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Ici et ailleurs (21) : « Vélo-Bill » à la conquête du Far-West

Le cliquetis de ses chaussures sur le carrelage du bar annonce son entrée. Un bidon de vélo à la main, l’homme commande un Coca dans un français agrémenté d’une pointe d’accent anglo-saxon. Il a rangé son superbe « destrier » sur roues à quelques mètres comme les cow-boys des westerns le faisaient avec leur monture. Elle attendra sans risques son retour. Il attend avec envie le verre et la bouteille que le serveur aligne sur le comptoir après une demande partie du cœur « Un Coca s’il vous plait »!. Il est vrai que le soleil a dû lui assécher le gosier et d’ailleurs les « pistards » de la Lapébie ne foisonnent pas vers midi autour de la place de la Prévôté.

Bill plonge avec délectation ses lèvres dans le breuvage qui ne retient pas ses bulles. « Ça fait vraiment du bien » avoue-t-il. Il est certain que depuis l’aube où il est parti de Sauveterre la Lémance il a du en rêver de ces instants. « Pouvez-vous s’il vous plaît me remplir bidon d’eau fraîche et… si vous aviez quelques glaçons ce serait sympa ! » La canicule frappe même sur les petits chemins de campagne qui ne sentent pas encore la noisette. « J’ai trouvé la route sympa en arrivant chez vous explique-t-il mais avant c’est plutôt vallonné ! ».

Il n’a pas pris trop de temps pour siroter son Coca. Il l’ingurgite comme le font les coureurs du Tour de France devant les caméras après avoir franchi la ligne d’arrivée. Il ne s’agit pas évidemment pour lui de montrer au monde combien cette boisson reconstitue les forçats de la route. L’Américain qu’il est adore le soda. Comme pendant ce temps son bidon a été soigneusement rempli par la maîtresse du lieu, le promeneur solitaire se prépare à repartir. « J’ai un peu de temps devant moi. Je m’arrête à Bordeaux ce soir. Mon épouse doit me rejoindre. Je suis en avance. » Il sourit.

Parti il y a huit jours de Grenoble il s’était fixé comme défi de traverser la France d’Est en Ouest. Un rêve qui hantent bien des motards de son pays d’origine et qu’ils caressent durant des années. De Chicago à Los Angeles sur les dix mille kilomètres de la route 66 le plaisir est probablement bien différent du millier de bornes que Bill vient d’avaler. « Je suis passé par le Puy en Velay et j’ai essayé ensuite de rester au plus près de la voie vers Saint Jacques de Compostelle jusqu’à Cahors en passant par Rocamadour » narre-t-il. J’ai ensuite suivi la vallée du Lot sans emprunter les pistes cyclables. Les petites routes ne sont pas très faciles.»

Neuf étapes d’un peu plus d’une centaine de kilomètres lui permettent d’affirmer qu’il a « effectué son Tour de France ». En réservant un point de chute pour le soir il se trouvait dans les mêmes conditions que les « grands » avec une obligation de terminer dans les délais prévus pour son arrivée. Pour Bill ce ne fut pas toujours l’aventure intégrale « Je suis passé chez des amis ou des amis de mes amis. Je n’ai eu recours à l’hôtel qu’à deux reprises. » Il avoue cependant qu’il en a bavé : « La France entre l’Est et L’Ouest ça n’arrête pas de monter de de descendre. Dès le début avec le Vercors j’ai débuté en fanfare. C’était très dur. Désormais jusqu’à l’Océan ce sera plat et j’en suis bien heureux. »

Sa conquête du Far-West français n’aura donc pas été de tout repos. Son sourire indique bien qu’il n’est pas malheureux d’en finir. Le « vélo-boy » a terminé sa boisson miracle. Lui a-t-elle permis de vaincre toutes les épreuves sur les chemins de traverse ? Il ne se prononce pas mais il est prêt à reconnaître qu’un bon bidon d’eau rafraîchie a des effets supérieurs. Sur le Tour de France chaque équipe en utilise entre 3 500 et 5 000 bidons tous les ans. Cette année on devrait dépasser les 100 000 récipients d’eau rangés le long du cadre des vélos ! Bill n’a pas de porteur et il lui a fallu dénicher dans les villages traversés de rares robinets ou plus sûrement de commander un Coca à une terrasse pour obtenir l’eau précieuse.

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai envie de lui réciter (chanter serait trop dangereux) une adaptation de la chanson que Brassens, l’homme qui haïssait le sport, a dédiée à l’un de ces bistroquets originaires de la région auvergnate qu’e Bill vient de traverser. « Elle est à toi cette chanson/ Toi, l’hôtesse qui sans façon/ M’as donné quatre gouttes d’eau/ Quand dans ma vie il faisait chaud/ Toi qui m’ouvris le robinet quand/ Les croquantes et les croquants/Tous les gens bien intentionnés/s’amusaient à me voir pédaler.. » Pas certain qu’il connaisse… mais dans le fond dans cette journée de canicule son sourire était bien rafraîchissant.

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Cet article a 3 commentaires

  1. J. J.

    « La France entre l’Est et L’Ouest ça n’arrête pas de monter de de descendre.

    Alexandre Vialatte l’avait bien remarqué quand il écrivait dans ses Chroniques de la Montagne (une sorte de Roue Libre avant l’heure) : « En Auvergne il y a plus de montées que de descentes. »
    Il prétendait également que l’Auvergne est un pays où l’argent coûte cher.
    Un bon moment à passer avec les chroniques de la Montagne.( Éditions Bouquins dans toutes les bonnes librairies indépendantes)

  2. christian grené

    Cher Jean-Marie, en évoquant Sauveterre-la-Lémance, tu me fends le coeur. C’est là qu’a vu le jour, puis s’est éteint notre ami Jeff Mézergues. Dans un accident de voiture. Il était un modèle pour moi. Je veux croire que JJ aura lu quelques-unes de ses chroniques dans Sud-Ouest et SOD. Mais Jeff n’est pas tout seul, Jean-Marie, puisqu’en ce 14 juillet 2022 sont aussi disparu(e)s Hubert Barat et Macha Bourgeois.

  3. Deyrid

    Excellent. J aime surtout la fin avec cette parodie du grand Brassens
    Bravo jm

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