Depuis plusieurs jours je ne traînais pas comme à l’habitude, sur le chemin de l’école du bourg de Sadirac. En culottes courtes, malgré le manteau, le froid mordait cruellement. Heureusement en ce 20 février 1956 , la température tellement basse dans la quinzaine précédente que la Garonne charriait des glaçons, remontait un peu. Une journée particulière puisque c’était celui de la période de mon neuvième anniversaire dont on ne faisait pas grand cas. 1956 : l’année référence des sports d’hievr improvisés.
Mon père très affairé à trouver des solutions pour doper les poêles à bois des des classes et ma mère préoccupée par les menus de la cantine s’affairaient dans la mairie de Sadirac où nous étions logés. Un répit en cette fin janvier et première quinzaine de février ayant donné tout son sens à ce que pouvait être un hiver rigoureux. Pas de bulletins météo télévisés ou de prévisions à moyen terme mais une gestion de cette période totalement inédite, au jour le jour. Seule la radio nationale pouvait avancer l’hypothèse d’une réchauffement salvateur ou d’une nouvelle plongée dans le froid intense.
A l’école les élèves de service de fin d’études relevaient bien quotidiennement le monumental baromètre à mercure s pour en consigner les niveaux dont ils ne mesuraient pas forcément les subtilités inventées par un certain Toricelli ! Quand au thermomètre à alcool fixé sur la même planchette vernie il restait désespérément figé, malgré un sursaut ce vendredi là, sur le zéro ! Il avait eu des idées négatives depuis plusieurs jours et la feuille hebdomadaire du relevé avait donné un graphique plutôt en chute libre !
Comme tout le monde venait à pied matin et soir les histoires de glissades excentriques sur les chemins non goudronnés desservant les hameaux, alimentaient les échanges à la cantine seul endroit où le contenu de l’assiette préparée par Madame Bourtayre sur sa monumentale cuisinière à feu continu, réchauffait le corps. Les maisons ayant le chauffage central se comptaient sur les doigts d’une seule main. Il fallait aller chercher le bois dans une panier conçu à cet effet ou puiser, munis du seau à charbon, à la cave ou dans la grange du combustible dans la masse des boulets livrés à la hâte par un charbonnier créonnais trimant comme un « noir » qu’il était, avec son sac en capuche sur la tête lui couvrant le dos ! Et encore le charbon était l’apanage des gens aisés… et donc pas de la grand majorité des familles. Pour les autres point de salut sans le bois !
A la mairie pas de réseau d’eau potable car le puits était pollué et surtout aucun chauffage dans les chambres du premier étage. La glace chaque matin devait être grattée sur l’intérieur des vitres. Nous bénéficiions d’une mesure de faveur. Ma mère chauffait deux fers à repasser sur la cuisinière qu’elle venait passer sur les draps avant que nous puissions nous glisser dans les draps. Un bref moment de confort avant de s’ensevelir sous l’édredon en duvet des oies tuées au cours des années antérieures. Sadirac grelottait. Sadirac ne parlait que du gel des pieds de vigne. Sadirac ne vivait depuis quelques jours qu’au rythme des ses thermomètres.
Le vendredi 17 les bougies allumées sur le « millas » de ma grand-mère Catherine ne réchauffèrent guère l’ambiance. Il s’était remis à faire froid et le lendemain il nous faudrait repartir pour une journée d’école avec… douche obligatoire l’après-midi ! Rien n’y ferait nous passerions sous la pomme d’eau chaude avant de retrouver l’ambiance glaciale dans la cour où il serait bien entendu pas très recommandé de courir sur le sol gelé. Heureusement j’avais la solution du repli vers les livres du Bibliobus que je dévorais les uns après les autres avec un appétit d’ogre. Le maître ne refusait jamais à celles et ceux qui voulait lire de se réfugier en classe…
La situation ne s’était guère améliorée durant le week-end mais comme rien ne pouvait nous en empêcher nous avions descendus la route empierrée, défoncée et glacée de Pomadis pour prendre le repas dominical cher nos grands-parents maternels. Faute de légumes « arrachables » au jardin ce fut un lapin qui fut sacrifié accompagné des pommes de terre de sa récolte automnale en train de geler dans le chai bien que mon grand-père l’ait mieux couverte que son propre lit avec des chiffons, des vieux matelas et de couvre-pieds élimés. Qu’espérer d’autre à neuf ans que la venue de la neige salvatrice. Elle ne fut pas au rendez-vous le lundi matin… ce qui nous valu de partir en classe au sprint dans une lutte fratricide pour nous réchauffer.
Ce jour-là pourtant exceptionnellement, compte tenu du temps et surtout d’un nouvel effondrement de la température, notre instit décida de renvoyer chez eux les élèves les plus éloignés ! Ils ne mirent pas beaucoup de temps pour plier leur cartable et filer en courant vers une cheminée dévoreuse de bûches sorties des forêts de Tustal ! Pour une fois nous aussi, nous avions bénéficié avec mon frère d’une libération anticipée et nous avions dévalé la cote du bourg sans demander notre reste, avalé celle conduisant à la mairie au pas de course car les premiers gros flocons lambinaient avant de toucher terre.
