ami cher, et de Laurita qui me fait dormir depuis des: mois sous le pont de pierre. Pour en revenir au sujet du jour: je me méfie de la peste comme de RN sur la route des vacances. De toute façon, je préfèrerai toujours la blonde à la brune.

  9. J.J.

    Cette déclaration du colonel ci-devant de Montagnac est dans le droit fil de l’esprit (si l’on peut parler d’esprit avec ces gens là ) des conquérants de l’Algérie, avec à leur tête le général Louis Auguste Victor de Ghaisne, ci devant comte de Bourmont, qui organisa et dirigea l’invasion de l’Algérie(pas longtemps car il démissionna à l’arrivée de Louis Philippe et laissa accomplir les basses besognes à ses successeurs).
    Ce charmant personnage, émigré, puis officier vendéen, puis officier sous l’Empire, plus ou moins compromis dans l’attentat de la rue St Nicaise, a trahi Napoléon la veille de Waterloo.
    Nous pâtissons encore, et peut être encore pour longtemps, des séquelles d’actions scélérates menées par de semblables sinistres individus.

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