Thibaut Pinot redeviendra dès ce matin un simple citoyen et on n’en fera pas un film. Avec un Tour supplémentaire dans sa musette le Luron de naissance, ajoutera des images inoubliables dans son album de coureur cycliste professionnel. Le temps contre lequel il a dû toujours lutter ne lui a probablement pas permis d’enregistrer les dizaines de milliers d’actes de foi en lui venus des bords des routes françaises. Lui, le pèlerin des cimes, aveuglé par la violence des efforts qu’il s’imposait pour se tailler une place dans la légende des cycles, n’a pas eu conscience de la ferveur de ce peuple qui avait pris bien plus qu’un Petit Ballon d’Alsace pour s’échauffer.
Ils étaient toutes et tous là, venus de perpète, pour attendre depuis de longues heures que passe, après l’armée des véhicules blindés de pub, le hanneton de la FDJ. Thibaut le laborieux. Appuyant sur les pédales avec une force de jardinier retournant le sol du champ où il espère une récolte exceptionnelle, ce dernier s’était affranchi du reste de la troupe. Il croyait alors en ses chances de devancer les chevaux-légers impitoyables lancés à sa poursuite comme autant de tueurs à gage décidés à dézinguer l’homme leur ayant faussé compagnie.
La « Pinomania » battait son plein. Elle récompensait un garçon pétri d’humanité avec ce que cette qualité comporte comme forces et faiblesses. La France n’ayant plus le choix depuis les années Hinault de porter au pinacle un vainqueur, a vite replongé dans le choix de la personnalité plus que des performances. La modestie, l’envie, le panache et le courage constituent pour une grande majorité des habitués des courses cyclistes, des critères essentiels pour aimer plutôt que pour admirer les coureurs. Certes les espoirs placés dans l’éternel combattant de l’impossible ont été souvent perdus au passage d’un col ou dans la descente qui s’en suit mais nul ne lui en a tenu rigueur puisque Thibaut laisse le sentiment d’avoir été jusqu’au bout de ses forces.
Capable de construire des châteaux en Espagne avec deux succès en 2018 ou de s’offrir en 2017 une approche réussie du maillot « rosé » lors d’un Giro réussi, le fidèle parmi les fidèles du clan Madiot a meublé son armoire à trophées de peu de victoires. Celles qu’il a obtenues sur le Tour de France ont néanmoins construit sa « poupoularité ». Pinot n’aime en effet que tutoyer les sommets. Le mythique Alpe d’Huez, le classique Tourmalet, et après une échappée solitaire sur les montagnes suisses à Porrentruy, témoignent d’une envie constante d’aller toujours plus haut sans trop se soucier de la faisabilité de l’opération. Le Franc-Comtois a toujours pédalé comme il traverse, modeste, simple, franc et conscient de ses limites, la vie sans calcul et sans stratégie affirmée. C’est tout à son honneur.
Tel Don Quichotte partant sur les sierras désertes affronter les moulins à vent, lors de l’avant-dernière étape de son dernier parcours sur le tour, animé par la douce passion d’être à la hauteur de l’événement, Thibaut le magnifique a été fidèle à son caractère. Ignorant les causes perdues il a atteint une nouvelle fois ses limites, les dépassant au prix d’une volonté de fer pour finir par succomber à l’usure de pourcentages au-dessus de ses moyens. Plus d’un quart de siècle (1) à pédaler après les bouquets, les coupes ou les chèques finit par rompre le charme des rêves de gloire. Il l’a cependant vécu sans franchir une autre ligne d’arrivée que celle de l’affection, de l’estime et du respect.
Sur le ruban gris conduisant au plus haut du Ballon d’Alsace il a tout donné et même peut-être trop donné. Pouvait-il éviter ce baroud d’honneur avant de regagner sa retraite campagnarde ? Contenue derrière une corde ses fans ne l’ont pas contraint à se frayer un sentier vers le sommet. En dodelinant de la tête, en secouant sa carcasse, en poussant un braquet de dingue Pinot a déjà réussie son entrée sur les Champs-Élysées, ceux que que l’on réserve aux héros et aux gens vertueux pour qu’ils goûtent au repos après leur retraite sportive. Il y a effectué un joli Tour et s’est en allé.
