You are currently viewing 1944 : le grand jour et les mauvais d’après (3)

1944 : le grand jour et les mauvais d’après (3)

Dernière évocation de ce 6 juin 1944 et des jours qui suivirent par Jean-Jacques Bonnin, enfant charentais dans la tourmente de la Guerre. Je ne crois qu’au récit des femmes, des enfants et des hommes qui font vivre l’Histoire. J’espère que cette série vous aidera à comprendre la situation dans laquelle nous sommes.

« Le 6 juin au matin, lorsque ma mère est venue me réveiller et qu’elle m’a simplement dit  » Ça y est ! « , je n’ai pas eu besoin d’autre explication, je me suis précipité ouvrir les contrevents. Un soleil splendide resplendissait, contrairement au temps qu’il faisait paraît-il ce jour là en Normandie.

Je fus pourtant déçu un court instant : dans ma naïveté enfantine, je croyais que j’allais entendre les bruits de la bataille, voire des soldats anglais ou américains, des camions, des chars, comme j’avais vu arriver les allemands. J’ai cependant très vite compris, après avoir vu la carte de l’Europe affichée dans la cuisine que çà n’était pas tout près de finir.

Cette nouvelle ne changea pas beaucoup la vie quotidienne, la nourriture demeura (pour quelques années de plus hélas) aussi peu abondante et d’aussi mauvaise qualité. Mais l’espoir allait cependant grandissant d’une libération prochaine. Les interventions de l’aviation alliée se firent de plus en plus nombreuses ainsi que les actions de la Résistance de plus en plus audacieuses, surtout sur les voies de communication afin de ralentir, voire de bloquer les troupes d’occupation pour les empêcher de gagner la Normandie.

Je n’allais plus en classe, je savais lire et l’année pouvait se terminer sans trop de mal. En effet, les vacances avaient été avancées, à cause des alertes incessantes. Mais la répression s’était beaucoup intensifiée, l’occupant se faisait plus menaçant, voire féroce.

Vers le douze ou treize juin 1944, une amie vint nous voir. Elle revenait du Limousin où elle avait l’autorisation de se rendre de temps en temps, ayant ses propriétés à gérer dans la région de Saint Junien. Elle nous raconta une horrible histoire : les Allemands étaient venus dans un petit village proche de Saint Junien et avaient massacré toute la population puis incendié et réduit en cendre l’agglomération. Seul, un jeune garçon s’était échappé en se cachant dans une fosse d’aisance. Malgré la confiance que nous avions dans cette personne, nous avons eu de la peine à ajouter foi à ce récit. Hélas, il était authentique, c’est ainsi que nous avons appris les premiers détails sur le sort tragique du village d’Oradour sur Glane, dont nous n’avions jusqu’alors jamais entendu parler.

Le ressentiment envers nos anciens occupants resta vif longtemps. J’avoue que je n’avais pas la grandeur d’âme de Manouchian, chef des FTP M.O.I., fusillé le 21 février 1944 qui écrivait dans sa lettre d’adieu :  »  Je meurs sans haine pour le peuple allemand ». Un jour, un ami de Saint Junien m’a guidé dans la visite du village. J’avoue que je n’ai pas beaucoup parlé tout le temps que nous avons traversé les ruines, j’avais la gorge trop serrée.

Malheureusement, ce sinistre événement, hormis le souvenir que l’on continuait à entretenir avec respect n’allait pas tarder à revenir bruyamment dans l’actualité.

En janvier 1953 s’est ouvert à Bordeaux (bien trop tard diront certains, beaucoup trop tôt affirmeront d’autres), le procès des responsables de cet ignoble forfait, tout au moins celui des rescapés de « Das Reich » les « lampistes », que l’on avait pu retrouver. On crut l’émotion à son comble lorsque l’on apprit que parmi les 21 accusés se trouvaient 14 alsaciens, redevenus français depuis 1945. Parmi ces 14 hommes, un seul était engagé volontaire dans la   , les autres, la plupart âgés de moins de dix-huit ans au moment des faits étaient des « Malgré Nous », germanisés et enrôlés de force dans la Wehrmacht puis affectés dans la S S . On connaissait mal à cette époque dans le reste de la France, le monstrueux calvaire qu’avait subi l’Alsace occupée et germanisée de force.

