Le Chili compte parmi les plus beaux pays du monde en raison du fait qu’il est adossé aux Andes et étiré sur 4 300 kilomètres avec une façade changeante sur l’océan Pacifique. Du désert d’Atacama au Cap Horn et même aux terres australes, le voyageur traverse tous les climats et toutes les végétations un peu comme s’il allait du sud marocain au terres du Danemark sans quitter une nation unique. J’ai eu le privilège d’y effectuer deux voyages concrétisant ainsi mon rêve de jeune lecteur consistant à découvrir la vaste baie de Valparaiso, port mythique des romans d’aventures.
Les liens culturels avec l’Europe et notamment la France ont toujours existé. L’épisode de la terrible dictature Pinochet les a renforcés dans la mesure où de nombreux Chiliens persécutés, torturés ou susceptibles de l’être ont trouvé une terre d’asile chez nous. Il y a donc des liens privilégiés faisant que la vie sociale et politique à Santiago propose de nombreuses similitudes avec la nôtre. L’élection du Président de la République au suffrage universel, le fonctionnement parlementaire, le découpage territorial, la présence syndicale forte, l’échiquier des partis, l’importance du rôle du chef de l’Etat rappellent, malgré des spécificités inévitables, notre Constitution de la V° République. Ce système présidentiel a permis jusqu’à présent de maintenir une démocratie dite de transition dans un pays ayant souffert de la main-mise des trusts mondiaux sur ses richesses naturelles.
Le Chili pays démocratique, doté d’un régime formellement pluraliste, est resté néanmoins très marqué par une chape conservatrice en politique et un néolibéralisme en économie, hérité de la dictature (1973-1990). Jusqu’à maintenant ce carcan est inscrit dans la Constitution pour plusieurs de ses points (notamment sur l’intervention de l’État dans l’économie) : Pinochet, avant de partir, avait bien assuré ses arrières… et les intérêts de ses soutiens occultes. D’ailleurs sous la pression populaire depuis plusieurs mois une convention de révision du document essentiel pour le pays s’est mise au travail après une élection décalée en raison de la pandémie.
Au terme des élections, les 155 sièges de l’Assemblée constituante sont répartis de la manière suivante : 37 sièges pour la coalition de droite Vamos por Chile, 28 sièges pour la coalition de gauche Apruebo Dignidad, 26 sièges pour la coalition d’indépendants appelée La Lista del Pueblo, 25 sièges pour la coalition de centre-gauche La lista del Apruebo, 11 sièges pour la coalition d’indépendants appelée Independientes por una Nueva Constitución, 11 sièges pour diverses listes indépendantes et 17 sièges pour les représentants des peuples originaires. Ainsi, sur les 155 membres, 65 au moins sont des indépendants.
Cette Assemblée n’est absolument pas l’émanation d’une nation politiquement unie, mais se présente comme un ensemble particulièrement hétéroclite dans lequel aucune formation ne dispose de la majorité absolue et où les individualités ou groupes particuliers priment sur les lignes et fractures politiques historiques. Le deuxième élément à mettre en exergue, et qui en fait une nouveauté dans l’histoire mondiale, tient au fait qu’il s’agit de la première Assemblée constituante à être totalement paritaire. Il lui est accordé neuf mois avec une éventuelle prolongation de trois mois, pour écrire son texte dont tous les points doivent être approuvés à la majorité des deux tiers. Les partis traditionnels n’ont aucune minorité de blocage dans la configuration actuelle. Difficile de prédire ce qu’il en sortira.
Cette démarche citoyenne pourrait servir d’exemple sur le vieux continent si elle aboutit. Depuis quelques jours on peut en douter car dans le même temps l’élection présidentielle a tout perturbé. Une fracture sismique est apparue dans le paysage politique puisque le second tour apposera le 19 décembre, frontalement un ardent défenseur des actes de Pinochet, José Antonio Kast (28 %) au leader le la Gauche, Gabriel Boric (26 %). Les sociaux démocrates et le centre-droit ont été pulvérisés. La confrontation s’annonce très serrée entre le fils d’un officier de la Wehrmacht réfugié en Amérique du sud , admirateur inconditionnel de Bolsanero, de Trump et du Général ayant terrorisé le Chili et un jeune ex-leader étudiant représentant d’une alliance allant jusqu’au Parti communiste.
Jamais le Chili populaire n’a été aussi clivé, aussi angoissé, aussi désenchanté (l’abstention a été forte) par les années de transition. Le choc s’annonce fracassant dans un contexte où les positions des deux candidats sont diamétralement opposées. Le populisme basé sur le rejet d’une immigration pourtant modérée, le besoin de sécurité et d’ordre, le retour de la religion au premier plan, le développement du monde du profit et une défiance croissante à l’égard du personnel politique traditionnel a effectué une percée fulgurante. Le 19 décembre certains candidats français d’extrême-droite auront les yeux rivés vers Santiago… avec l’espoir que le Père Noël leur apportera un soutien de poids. Pas cretain que ça fasse réfléchir la gauche hexagonale.
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Pobre Chili (de) sin carne!
Laure saura traduire.
