Étonnante confidence faite par un ami avec qui je parlais de l’évocation mémoire proposée par une association locale autour de la Commune libre de la gare de Créon : « je n’y viendrai pas car pour moi ce n’est pas de la culture ! » Cette affirmation me révolte profondément car elle contribue justement à marginaliser toutes les initiatives citoyennes populaires autour du patrimoine humain. Je l’ai entendue maintes fois à propos de moments traditionnels perpétuant les initiatives prises pour donner un brin de distraction aux communs des mortels. Le monde se réclamant de la culture est souvent celui du mépris.
Les fêtes de la rosière : ce n’était pas de la culture ; la venue d’une troupe de théâtre de boulevard : ce n’était pas de la culture ; un concert d’accordéon : ce n’était pas de la culture ; un livre ou un film ayant attiré un large public : ce n’était pas de la culture ; un concours de peinture de rue : ce n’était pas de la culture; une reconstitution du passage de Molière à Créon : ce n’était pas de la culture ! Inexorablement les critères se renforcent. J’ai en mémoire en 1989, les refus des autorités « culturelles » de l’époque d’attribuer des subventions à la municipalité créonnaise qui avait aménagé l’espace culturel actuel et les locaux de la bibliothèque car ils n’étaient pas gérés par des professionnels sous l’égide de la puissance publique.
Ainsi dans le patrimoine si les immeubles, les constructions, les édifices concentrent l’intérêt des autorités dispensatrices de subsides, il est de plus en plus rare de les voir soutenir des initiatives construites par la population ou des associations souhaitant transmettre non pas une œuvre réputée de haut niveau, mais simplement le produit de leur initiative, de leur imagination, de leur passion. Or tout est culturel à partir du moment où l’action conduit un public à apprécier une réalisation portée par l’envie de communiquer de ceux qui l’ont créée.
Il fut une époque où la préoccupation principale de la puissance publique était de proposer des lieux ou des actions destinés à favoriser l’accessibilité du plus grand nombre aux arts de toute nature. La notion d’éducation populaire est indissociable de celle de la création de ces fameuses « maisons » où l’on pouvait non seulement croiser la culture apportée par les autres mais aussi et surtout la construire selon ses souhaits et son talent. Les fameuses MJC que Léo Lagrange avait souhaitées dans le gouvernement du Front populaire, ont ouvert bien des esprits et ont contribué à instiller dans la jeunesse l’idée que la culture n’était ni rébarbative, ni élitiste.
Le seul fait de pouvoir se confronter à un public dans n’importe quel style, dans n’importe quel rôle, avec n’importe quelle réalisation, constitue un défi qui mérite le respect. Un homme ou une femme cultivés ce sont avant tout des êtres capables d’apprécier ce que représente vraiment ce qu’il entend, regarde ou ressent. Et pour cela peu importe le niveau, il lui faut avoir été confronté à la création. La culture se vit et ne se subit pas. La culture se conquiert et contrairement à ce principe trop utilisé ce n’est jamais ce qu’il reste quand on a tout oublié ! Heureusement d’ailleurs car on ne retient que des bribes de tout ce que l’on tente d’apprendre, mais on se souvient toujours des efforts que l’on a été contraint de déployer pour y parvenir.
Le mépris pour ce qui serait « populaire » s’amplifie pourtant chaque jour un peu plus. Il est vrai que la facilité se répand à la même vitesse. Hier soir je regardais les César cérémonie révélatrice d’une déconnexion totale entre les aspirations et les accompagnements du public et les certitudes des « spécialistes ». Quelques minutes auparavant avec une petite troupe de branquignols je répétais la mini-pièce de théâtre que j’écris chaque année pour le gala de solidarité des Cruches sadiracaises. Je sais : débile, simpliste, médiocre ! Je sais que mon ami n’y viendra pas car « culturellement déficient! »
Le vrai bonheur était déjà pour moi dans l’écriture mais aussi dans le fait de mettre sur une scène des femmes et des hommes totalement étrangers au monde du spectacle mais qui partent à l’aventure avec modestie, enthousiasme, auto-dérision… Leurs rires, leur envie, leur volonté, leur sérieux pour réaliser un ouvrage à leur mesure, me réconcilient avec ce monde de simplicité qui amène les autres à sortir de la routine télévisée. Les soirées de l’amicale laïque sadiracaise dans mon enfance drainait des centaines de personnes vers une salle improvisée dans un séchoir à tabac… avant que le maire ait la judicieuse idée de construire une salle avec une scène ! Que du plaisir… Mieux qu’à l’Olympia ou à la Comédie française !
