Depuis des décennies, le volume des contraintes imposées par la loi ne cesse d’augmenter. Dans son rapport annuel le Sénat dresse un bilan de l’application concrète des textes parlementaires. Un document édifiant car il casse l’idée généralement très répandue que dès son adoption un texte est exécutable et exécuté. En fait il s’écoule généralement des mois avant que les fameux décrets d’application paraissent au journal officiel. Souvent ils sont suffisamment ciselés par les fonctionnaires spécialisés pour devenir abscons ou impossibles à mettre en œuvre. Trop souvent la délégation est donnée à de multiples représentants de l’État qui n’ont pas les moyens de vérifier leur exécution. Mieux ils attendent qu’une jurisprudence découle du déferrement devant la justice pour être certain de bien interpréter ce que des « génies » de la complexification ont pondu.
Depuis maintenant un demi-siècle, les occupants du Palais du Luxembourg s’attachent donc à vérifier que les mesures d’application appelées par les lois votées par le Parlement sont bel et bien prises, et dans un « délai raisonnable » (sic). Alors que nos concitoyens croient parfois que les lois sont appliquées dès leur passage en conseil des ministres, une lenteur excessive dans la prise des textes réglementaires requis peut susciter, à l’heure des réseaux sociaux et de l’information en continu, des incompréhensions d’autant plus grandes que la médiatisation des projets du Gouvernement aura été forte. Or l’exécutif, qui semble chercher à rapprocher le temps du législateur du temps de l’information, ne s’astreint pas toujours à la même rigueur lorsqu’il s’agit de s’assurer de l’application complète des dispositions législatives votées par le Parlement. Loin s’en faut.
Nous traversons une période, avec la rébellion des agriculteurs qui met en évidence ce phénomène. Les manifestants ne sont pas dupes car ils ont bien compris que les « annonces » présentées comme les plus urgentes prennent des semaines voire des mois avant de se concrétiser. C’est la vertu de l’administration centrale de respecter un processus tellement tarabiscoté que le politique est forcément discrédité. Un seul exemple : aucune loi concernant les collectivités locales et les établissements publics ne saurait être débattue à l’Assemblée ou au Sénat sans le passage devant le Conseil national d’évaluation des normes applicables afin d’évaluer les propositions et surtout les conséquences pour celles à qui elles sont destinées.
J’ai siégé dans ce Conseil et j’ai vite compris que c’était un alibi permettant d’assurer qu’une consultation des élus locaux avait eu lieu. Des kilos de documents arrivaient avec des considérations techniques compliquées pou ne pas dire incompréhensibles par un simple maire, la veille du passage au Palais Bourbon. Examinés dans l’urgence ils étaient accompagnés d’une injonction gouvernementale à répondre dans l’urgence pour ne pas perturber le calendrier de l’Assemblée. Résultat la loi sur des modifications importantes nécessitait des amendements commandités par l’Association des Maires de France pour devenir acceptable.
Entre 2021 et 2022, Le taux global d’application des lois calculé par le Sénat enraye sa baisse, pour s’établir à 65 % des mesures attendues, contre 57 % pour 2020-2021. Si l’on exclut les mesures dont le législateur a prévu une entrée en vigueur différée, il atteint 68 %. Cette amélioration reste cependant relative : le taux global d’application des lois pour 2021-2022 est de plus de 10 points inférieur au niveau de la session 2017-2018 (65 % contre 78 %). Un aveu de faiblesse absolue puisqu’un texte en procédure accélérée (sic) sur trois présenté comme salvateur, d’une situation grave reste… lettre morte.
En moyenne, les mesures réglementaires d’application des lois ont été en effet publiées… 5 mois et 20 jours après la promulgation du texte. Ce délai s’allonge cependant paradoxalement pour les mesures issues de lois adoptées après engagement de la procédure accélérée : il atteint alors 6 mois et 8 jours alors que ce choix porte à croire que l’entrée en pleine application de la loi discutée est considérée comme particulièrement urgente par le Gouvernement. Ce dernier s’en sert de plus en plus (45 lois sur 64, soit un taux de 70 % comparable à celui de l’année dernière). 17 de ces 45 lois (soit près de 40 %) sont encore seulement partiellement mises en application et 4 sont encore non appliqués (contre 1 seule la session précédente).
Et en plus il n’ya plus de fonctionnaires en nombre suffisants pour les faire appliquer. Quand on lit dans un article de Sud-Ouest.fr que lors d’un simple contrôle pour un dépassement interdit, un chauffeur routier a fait l’objet de 23 procédures différentes pour des défauts d’application des règles sociales en matière de conduite de poids lourds… C’est un sur des milliers ! Comme quoi les textes réglementaires sont efficaces…
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Et que dire des lois « annonces « , jamais promulguées car existant déjà.
Sarkozy en était un spécialiste, je pense au tapage sur la suppression des allocs suite aux absences scolaires non justifiées, alors que c’est dans le texte d’origine , mesure jamais appliquée.
Le seul Journal Officiel que je connaisse est le Canard Enchaîné. Sa lecture me laisse un goût de bourbon au palais. Les députés aussi qui n’aiment leur enceinte que pour se tailler à la buvette. Heureusement qu’il nous reste Roue Libre!
Le plus bel exemple de procrastination gouvernementale que je connaisse : l’extension à 16 ans de la prolongation de l’obligation scolaire.
La réforme fut décidée en janvier 1959, juste après l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution. En juin 1957, alors qu’elle devait être appliquée à la rentrée, nous ne savions pas ce qu’allaient devenir nos élèves ( généralement de Fin d’Études et inquiets sur leur sort), faute de parution d’un décret d’application et de consignes particulières….