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« Tiens voilà le traître..! « 

Dimanche matin en sortant de la salle de vote créonnaise je salue un couple m’ayant accompagné dans la vie locale depuis une quarantaine d’années. Rien de bien extraordinaire même si la rencontre physique n’est pas habituelle puisque les chemins se sont éloignés depuis mon retrait de la vie municipale. L’accueil surprenant me déstabilise et j’encaisse comme un boxeur ayant baissé les bras un « tiens voilà le traître ! » . Je continue à saluer les présents en ne sachant vraiment pas comment prendre cette apostrophe : plaisanterie de mauvais goût ou accusation devant témoin dénotant un état d’esprit ? Peu importe mais la tendance au procès d’une autre époque me paraît la plus plausible surtout dans la période actuelle.

« Tu sais dans le fond j’ai toujours été un traître ! » fut ma seule réponse. J’assume car cette accusation traduit un tel état d’esprit qu’il me renforce dans l’idée que notre société n’admet que difficilement la différence. L’extrémisme de gauche ou de droite à ceci en commun c’est que parfois sous les apparences on comprend que leur définition de la traîtrise réside simplement dans un choix différent qui ne convient pas à leurs certitudes. En politique il faut savoir quand on s’engage que l’on finit toujours le « traître de quelqu’un » surtout si vous ne cédez pas à la facilité ou à l’opinion dominante. Le droit à ne pas idolâtrer la Nupés conduit à la traduction devant une haute cour de justice politique.

En l’occurrence je ne me souviens des traîtrises supposées qui ont été les miennes. Tenez par exemple en 1976 quand la bataille des municipales s’engage, nous sommes vite accusés avec la section locale du PS créonnais de trahir l’intérêt suprême du parti. Sans aucune autre forme de procédure la fédération pense nous « exterminer » en prononçant la dissolution totale du groupe qui rassemblait une cinquantaine de militants. Les pressions se multiplient, les procès d’intention arrivent, les attaques se succèdent. Le climat devient malsain. Montrés du doigt alors que nous nous battons à quelques-uns pour une autre vision de la gestion locale nous finissons par l’emporter avec des résistants de la dernière heure qui ne manquent pas de rallier le camp des vainqueurs. Les traîtrises furent nombreuses mais pas forcément du coté où nous le pensions. 

Même aventure en 1983 quand devenu journaliste j’ose écrire (1) que la gauche va perdre les villes de Le Bouscat et Talence et connaîtra des difficultés à Floirac. Convoqué devant la commission des conflits du PS érigé en tribunal populaire par quelques responsables ayant bénéficié d’un stage de reconnaissance des traîtres je suis obligé d’expliquer que je n’exerce que mon nouveau métier en toute loyauté et pas en militant socialiste. N’empêche qu’il m’est vivement reproché de saboter les élections par les articles que seul un salopard de social-traitre peut écrire. Je ne serai pas exclus car les retombées auraient été malvenues à quelques semaines des municipales.  N’empêche que pour le contenu de Roue Libre je serai à nouveau convoqué en 1986 ! 

Rocardien et fidèle à Rocard même après 1981 j’ai maintes fois dû endosser le costume de celui qui sortait du rang mitterrandien. Il a fallu vraiment utiliser les boules Kiés pour tenir bon dans des tempêtes de reproches allant du « démolisseur du PS » à vcelui «  de mec de droite caché sous les oripeaux du rocardisme ». Là encore la différence et le refus de céder à la loi des plus forts ou des porteurs d’idées toutes faites venues du sommet, me vaudront les sarcasmes de ces gens se réclamant de la vraie gauche au moins lors des périodes électorales. J’ai des lettres d’insulte que je garde, des pamphlets anonymes et des séquences personnelles qui au lieu de m’abattre mon abattu. Être minoritaire nécessite une force de caractère particulière et on finit pas s’habituer à l’accusation de traîtrise qui évite le débat et nie l’individu pour lui imposer l’intérêt secret bien compris de quelques-uns.

Lors de toutes les élections auxquelles je me suis présenté je n’ai pourtant jamais été épargné par les traîtrises de gens se drapant dans leur dignité de détenteur du label de « pur et dur » de la Gauche. Eux n’étaient pas capables de solliciter une place, une indemnité, de refuser cette unité devenue désormais sacrée quand elle les dérangeait, de se présenter malgré les accords passés, de soutenir ouvertement des candidat(e)s ayant des démarches personnelles… au nom de leur loyauté en politique. La traitrise ne se mesure pas aux mots mais surtout aux réalités des comportements.  J’ai même perdu l’amitié de personnes qui m’étaient chères pour ne pas avoir trahi les engagements que j’avais pris. 

Il y aurait tellement de situations à évoquer où l’intolérance matinée parfois de compromissions oublieuses des principes imposés aux autres, que cet espace ne suffirait pas. « Voilà le traître ! , le Judas ou le Ganelon qui manque d’esprit de solidarité idéologique, qui ose ne pas se sentir à l’aise dans le monde du « moi je.. ; » et qui préfère depuis des décennies sa conscience, la vraie amitié, le fond plus que la forme, les citoyen(ne)s et les citoyens plutôt que les sujets. J’assume ce que j’ai été et ce que je suis. Quand je sais ce que je sais, quand j’entends ce que j’entends et que je vois ce que je vois je suis finalement assez fier de ma « traîtrise ». Comme dirait Fidel Castro : « nous avons même le droit de penser pas nous-mêmes ».