Le rôle du tribunal fut rude car il était difficile aux jurés de condamner ces hommes (je parle des « Malgré Nous ») qui étaient pratiquement des innocents, payant pour les vrais coupables, morts ou en fuite qui passèrent le reste de leur existence parfois sous une fausse identité sans être inquiétés. Il était également difficile de les relaxer face à un public traumatisé et qui criait vengeance. Seul l’engagé volontaire fut condamné à mort et les autres à des peines de principe. Ce verdict déjà fut fort contesté.

Lorsque l’on apprit que le parlement avait voté le vingt février 1953 une loi d’amnistie pour les condamnés, cette fois dans la région l’émotion fut à son comble. Mais que pouvait-on faire d’autre ?

Cette malheureuse affaire créa une discorde compréhensible, aujourd’hui effacée, entre l’Alsace et le Limousin. Chacun aveuglé par sa propre souffrance ne pouvait pas admettre les arguments des protagonistes. A l’époque nous avions discuté en classe avec notre professeur principal de cette affaire. Nous, voisins et presque témoins du drame, nous nous révoltions contre cette clémence.

Notre professeur avait été requis par la « Luftwaffe » pendant l’occupation pour aller creuser des abris dans le roc pour l’aérodrome de Châteaubernard. Il nous expliqua : –  » Lorsque vous savez que celui qui vous donne un ordre braque un pistolet dans votre dos, vous êtes peu portés à la désobéissance.  » Si ces malheureux alsaciens avaient tenté de désobéir, ils auraient été irrémédiablement et inutilement abattus, ils n’auraient rien empêché. Leur seule faute était de s’être trouvés là,  » malgré eux « .

Heureusement les dissensions se sont peu à peu effacées et les bons souvenirs ont fait oublier les mauvais. Visitant un jour Strasbourg, mon guide eut à cœur de montrer les rues qui portent des noms de localités de notre région, en remerciement de l’hospitalité dont les réfugiés de 1940 bénéficièrent en arrivant chez nous. Il m’est arrivé également de résider quelques jours dans la banlieue de Strasbourg. Lorsque mes voisins m’ayant questionné ont connu ma « provenance », ils se sont livrés à des démonstrations d’amitié et m’ont offert des fruits et des légumes de leur jardin, évoquant leur malheureux voyage et le réconfort qu’ils avaient trouvé. »

Merci à Jean-Jacques de m’avoir autorisé à publier ses souvenirs. 

Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    J’ai oublié de citer d’autres drames qui se déroulèrent en ce mois de juin 1944, en Limousin (comme hélas ans d’autres régions françaises), grand pays de Résistance.
    Tulle : 9 juin 1944 : 120 hommes sont arrêtés par les forces d’occupation, 99 seront pendus aux balcons et aux réverbères de la ville, 9 seront déportés sans retour.
    Puis 148 otages furent arrêtés et déportés, seuls 48 sont revenus.
    Sans compter les arrestations et déportations systématique et quasi routinière de la population juive.
    Mais la Résistance (les « terroristes ») n’était pas inactive, et outre les actions de harcèlement, on peut citer la bataille du Mont Gargan, où un petit groupe de FTP sans « armes lourdes » a tenu en échec une importante troupe d’ennemis puissamment armés.

  2. Darmian Marie-Christine

    Merci d’avoir partagé cette mémoire
    Merci de laisser les mots raviver les mémoires
    Elles se perdent tellement aujourd’hui les mémoires
    Les mots sont vrais juste ceux des souvenirs d’un gamin
    Merci du fond du cœur
    Comme j’aimerai que la lumière des mots éclairent les chemins à venir

Laisser un commentaire