Par la fenêtre de la cuisine bien au chaud nous regardions avant d’aller au lit les éléments se déchaîner sur un rythme impressionnant. Vers 18 h c’était une tempête ! Vers 20 h c’était une « avalanche » de papillons blancs tous plus pressés les uns que les autres… qui s’abattaient sur le sol déjà couvert d’une belle épaisseur blanche. Le mardi 21 février au matin mon père eut toutes les peines du monde à ouvrir les volets de la porte d’entrée de notre logement. Il régnait un étrange silence. En descendant nous découvrîmes qu’une fabuleuse doudoune de près d’un mètre de neige couvrait toute la cour de la mairie, toute la route et toute la campagne… Nous n’irions pas à l’école durant quelques jours ! Ce n’était que du bonheur…
Je n’ai pas de photos de Sadirac sous la neige. Celle du bandeau a été prise à Créon, boulevard de Verdun (carrefour de la maternelle) le 22 février 1956
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» Faute de légumes « arrachables » au jardin…. » J’étais quand même parvenu, en ce février 1956, à l’aide d’une pioche, à creuser un « tail » assez profond pour récolter mes salsifis : la terre était gelée, dure comme de la pierre, sur près de trente centimètres de profondeur (la taille approximative de ma récolte) et au bout des racines, où la terre n’était pas gelée, j’ai eu la surprise de découvrir des colonies de petites limaces noires à l’abri du gel meurtrier..
Encore une légende anéantie : non, le froid ne tue pas la « vermine », elle se met à l’abri…
L’exercice avait eu « en même temps » l’avantage de me réchauffer.
Que de souvenirs de cet hiver 56 (pire que 54 par la vigueur et la durée), on n’en finirait pas.
Quelle mémoire Jean-Marie!
Personnellement, j’étais incapable de me souvenir des jours de la semaine de cet épisode de 1956…que j’ai vécu à Fronsac.
Comme ton père, le mien eut du mal à ouvrir les volets et il fallut beaucoup de temps pour pratiquer des allées à la pelle!
Et mon père était le charbonnier du village. Il vendait aussi du bois de chauffage car c’était son activité annexe à la fabrique de tuiles et briques.
Malgré cela, il ne fit pas fortune au cours de cet épisode car 2 ans plus tard, nous quittions Fronsac pour Sainte-Terre dans la propriété d’un vieil oncle, veuf et sans héritier.
Mais je me souviens en revanche des journées ensoleillées où nous allions en bas de la côte du château, au croisement des routes de Fronsac et de Saillans, pour admirer les gens aisés qui pratiquaient le ski ou la luge!
Quelle effervescence à l’époque et malgré la température, ma soeur ainée et moi-même n’avons jamais eu froid.
Ah, la jeunesse!!!
Bonne journée à tous et toutes
Bonjour !
Février 56 ! ! Brrrrrr ! Rien que de l’évoquer, le froid se ravive: les moins-vingt (Nonnn ! Pas horaires mais degrés-centigrades ! !) ont régné en maîtres sur nos villes et campagnes pendant quelques jours. Pour la Chandeleur, je me souviens du regard étonné de ma mère, vers quinze heures, en rentrant sa lessive … gelée sur le fil à linge ! La catastrophe arrivait car ce fut durant cette période pré-neigeuse que les dégâts s’avérèrent graves. La végétation s’étant réveillée avec un mois de Janvier plutôt doux, on pouvait entendre les arbres et …les ceps de vigne éclater sous l’effet du gel: vraiment incroyables pour nos jeunes oreilles mais les visages tristes et hagards de nos parents et aïeux ne pouvaient que confirmer la chose ! Les récoltes 56 furent faibles car, même les céréales d’hiver ont souffert , étant non recouvertes de neige protectrice !
Puis ce fut La Neige: le pays bloqué, silencieux … presque mort. Alors, les initiatives solidaires se réveillèrent : les pelles demi-ronde creusèrent des tranchées profondes de 80 cm de profond reliant les maisons aux toits blancs modelant une image de village de bande-dessinée. Les récents et rares tracteurs, équipés de lames-avant bricolées en bois, parcoururent la campagne sortant de leur isolement forcé des hameaux entiers aux visages « remerciant ». Le forestier mit son GMC, vestige des américains, au service du canton avec une ravale bricolée par son voisin-forgeron.
Personne n’a quémandé véhémentement la déneigeuse départementale : La Solidarité a bien fonctionné … et le soleil est revenu ! ! !
À l’école, pour les élèves proches de la communale ou pouvant accéder, ce fut une riche expérience de classe unique … sauf pour l’instituteur, Monsieur Saigne. Un Hussard-directeur au sérieux mémorable qui avait réuni tous les garçons dans sa salle … pour raison de chauffage ! Les petits ont alors découvert la classe des grands. Tous eurent droit à des révisions avec, comme « sucre d’orge », des trucs et astuces d’orthographe et surtout de mathématiques ! Des merveilles pour nos cerveaux avides qui nous faisaient oublier le froid et la neige !
C’était Février 56 : nous étions … plus jeunes !
Amicalement
Février 56…Seuls ceux du « bourg » de St-Christophe venaient à l’école, et nous nous réunissions autour du poële à charbon, avec nos mains au-dessus. Une seule classe au lieu de deux pour les grands, une autre pour les petits. Quatre maîtres pour deux classes, qui n’en rêve pas aujourd’hui ??? :-)) C’est presque uniquement ce dont je me souviens. Et la photo avec Michèle, dans le bourg couvert d’une épaisse couche de neige, mon meilleur souvenir…
Yvon BUGARET
En février 1956, J’étais au Lycée Agricole de Blanquefort j’ai subi l’hiver le plus froid jamais connu. A Blanquefort, il y avait plus d’1 mètre de neige qui a tenu une bonne dizaine de jours. Les températures étaient tellement négatives (de -10° à -15°) que nous n’avions plus d’électricité, d’eau et de chauffage. J’apprenais que dans les campagnes, comme à Targon et à La Sauve, la situation était beaucoup plus grave car les températures avaient approché les -20°. Mon grand-père (actuellement Vignobles LATORSE), me racontait qu’il entendait les pins dans les bois proches de leur habitation éclater par le gel. Cet hiver 1956 est ainsi devenu historique.