Depuis 2012, année de sa première victoire à 22 ans, jusqu’à sept ans plus tard où, capable de remporter le maillot jaune, il a dû abandonner à deux jours de l’arrivée. Les larmes et la foudre se sont abattues sur l’Iseran. Il pensait arrêter, là. Mais finalement, il est revenu avec de grosses ambitions en 2020, dans ce Tour très menacé par la Covid et finalement décalé à fin août début septembre. Mais lors de la 1re étape, Pinot chute sur la Promenade des Anglais à Nice et en a vite plein le dos. Il n’a en définitive terminé que quatre Tours sur les dix disputés.
Impossible de ne pas associer Poulidor et Pinot ! Comme lui il n’a jamais porté le maillot jaune. Il avoue cependant, contrairement à son aîné, ne jamais en avoir rêvé car il le savait inaccessible ! Ses supporters l’ont pourtant envisagé pour lui chaque fois que juillet venait depuis 2012 ! Sa chevauchée vosgienne avait donc le goût des actes désespérés donnant le frisson à ceux qui préfèrent les besogneux valeureux aux faciles nantis. Thibaut a terminé sa grande boucle avec le plus beau des maillots, celui de l’amour des autres.
(1) Il a débuté à 8 ans
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Ce serait sans doute me vanter que de dire qu’il me semble avoir écrit le papier du jour. Champagne pour Jean-Marie, ses suiveuses et serveurs de la petite reine en Roue Libre.
Merci Jean-Marie pour cette « remontada » ! Merci pour avoir habillé « en Don Quijote » notre Thibaut national Pinot ! Le voilà ainsi devenu immortel !
Je constate avec étonnement et déception que le « Tour » s’est terminé hier. Je n’avais même pas pris conscience qu’il avait commencé ! Sur les chaînes où je tente de me faire un opinion sur les « actualités », en démêlant ce qui semble propagande de ce qui est information, pas un mot, pas une image sur le Tour, sinon hier soir une brève pour annoncer le nom du coureur dont je n’ai jamais entendu parler. Je serais d’ailleurs incapable de citer le nom d’un coureur actuel. J’en suis resté à Poupou …
Quand j’étais enfant et adolescent, je passais mes soirées à écouter les commentaires de l’étape, je suivais avec la plus grande attention tous les évènements. Chaque jour je marquais l’étape du jour en déplaçant l’épingle à tête rouge sur la carte affichée dans la cuisine (la même épingle ou ses sœurs qui avaient servi à marquer l’avancée des troupes sur les fronts est et ouest. J’ai appris de bonne heure la géographie de l’Europe).
Déjà il y avait bien une caravane publicitaire(avec Yvette Horner et son accordéon sur le toit d’une Estafette), mais je n’ai pas l’impression que les « gros sous » étaient la préoccupation principale des organisateurs.
Peu à peu mon enthousiasme s’est effiloché avec la « marchandisation » de l’épreuve.
O tempus , o mores !
C’est bien mal connaître l’histoire du Tour de France que croire qu’il n’était pas autrefois une histoire de gros sous.
Il a toujours été une affaire mercantile, créé par un journal pour augmenter ses ventes, à la différence près que les organisateurs empochaient pendant que les coureurs pedalaient .
Quand je m’intéressais au « Tour » je n’avais aucune notion du profit possible que pouvait engendrer cette manifestation. C’était peut être sans doute une affaire commerciale mais pas aussi scandaleusement étalée. peut être plus hypocrites, diront certains mais qui pour moi présentait alors quelque intérêt.
Etant mi Charentais , mi Basque , je me suis aussi intéressé au pineau , pineau rouge , pineau blanc , pineau fait maison , le meilleur sans aucun doute .
Pour moi , il gagne l’ étape devant Patxaran ou Izarra , même si Izarra peut porter le maillot vert , ou jaune et pineau le maillot blanc .
Gérard Jugnot a aussi endossé le maillot de « pinot simple flic »
Bravo à Pinot , sacré cycliste en tout cas .
Cordialement.