Bonne journée à tou(te)s…
@ à mon ami Christian
Oui, bien sûr, mais ne désespérons pas et « attendons la fin » comme aurait dit mon ami Armando !
Le 23 août 2021, notre ami Armando nous a quitté et j’ai gardé dans mon cœur ce conseil plein d’amitié transmis bien des années passées : « Laure, ne lâche rien… » Je l’ai écouté !
Il doit être bien triste aujourd’hui… Mais attendons la fin, et ne lâchons rien…
Ce personnage au passé et aux origines plus que sulfureuses est inquiétant pour l’avenir du peuple chilien. Et même si c’est Gabriel Boric qui obtient la majorité, ça ne va pas plaire au voisin « d’en haut » qui, on le sait est capable de tout (11 septembre 1973 de sinistre mémoire).
Je pense à notre réfugiée chilienne, Yolanda, que les services de la ville avaient embauchée, et qui venait faire le ménage dans ma classe, parfois elle s’y attardait un peu.
Nous faisions un peu de conversation en español, ça lui faisait du bien semble -t-il de parler dan sa langue et de raconter les misères qu’elle avait subies. Son mari et elle avaient tout abandonné pour fuir, à la sortie de leur travail, n’ayant même pas pu se rendre chez eux pour emporter un simple bagage.
Et encore; ils avaient eu la chance de pouvoir fuir, mais ils étaient sans nouvelles de leurs amis et de leur famille.
J’ai peur pour le peuple chilien.
Pourquoi avez vous peur pour le peuple chilien ? Ce pays comme la France n’a jamais été un pays démocratique.
Bonjour,
un lien utile pour aller plus loin dans la réflexion
https://www.les-crises.fr/chili-le-peuple-chilien-vote-la-fin-du-neoliberalisme/
« La pandémie de covid-19 a également fait monter le chômage, creusé la dette et l’inflation avoisine désormais les 6 %, une nouveauté dans ce pays, après des décennies de stabilité politique et économique.
Dans ce contexte, le second tour s’annonce particulièrement polarisé. « Kast représente la restauration de l’ordre, le retour à tout ce qui se passait avant la crise sociale, mais avec une main encore plus dure, analyse Rodrigo Espinoza, professeur à l’Université Diego Portales. Boric, c’est l’approfondissement des réformes politiques dans le cadre des revendications des manifestants. »
La campagne pour le deuxième tour, « ce seront des semaines de compétition féroce pour imposer une image de peur contre une autre », prédit Marcelo Mella, professeur en sciences politiques à l’Université de Santiago. Source : https://www.letelegramme.fr/monde/presidentielle-au-chili-l-extreme-droite-et-la-gauche-au-second-tour-22-11-2021-12872858.php
« ce seront des semaines de compétition féroce pour imposer une image de peur contre une autre » Une phrase qui résonne à mes oreilles comme une prémonition de la situation Française en mars prochain.
bonne journée
Je suis à la fois admiratif et catastrophé.
Admiratif pour l’auteur de cet article (Jean-Marie, je ne savais pas à quel point tu connaissais ce pays) et son analyse. Évidemment.
Catastrophé par cette situation, ce fil du rasoir sur lequel cheminent deux personnalités, deux perspectives, deux avenirs même. Bolsonaro bien Trumpé d’un côté, une bien fragile coalition (même pas vraiment si j’ai bien compris) pouvant soutenir un candidat de l’autre. Et un marais abstentionniste.
Bien sûr qu’il y a à réfléchir pour nous-mêmes…
Bonjour,
Nous connaissons et admirons Marcelo Bielsa, entraîneur de football certes, mais aussi citoyen avisé et engagé sur tous les grands enjeux sociétaux.
Nous ignorions que son frère, Rafael, actuel ambassadeur d’Argentine au Chili, est de la même trempe.
Voici ses déclarations, très peu diplomatiques, à propos des résultats électoraux du 1 er tour au Chili:
« El embajador de Argentina en Chile, Rafael Bielsa, cuestionó en varios medios al candidato presidencial del Partido Republicano, José Antonio Kast, calificando la postura del aspirante «es una derecha rupturista, pinochetista, que no habla de derechos humanos, ni de desaparición de personas, ni de tortura, ni de responsabilidades estatales, y que no teme decir su nombre”.
Réponse au drame chilien: le 19 décembre.
P.S.: Pour la traduction, merci de contacter directement JMD.
Ladron, ! Maton ! Rufian !
Ce choc frontal au Chili est particulièrement inquiétant. Au cours de ma fin de carrière à l’INRA de Bordeaux, j’ai eu l’occasion de réaliser plusieurs missions viticoles dans ce beau pays très accueillant. L’information de JMD est inquiétante car le retour d’une politique extrémiste du genre Pinochet est toujours possible. Croisons les doigts pour qu’un réveil du peuple se réalise rapidement.
Ce que je pense est que les partis politiques sont liés entre eux. Difficile pour le peuple de comprendre. J’insiste très fortement sur la DÉMOCRATIE. Qu’est-ce que la démocratie et comment doit elle agir pour défendre l’intérêt de chacun et chacune ?