Marcel porte de plus en plus difficilement le poids de ses 93 ans. Il ne rechigne pas cependant à passer de longues minutes debout devant le Monument aux Morts ou à grimper sur la scène de la salle où se déroule le Congrès de ces anciens combattants des conflits armés à laquelle la France a participé. Sa mémoire reste vive et son vœu principal c’est qu’en évoquant les souvenirs qu’elle contient, il puisse en réveiller quelques autres plus jeunes. Depuis l’arrêt de son activité professionnelle (1975), celui qui a quitté avant la crise sanitaire la présidence de la fédération régionale des camarades de Combat a multiplié les engagements associatifs.
« C’est une sorte d’engrenage social. Dès que vous démontrez le sérieux de votre engagement et que vous êtes reconnu par votre implication, on vous propose toujours un nouveau poste de responsabilité en vous assurant que ce n’est pas grand chose. La rareté croissante des personnes bénévoles susceptibles de participer aux actions des anciens combattants vous conduit à ne jamais refuser ». Marcel pense à son épouse et ses trois filles (deux sont nées alors qu’il était en mission aérienne) car il sait bien que ce sont elles qui ont eu le plus de sacrifices à faire.
« Je suis né en Lorraine dans une famille de huit enfants dont j’étais le troisième. Mon père était militaire de carrière avant la dernière guerre mondiale dans le ‘matériel’. Nous sommes allés de garnison en garnison. En 1940 nous avons été rapatriés en zone libre en Ariège après que le grand camp de Mailly à cheval sur l’Aube et de la Marne, ait été bombardé et notre convoi descendant vers le Sud a été mitraillé par l’aviation italienne. Ce sont des événements qu’un gamin ou un adolescent n’oublie pas facilement. De toute cette période je me souviens des longs séjours chez mes grands-parents en Haute-Marne en pleine campagne. Je revois l’école ! » Cette période s’estompe peu à peu de la mémoire de Marcel qui a eu l’opportunité de se constituer ultérieurement une réserve plus impressionnante.
« Mon passage en Indochine reste un passage décisif de ma vie. J’y ai été affecté comme navigateur sur les bombardiers. Après avoir obtenu un diplôme technique au lycée de Tarbes, je me suis engagé dans l’armée de l’air. Au bout de quelques mois il a fallu que je parte aux Etats-Unis pour un stage d’instruction pour naviguer sur les B 26. Les Américains nous avaient doté début 1954 de ces avions après la guerre de Corée. Il y avait à bord un pilote, un navigateur-bombardier et un mécanicien mitrailleur qui restait affecté à l’avion alors que les deux premiers changeaient. » Marcel avoue avoir effectué des centaines d’heures de missions de soutien aux combattants sol, à la marine et pour tenter de détruire les caches dans le delta du fleuve rouge, de briser les chemins d’acheminement de matériel vers Dien Bien Phu depuis une base aérienne proche d’Haïphong.
Les objectifs ne manquaient pas. « L’état d’alerte était permanent surtout en 1954 quand il fallu défendre Dien Bien Phu coûte que coûte et je ne pense pas être sorti de la base durant mon séjour. Quand nous bombardions les convois de munitions du Vietcong je voyais depuis en haut des dizaines de bicyclettes abandonnées sur la sentier. Les transporteurs avaient plongés sur les bas-cotés et s’étaient évanouis dans la forêt. Ils tiraient sur nous à la mitrailleuse et je suis souvent revenu dans un avion ‘troué. Nous avons perdu un équipage ! » explique Marcel. En 1955, après la défaite de Dien Bien Phu (« ce fut une erreur stratégique colossale ») les Américains retirent « pour raisons politiques » certains de leurs B26 en Indochine et ce qu’il reste de l’escadrille Gascogne est envoyé à Bone en Algérie. toujours la guerre.
Lors d’une mission en Kabylie le 11 septembre 1957, son avion essuie des tirs nourris. « Brutalement l’alimentation des deux moteurs en carburant, s’est arrêtée. Les batteries électriques de l’appareil avient été touchées et donc les pompes ne marchaient plus. Le crash devenait inévitable. Le pilote a viré sur l’aile pour vite s’engager dans une vallée où coulait un oued peu fourni. Il y avait des sortes de plages avec des petits cailloux laissés par une crue. Le lieutenant le Bas en a choisi une pour tenter de nous poser. Je garde en mémoire le fracas de cet atterrissage de fortune . C’est l’impact, le labourage, le nez de l’avion qui saute et c’est une excavatrice qui défonce le sol. Face au couloir, je reçois blocs de pierre et pelletées de terre. Au choc, c’est un film accéléré de tous les points-clefs de la vie, épouse, enfants (ma fille était née 5 mois plus tôt), famille, moments heureux. Cela doit être pareil dans tous les accidents où la vie paraît se terminer ! » raconte à mots comptés Marcel. Il reste muet quelques secondes.
« J’ai appliqué mécaniquement les consignes en éjectant la verrière. En bout de course je me suis retrouvé contusionné dans un appareil qui prenait feu. Le mécanicien mitrailleur Bouvier était gravement blessé à la colonne vertébrale. Nous nous sommes éloignés le plus vite possible et plusieurs heures après nous avons été récupérés par un hélicoptère.» Marcel pense simplement qu’il a eu beaucoup de chance et un pilote de qualité. « Pour l’état-major le pire c’était la perte de l’appareil… Nous ?…. » avoue-t-il fataliste.
La photo du bandeau de cette chronique est celle du crash du B 26
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Marcel Mascetti… toujours présent ! ¡ Marcel Mascetti… siempre presente !
J’apprends par ce « Roue Libre » que le convoi dans lequel se trouvait cet adolescent dont le nom évoque l’Italie a été bombardé par l’aviation italienne… Une des absurdités de l’Histoire ? Je peux témoigner ici de son indéfectible soutien à la cause des Guérilleros républicains espagnols tant à l’occasion des réunions à l’UDAC que par sa présence lors des manifestations organisées en l’honneur de Pablo Sánchez — mort le 27 août 1944 — pour avoir sauver le pont de Pierre de Bordeaux.
OUPS… pour avoir sauvé … (avec mes excuses).
Excuse le rapprochement, Jean-Marie, mais je porte aussi le n°3 dans ma fratrie de huit enfants qui, elle, n’a jamais été en danger. Je te parlerai donc d’un autre Marcel que tu connais aussi bien que moi: Marcel Berthomé, engagé dans la RAF au début des années 40 et qui espérait bien mourir en sa mairie de Saint-Seurin/L’Isle avant son échec aux Municipales de l’an dernier. Il avait… 98 ans. Que de souvenirs nous avons en commun avec cet élu à nul autre pareil!