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Les cagnottes qui achètent les bonnes consciences

Lorsque l’on est au cœur du désastre de l’affaire Dreyfus, Zola utilise sa plume et le journal qui lui accorde sa confiance pour un retentissant « J’accuse… ». Il apporte son soutien moral avec un courage exceptionnel d’immigré italien à celui dont on mettra des années à reconnaître l’innocence. En accusant nominatives contre dix acteurs de l’affaire, dont le ministre de la Guerre et le chef d’état-major de l’armée, le romancier sait qu’il se met sous le coup de la loi et qu’il n’évitera pas une condamnation.

Zola comparaît au mois de février 1898. Bien que le président de la Cour interdise de parler de l’affaire Dreyfus, plus de cent témoins parviennent à s’exprimer. Zola est condamné au maximum de la peine et il est contraint de quitter le pays Mais le procès a mis au grand jour les failles de l’accusation contre Alfred Dreyfus, ce qui a pour conséquence la révision de son cas quelques mois plus tard (procès de Rennes en 1899 suivi de sa grâce immédiate puis 7 ans plus tard, en 1906, de sa réhabilitation par la Cour de cassation). « J’accuse… ! » est donc, au travers de son engagement et en raison des résultats obtenus, le symbole du pouvoir de la presse au service de la défense d’un homme et de la vérité. Il restera comme un évènement exceptionnel !

Ce courage et cette abnégation au service de la défense des droits individuels ont été oubliés et désormais on noie les valeurs essentiels dans lé délire d’extrémistes éructant sur des plateaux alimentaires des télévisions sans aucune déontologie. La situation évolue encore de manière catastrophique avec un nouveau phénomène qui a le parfum d’une société obnubilée par le fric, seule référence morale en vigueur.

En effet au cours de ces derniers mois la manière la plus répandue de témoigner de son soutien à un coupable ou une victime dont on ne connaît pas la situation réelle réside dans le lancement d’une cagnotte. Un processus odieux exploité par tous les escrocs que compte une société dans laquelle la morale se mesure au montant du compte en banque. Inutile d’attendre un jugement ou au minimum de respecter les procédures en cours : par son don on devient juré de cour d’assises. En sortant sa carte bleue on obtient le droit de soutenir sans risques et de manière anonyme le pire individu. L’onction de l’argent a valeur de grâce judiciaire.

Neuf jours après sa fermeture, la cagnotte polémique créée par exemple en soutien au policier qui a tué le jeune Nahel à Nanterre fin mai a été versée à sa famille hier 13 juillet.  Un million six cents trente cinq millez six cents quatre-vingt euros ont été récoltés auprès de 82 000 personnes et cette somme doit selon le texte de l’appel de fonds à « soutenir « la famille du policier de Nanterre, Florian. M, qui a fait son travail et qui paie aujourd’hui le prix fort ».». Les fonds « ont été retirés par la bénéficiaire » aussitôt que possible pour éviter des contestations possibles. Rappelons que la cagnotte avait été lancée fin juin par l’ancien porte-parole d’Éric Zemmour juste après le décès de Nahel et la mise en examen du policier. La famille ne pourra pas utiliser l’argent poru la défense du mis en examen. Qui contrôlera avec quels fonds sont payés les avocats ? 

Cette initiative comme bien d’autres du même genre pose un problème moral réel. Il n’est pas certain qu’elle ait choqué autant de consciences que le « j’accuse » de Zola et son auteur est devenu un héraut de la défense de la police. Pas plus que l’appel public aux dons de Sarkozy pour régler l’ amende dans la condamnation pour dépassement des comptes de campagne était acceptable. La bagatelle de dix millions d’euros dont on n’a plus entendu parler ! Désormais le pouvoir de l’argent efface toutes les fautes ! La « famille » du mort n’a pas eu autant de succès. 

Le pire c’est que dans le cas de la disparition du gamin dans les Hautes Alpes des fausses cagnottes ont été lancées au nom de la famille. «La famille d’Émile a constaté que des cagnottes avaient été ouvertes au nom de leur enfant ou au nom de la famille (…) et elle tient à préciser qu’elle n’en est pas à l’origine», a expliqué le procureur de la République en menaçant d’ouvrir une enquête pour escroquerie si celles-ci n’étaient pas fermées. L’escroquerie est punissable d’une peine de cinq ans de prison mais ce qui est pris n’est plus à prendre. Un procédé qui ne va que s’amplifier puisqu’aucun contrôle réel n’est effectué sur l’utilisation des fonds et que l’on aura comme toujours du mal à retrouver les initiateurs de cette escroquerie.

« J’accuse » c’était le pouvoir du verbe, des mots. Le courage des valeurs. La volonté de soutenir une cause avec les moyens donnés par sa plume. La « cagnotte » était gonflée par le courage et la révolte face à l’injustice d’un homme face à la meute. On plonge dans la solidarité honteuse mais comme l’argent est roi on oubliera le reste.

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Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

     » le symbole du pouvoir de la presse au service de la défense d’un homme et de la vérité. Il restera comme un évènement exceptionnel ! »

    Exceptionnel, certainement, car un article tel que « J’accuse » aurait certainement peu, sinon aucune chance de « passer » dans un journal contrôlé et censuré par le pouvoir financier.
    Sa diffusion dans une autre presse, non aux ordres, donc ne bénéficiant pas d’une ample distribution resterait confidentielle et sans effet sur le pouvoir(et aurait peut être même droit à l’intervention discrète d’Anastasie).

  2. Laure Garralaga Lataste

    Mais aujourd’hui… pourrait être « lancé » sur le net…avec l’espoir d’un magnifique exploit… ! Reste le problème de… « la dimension du résultat de cet exploit…! »

  3. LAVIGNE Maria

    Où va ce monde devenu complètement fou ? Certains pensent peut-être que l’argent efface tout, donne bonne conscience. La peine de mort a été abolie mais reste le permis de tuer presque en toute impunité.
    A l’école primaire, une phrase de morale était affichée au tableau et nous devions commenter, apprendre. Aujourd’hui, plus rien, chacun fait sa propre loi, son interprétation suivant la chaine d’infos pose problème et il faut du courage quand on ne va pas dans le sens su vent…

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