Lorsqu’il me faut reprendre confiance et redécouvrir le vrai chemin de l’engagement qui aura été le mien, je relis avec un immense plaisir le discours de politique générale que Michel Rocard a prononcé le 28 juin 1988 devant une Assemblée Nationale où il n’avait pas de majorité. Chaque mot résonne fortement dans le contexte actuel de notre pays. Celui qui était un premier Ministre en sursis car le monde politique de droite comme de gauche lui était majoritairement hostile avait témoigné d’un courage et d’une lucidité qu’aucun de ses successeurs n’ont eues. Il a largement inspiré tous mes actes dans la vie publique !
Quand celui que j’ai suivi dès le début des années 70 avait un sens de la formule inspirée de sa culture protestante. Ce jour-là sous les regards pour le moins agacé ou moquer de la majorité du groupe politique sensé le soutenir il définit le socialisme qui était le sien, il se tirait une balle dans le pied. Pauvre Rocard qui osait de la tribune du Palais Bourbon affirmer qu’« aucune formation ne détient la majorité absolue dans cette Assemblée. Les socialistes dont j’ai la fierté d’être y sont majoritaires, mais de manière seulement relative. Ainsi en ont décidé les Français.Notre tâche, dès lors, n’est pas simplement de nous en accommoder, d’essayer tant bien que mal de rassembler des voix au hasard des projets. Les Français ont exprimé ce qu’ils voulaient, leur volonté est notre loi et j’entends l’appliquer. Cela signifie en premier lieu que la politique conduite sera conforme aux valeurs qui font les socialistes. La tolérance, la justice, le progrès, la solidarité » Tout ce qui manque profondément au monde politique actuel !
Il ajoutait sans être dupe de l’ambition démesurée de cette pensée : « Tous mes amis qui siègent sur ces bancs y sont acquis. Mais ils savent aussi que les idées qu’ils défendent ne sont jamais si belles, si rayonnantes, que quand elles valent pour tous. Nos priorités ne sont pas celles d’une moitié de la France contre l’autre moitié, mais celles de tous les Français. Défaire ce que les autres ont fait, faire ce que d’autres déferont, voilà bien le type de politique dont les électeurs ne veulent plus. » Jamais paroles ne furent plus sages mais aussi prémonitoires car nous avons au cours des vingt dernières années basculé dans un pays dans lequel on n’a cessé de faire et défaire uniquement pour exister.
Depuis quelques semaines ce n’est pas une moitié de la France contre l’autre moitié mais un billard dans lequel des boules se télescopent, se poussent vers le trou ou grâce à l’habileté des exploiteurs des positionnement des unes ou des autres se rassemblent après trois ou quatre bandes. « Nous ne demanderons à personne de nous rejoindre par intérêt ni de trahir ses convictions. Tous les socialistes qui sont ici entendent bien le rester. Et nous comprenons donc que d’autres, qui sont centristes, communistes, libéraux ou gaullistes n’envisagent pas non plus de renoncer à l’être. Mais avec ceux qui sauront être ouverts, nos différences s’accorderont, sans que nul n’ait besoin de renoncer à ce qu’il est. C’est là ce que veulent les Français et c’est à leur égard que chacun devra donc prendre ses responsabilités. »
Les valeurs énoncés seront malgré toutes les manifestations, les trahisons et les renoncements mises en œuvre. Pour la solidarité il se battra avec pugnacité pour imposer le principe d’un « revenu minimum d’insertion (RMI) » qui sera certes modifié, tronqué, élargi et menacé mais jamais remis en cause. Pour le financement la justice fiscale sera imposée avec la CSG qui s’applique à tous les revenus. Le logement social deviendra une priorité avec la nécessaire mixité et plus encore la réhabilitation de l’existant. On a depuis tout négligé, tout oublié, tout enterré. On taxe et on exonère !
Pour les villes son diagnostic prend une cruelle réalité. « Nous voyons, autre exemple, qu’il y a un grand problème des villes. Ceux qui y résident sont devenus étrangers les uns aux autres. La convivialité de jadis a laissé place à l’indifférence quand ce n’est pas à la méfiance.
On ne se parle plus. On ne connaît plus ses voisins qui, pourtant, vivent et partagent les mêmes problèmes: la difficulté de trouver une place de crèche, le logement trop petit où trop bruyant, les problèmes d’emploi, les résultats scolaires des enfants, la sécurité dans le quartier -en un mot-, la vie.Je pourrais vous dire qu’il faut réconcilier urbanité et urbanisme. Réapprendre à se parler et que cela ne dépend pas que de nous. » Heureusement pou lui il ne voit pas l’état pitoyable d’une pays de l’indifférence à l’autre, de la haine, du fanatisme et de l’affrontement.
« En tant que responsable, mon propos est sans doute austère. En tant que citoyen et tout simplement en tant qu’homme, mon enthousiasme est entier, mon espoir est intact. Je rêve d’un pays où l’on se parle à nouveau. Je rêve de villes où les tensions soient moindres. Je rêve d’une politique où l’on soit attentif à ce qui est dit, plutôt qu’à qui le dit. Je rêve tout simplement d’un pays ambitieux dont tous les habitants redécouvrent le sens du dialogue, -pourquoi pas de la fête – et de la liberté. Je suis de ceux qui croient, au plus profond d’eux-mêmes, que la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. » Rien n’a enlever, ni à ajouter. C’est autre chose que de la pisse d’âne politique.
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Merci Jean-Marie pour ce nouveau regard sur un homme qui m’avait séduit, moi aussi , dans ma jeunesse. J’avais même acheté son bouquin sur le PSU, qui n’avait fait que conforter mon opinion d’alors.
Hélas, comme Mendès-France et Bérégovoy, ils n’ont jamais été appréciés à leur juste valeur par leurs « camarades »! dans ce monde politique impitoyable.
Reste que tout va de mal en pis depuis pas mal de temps….
PS: j’avais fait un commentaire hier aussi mais il est passé à la trappe semble-t-il!
Bonne journée à toutes et tous
S’il s’agissait seulement de manque d’empathie, c’eut été moins grave… ! En réalité, c’était pire que cela… de la HAINE !
« faire et défaire uniquement pour exister. » l semble que cela est la devise de certains ministres, en particulier de l’Éducation Nationale.
À la différence de beaucoup d’autres, Michel Rocard, come Pierre Mendès France étaient des hommes honnêtes, consciencieux et intelligents. Aucune chance de réussir en politique.
C’est bien triste pour la suite, mais hélas terriblement réel… !
Ce matin, je siège aux côtés de Gilou et J.J. et, comme eux, j’ai bu du petit lait en lisant Jean-Marie. Oui, oui! vous avez bien lu: « du petit lait ». Attendant un nouveau Rocard… même si l’Histoire ne repasse jamais les mêmes boissons.
Un Rocard, sinon rien…
Merci Jean-Marie pour m’avoir rajeunie avec cette jouvence de Rocardie.
Boire du « petit lait »… Sans modération… !
Tu as grandi toi aussi avec le verre de lait du grand Mendès France ? Ce qui ne nous rajeunit pas !
Je savais que t’allais pas la rater celle-là!!!