Sur l’écran noir d’une nuit blanche, qu’il est doux de se faire du cinéma d’épouvante ! Il y a même une certaine jubilation quand, au cœur d’une chambre pas forcément jaune, mais rendue mystérieuse par la profondeur d’une nuit d’encre, des flashes puissants éclaboussent l’espace réduit. En une fraction de seconde, des ombres allongées de bibelots, de meubles, de lampadaires se dessinent sur les murs. A chaque éclair le paysage se modifie donnant une sensation de chaos permanent. Être là, bien à l’abri dans son lit, préservé de ce déchaînement lumineux, fenêtres ouvertes sur un ciel tourmenté, appartient aux moments privilégiés de l’été. Enfin appartenait car désormais ils sont cataclysmiques et ravageurs.
Comme dans les scénarios des films angoissants, on oscille entre la peur d’entrer dans le spectacle et le plaisir de l’admirer. La nature a ceci de particulier qu’elle peut à tout moment se révolter contre les moucherons. Les orages de l’été gâchent souvent les vacances et plus largement le travail de celles et ceux qui n’en prennent pas ! Mais ils appartiennent aux événements estivaux dont on peut craindre l’augmentation… et les conséquences.
Désormais, les services météorologiques annoncent à l’avance l’arrivée de ces phénomènes présentés comme exceptionnels, alors qu’ils ont toujours figuré parmi les réalités estivales. Comme l’une des premières préoccupations du vacancier n’est autre que l’écoute ou la lecture des bulletins météo, on peut imaginer qu’il soit possible de se préparer à jouir de ce qui peut devenir un spectacle grandiose. Il suffit d’avoir la volonté de transformer un inconvénient majeur en opportunité de… jouer à se faire peur ! Alors parfois, il ne faut pas hésiter à s’installer silencieusement aux premières loges, pour un opéra naturel et wagnérien.
Avant que le rideau s’ouvre sur le ciel, décor primordial, il est essentiel de baisser, comme dans les plus grandes salles, de manière progressive la lumière. Le soleil se tamise avant de disparaître sous une couverture nuageuse arrivée plus ou moins vite d’un horizon lointain. L’obscurité améliore considérablement la qualité de la superproduction dont Zeus ou Jupiter, selon les modes en vigueur au pays des dieux, seraient les producteurs. Lentement monte le fracas des percussions. Au début, la horde des envahisseurs est lointaine provoquant des roulements profonds de grosses caisses. La menace arrive au galop.
C’est l’occasion de faire savant en comptant en secondes l’écart entre la lueur de ce « bombardement » lointain et le bruit d’un tonnerre fracassant. Un calcul approximatif va lier l’écart temporel entre des deux phénomènes à la distance séparant encore le spectateur de l’entrée en scène des vedettes. Ce jeu devient encore plus agréable quand, au repos, on prend le temps de multiplier les comptages sans voir le phénomène se produire.
De grosses gouttes s’écrasent sur le sol sec et poussiéreux, tambourinant de manière plus insistante sur les toits, les vérandas, les objets extérieurs. La virulence de leur impact annonce l’intensité de ce qui va suivre. L’atmosphère étouffante du hammam naturel installée dans les heures précédentes est vite brisée par des courants d’air frais et fantasque qui balaient et agitent les paysages figés par la chaleur. Pour moi, c’est le plus bel acte de cet opéra que tout le monde a tenté d’imiter, de Wagner aux musiciens de Lep Zed et consorts. On entre lentement dans un échantillon plus ou moins violent d’apocalypse mesurée.
Des cicatrices lumineuses fracassent la noirceur de la scène. L’eau, le feu et le bruit s’entrechoquent, s’entremêlent, se conjuguent, se percutent dans un gigantesque tableau, uniquement structuré par le hasard. L’orage constitue véritablement une œuvre d’art naturelle, dont la perception est différente selon l’endroit où on la regarde. Elle peut exploser de créations ou devenir terrifiante par ses conséquences terrestres. Zeus ou Jupiter auraient en effet des colères désastreuses.
Si parfois la foudre vient perturber le spectacle, il faut le considérer comme un accident de parcours dû à une volonté manifeste du ciel de tomber sur la tête des gens qui le défient par leur insouciance. Après avoir déversé ses pleurs rageurs, le ciel va lentement retrouver son calme. La troupe explosive va aller proposer son spectacle plus loin.
De la fenêtre ou de l’observatoire où l’on a pris position, on ressent un soulagement légitime en entendant la cavalcade repartir vers des prairies à conquérir. Il est temps de se rendre compte que la nature, agacée par la folie des hommes, peut à tout moment se révolter, se retourner contre eux avec fureur ou démesure. Courbé sous le flot ou recroquevillé pour se protéger, le paysage s’ébroue avec prudence. La vie reprend par petites touches et les ruisselets évacuent les eaux rejetées par un sol trop compact pour les absorber. Il est temps de tirer le rideau de la nuit sur le spectacle d’un soir d’été.
Aucun ne ressemble à l’autre. Tous se terminent en apothéose pour les cultures ou en tragédie pour celles et ceux qui espèrent des récoltes sereines. Impossible d’aimer ces rendez-vous avec la nature déchaînée, mais on y trouve toujours une raison de ne pas désespérer lorsque l’on est à l’abri de ses effets. Il suffit de dénicher son coin de parapluie pour atteindre parfois l’enfer ! Et il appartient chaque année un peu plus aux désastres estivaux.
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Je réagis sans encore avoir lu ce papier de Jean-Marie. D’accord : titre « téléphoné »… mais pourtant sacrément révélateur des multiples drames au champ comme à la ville.
Mais ce titre m’a de suite interpellé dans ma messagerie car, malgré moi (ou le contraire, va savoir…) j’ai marmonné « ô vieillesse ennemie ! ». Encore plus « téléphoné » direz-vous.
Mais tout à fait dans mon présent fait de plus en plus de lenteur(s), de coups de sécateur ou de cisaille plus envisagés que donnés, d’échelle d’alu de plus en plus lourde à déplacer et mettre en œuvre (même l’aspirateur semble prendre du poids !), de fatigue au bout de deux cents mètres, de perte d’équilibre dans un escalier, d’oubli (de déni ?) de réunion d’asso, etc…
Bon, cela étant dit, je vais lire Jean-Marie.
@ à mon ami Bruno…
Cette tirade du Cid Campeador me rappelle que j’en ai touché les rives…
Alors je m’accroche… « comme le pendu à la corde… ! »
Merci d’excuser mon éloignement…Les « choses se précisant,… » je repars à nos écritures…(nous nous y sommes mis à 2, auxquels vont s’ajouter des copains…).
En priant Jean-Marie d’utiliser son blog comme boîte à lettres, j’ai l’occasion d’embrasser Laure et de lui demander d’être mon interprète auprès de Pierre.
… de bien vouloir excuser…