« La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » Malraux savait bien que la conquête reste la résultante dans la quasi-totalité des cas, de la mobilisation de gens ordinaires qui luttent pas à pas pour la gloire des autres. Je préférerai mille fois une culture construite par les citoyens à celle qui est apportée clé en mains aux consommateurs… Je sais je n’aurai pas de César si ce n’est celui du déshonneur.
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Il faudra penser à offrir du foin à ton ami
J’ai connu un très bel exemple de « culture populaire » que m’avait conté le « vieux premier ancien maire » de la commune de Grand village en Oléron, dont il avait été pratiquement le fondateur. J’avais fait sa connaissance (sans les savoir au départ) comme « percepteur » bénévole des droits du camping municipal qu’il avait contribué à créer.
Près de ce camping, sous les pins maritimes se trouvait un ancien bâtiment en bois qui abritai le cœur de la culture populaire du village(ancêtre rustique et précurseur des Maisons de la Culture) . Assez vaste pour accueillir des réunions de la population venue écouter de la musique, des « exposés » pompeusement baptisés conférences, des lectures à voie haute, participer à des discussions, des séances de cinéma ou de théâtre amateur (les étranges lucarnes ne sévissaient pas encore) dans une atmosphère quasi familiale.
J’y ai assisté moi même à des concerts ou autres spectacles avant que le bâtiment ne soit rasé pour faire place à une « salle polyvalente » nettement moins populaire et familiale.
Et détail intéressant, les habitantes et spectatrices, bien que ne perdant pas une miette des activités s’activaient manuellement elles aussi, qui avec son tricot, qui en berçant son nourrisson, qui avec des haricots ou des pois à écosser, résultat de la « culture » dans les jardins….
J’ai aussi assisté une fois à un étonnant spectacle dans le théâtre d’Angoulême. Un de mes camarades, responsable de la classe dans le camp des « gens du voyage » avait organisé un concert avec divers artistes : des guitaristes genre « Manouches de saint Ouen », un guitariste de flamenco, et clou du spectacle, un musicien rom, chanteur s’accompagnant à la balalaïka, présenté comme « ministre de la culture du peuple Rom ».
Je n’ai jamais assisté à un spectacle avec un public aussi sage et attentif, aussi délirant dans ses ovations aux artistes, Aussi fier d’avoir été accueilli dans un lieu où ce genre de public est rarement admis et qui avait eu un comportement absolument irréprochable. Dommage, ça ne s’est jamais renouvelé, le camp n’existe plus, et les enfants de passage n’ont plus de classe adaptée à leurs besoins.
Bonjour Jean marie
On n’a pu assister à la conférence sur la commune libre de Créon
C’est d’autan plus un regret que l’histoire et en particulier celle de Créon nous intéresse depuis plus de 30 ans…
Aussi je pense que notre proximité fera nous rencontrer afin de me procurer le livre que tu lui a consacré
Amicalement
Jean-Pierre et Danielle
Bonjour,
la culture en voila un concept qui est utilisé à tort et à travers. La culture humaine est, selon le sociologue québécois Guy Rocher, « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte. »
Par abus de langage, on utilise souvent le mot « culture » pour désigner presque exclusivement l’offre de pratiques culturelles dans les société marchandes, et en particulier dans le domaine des arts et des lettres.
Nous voici donc au milieu d’un océan de complexité où s’entremêlent ce que l’on nomme en langue française, le mot culture qui désigne tout d’abord l’ensemble des connaissances générales d’un individu et les références culturelles du groupe. Comment un mot d’esprit pourrait-il » passer la rampe » sans la connaissance minimale pour saisir sa référence culturelle. Ainsi si je dis à propos du salon de l’agriculture » on est bien Tintin ! » je passe à coté si mon auditoire à moins de 60 ans. C’est bien ce qui justifie l’appréciation individuelle pour définir ce qui est culturel et ce qui ne l’ai pas.
La Culture a été de tout temps un instrument politique ou religieux pour véhiculer l’image de puissance des pouvoirs.
« Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver » il est difficile de comprendre le sens de cette phrase, attachée au III éme Reich, sans en connaître son contexte historique précis. pour le régime nazi. le 20 avril 1933 est un grand jour: on fête l’anniversaire d’Adolf Hitler, aux rênes du pays depuis moins de trois mois (il est propulsé chancelier du Reich le 30 janvier 1933). Pour l’occasion, on joue la première d’une pièce de théâtre écrite spécialement par un certain Hanns Johst et sobrement intitulée Schlageter, du nom d’un certain Albert Leo Schlageter, jeune Allemand de 23 ans fusillé par l’armée Française en 1923 pour s’être opposé manu militari à l’occupation étrangère de la Rühr.
Dans la première scène, on retrouve le jeune « héros » nazi en pleine discussion existentielle avec un ami. En périodes de révisions de leur examen universitaire, les deux compères se demandent s’il est bien utile de continuer à étudier tant que leur pays n’a pas retrouvé sa liberté.
Pour l’ami de Schlageter, les études sont vides de sens et seul compte le combat armé contre l’ »envahisseur ». À quoi sert d’être instruit quand on n’est pas libre? Et de sortir: « quand j’entends le mot culture, j’enlève le cran d’arrêt de mon Browning ».
Grands rires dans la salle. La saillie fait mouche. Et le chef des jeunesses hitlériennes (de 1933 à 1940), Baldur von Schirach, de reprendre à son compte l’expression et de s’écrier à qui veut l’entendre (et à qui ne le veut pas également d’ailleurs…) : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver! »
Et le parti nazi de joindre le geste à la parole en organisant des bûchers de livres et en déportant les intellectuels dans des camps de concentration. Ils constituent les autodafés allemands de 1933.
C’est quoi donc un autodafé? C’est un clin d’œil à une des périodes sombres de l’Histoire: Traduisible par « acte de foi », c’est une cérémonie de pénitence publique pratiquée par l’Inquisition au Moyen-Age. (Ceux qui refusaient d’avouer leurs pêchers étaient jetés sur le bûcher).
Pour revenir sur la culture générale, qui correspond à l’ensemble des connaissances qu’ un individu a sur le monde.Elle est en partie construite par l’éducation et l’enseignement, mais comprend de surcroît une part de construction active de la part de l’individu. Elle comprend aussi une dimension de structuration de l’esprit, vis-à-vis de l’ensemble des connaissances : La culture est ce qui reste lorsque l’on a tout oublié (attribué en général à Édouard Herriot). Cette structuration donne au sujet cultivé la capacité de rattacher facilement un quelconque domaine d’étude à ses connaissances. C’est la culture générale. Ainsi, la culture générale peut inclure des connaissances aussi diverses que l’Histoire, la musique, l’art, la littérature, les sciences, l’astronomie, la géographie, la philosophie, le cinéma, le sport…
On voit cependant que cette conception de la culture, qui peut paraître élitiste, correspond en fait à la définition de la culture individuelle. Les cultures de différents groupes sociaux (culture populaire par exemple) peuvent comporter des formes de connaissances plus variées ou plus particulières. Par rapport à ces formes de culture, la culture générale est le fond de culture minimal que devrait posséder un individu pour pouvoir s’intégrer dans la société.
Ce n’est pas ce que font les grands mamamouchis qui croient nous gouverner lorsqu’ils taillent dans les budgets de l’Éducation Nationale ou dans les crédits de la culture.
« … Il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Il faudrait multiplier les maisons d’études où l’on médite, où l’on s’instruit, où l’on se recueille, où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur ; en un mot, il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd. » Victor Hugo discours sur la liberté de l’enseignement, 15 janvier 1850.
Bon repos de fin de semaine
Après avoir bien ri à la lecture du commentaire de Ph. Conchou, je me suis trouvée confortée dans l’idée que je ne devais pas être très cultivée, moi qui recherche dans toutes les régions visitées les musées de cultures locales, régionales et patrimoniales, les fêtes traditionnelles, les photos et les témoignages de « comment c’était avant »…
L’histoire locale ne serait donc pas de l’Histoire, la grande, celle qui fait partie de la culture?
Et j’admire ce passage de V.Hugo, bien sûr.