(1) Bordeaux Actualités Mars 1982

Cet article a 9 commentaires

  1. François

    Bonjour J-M !
    Le traître : en voilà un beau sujet de dissertation. D’ailleurs, déjà, je te sens frémir en pensant : « Le traître ! Il va me piquer mon sujet ! ! »
    Non ! Non ! J-M, je vais le compléter car, même si tu te sens blessé (et je le comprends tout à fait!), il est regrettable… que dis-je dommageable, que ton propos se limite à la Politique avec ses « amis ».
    En effet, ce qualificatif épouse aussi d’autres situations : amicales, professionnelles et, certainement la plus grave, familiale !
    Dans un propos récent, @ Laure a effleuré le sujet en évoquant « la famille exploitée par …la famille ». En effet, qui n’a pas connu ces patriarches régnant sur la famille où l’aîné(e) avait le triste privilège de rester au foyer pour élever la nichée et ses parents. Si Éros venait décocher une flèche, le (la) traître était bannie avec des averses de sarcasmes d’incapacités visant à détruire l’individu(e) en tant qu’être et professionnellement. Si, par malchance, un droit de cuissage était révélé, avec la bienveillance des hermines du Tribunal, la privation de liberté était … et est toujours appliquée ! ! Il y a des faits qui, tenaces, restent en mémoire !
    … professionnelles : là aussi, qui ne connaît pas tel ou telle jeune réussissant à sortir la tête de l’eau malgré les quolibets de l’entourage et qui est alors considéré comme un traître ou un tordu pour avoir OSER RÉUSSIR?
    Quant aux situations amicales : la citation « gardez moi de mes amis … », malgré une origine en 221 avant J-C, est toujours d’actualité. Oui, J-M, ce très vieil qui t’aborde avec de grandes accolades très exhibitionnistes cache une dague insoupçonnée donc ravageuse. Mais je sais que tu possèdes le discernement et l’expérience pour y faire échec.
    Voilà ce qui me vient en mémoire en dégustant ton billet en remplacement de la tartine de miche grillée de mon enfance, recouverte de beurre et de confiture de prunes d’Ente : ma docteure m’a dit que c’était meilleur pour ma santé ! ! ! Sacré toubib !
    Pour terminer gaiement ce commentaire, je t’invite (et vous invite!) à cliquer sur ce lien :
    https://youtu.be/fuh5XIkefDQ

    Amicalement

  2. christian grené

    Donc, quand tu pousses la porte du Bistrot des Copains, tu n’a plus le choix qu’entre le Judas nana et le Rocard-menthe, autrement appelé… perroquet.
    Bonne journée à tou(te)s. Parait qu’il va faire chaud!

  3. J. J.

    Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. (Pascal)

    Qui est capable de donner une définition indiscutable de la vraie gauche ?
    Qui est capable de donner une définition de la bonne musique ?
    Érik Sati avait trouvé : la meilleure musique c’est celle que je préfère.

    Pour la vraie droite, c’est plus facile : au nom du pèze, du fric, du Saint Pognon, ainsi soit il.

  4. HURMIC

    Bonjour,

    J’ai subi le même sort que vous ; de votre part et de la part de vos amis lors des législatives précédentes.
    Rappel j’avais ma carte PS (que je n’ai pas renouvelé depuis) et Benoit Hamon avait préconisé l’union du ps et des écologistes. Vous et vos amis avait présenté Mme VESSY, sans tenir compte des consignes du PS national. On est venu me chercher car Anne Laure Fadler ne trouvait pas de colistier(re). Partant du principe que la gauche n’a réussi tout au long de son histoire qu’en se regroupant à gauche, j’ai appliqué mes convictions.
    Comme quoi vous avez raison, nous sommes toujours le traitre de quelqu’un et la roue tourne…
    Bien à vous sans rancune sauf que moi aussi je me suis faite harponnée à la sortie du bureau de vote dimanche par un de vos sympathisant en pleine rue, j’aimerais que cela cesse
    Fabienne HURMIC

  5. Puig

    Dès que l’on s’engage que ce soit en politique, dans un syndicat ou autres associations et qu’il y a des enjeux de pouvoir ou d’idéologie nous subissons tous un jour où l’autre ce genre d’avanies.
    Tu sais que nous pouvons avoir des analyses divergentes parfois mais toujours dans le respect. Et parfois je ne comprends pas toujours à cause de mes propres limites . Nous sommes tous le traître ou le con de quelqu’un.
    Amitiés

  6. Baillet Gilles

    Cet épisode montre que l’époque est une période de rupture. Il y a une incompréhension entre ceux qui qui veulent des augmentations de salaires et une retraite à partir de 60 ans donc à 65 ans à taux pleins pour ceux qui ont fait des études longues, et ceux qui sont retraités et qui déterminent leur vote sur d’autres critères que l’urgence sociale: Mélenchon est autoritaire, il faut des élus qui connaissent leur territoire etc. Sauf qu’à l’arrivée, au bout de ces analyses, on aura quoi: la retraite Macron à 70 ans à taux pleins (ou pas de retraite du tout), pas ou peu d’augmentations des salaires, l’école et l’hôpital en ruines, la misère incrustée dans le milieu étudiant, les inégalités qui augmentent, les territoires ruraux qui deviennent des dortoirs vides de services publics etc. C’est cela que veulent ceux qui s’opposent à la NUPES… Nous sommes dans un moment de rupture avec le néolibéralisme – porté par le courant social-démocrate dont Michel Rocard a été le chantre, Fabius et Delors ou Mitterrand également… Il nous faut rompre parce que le tout marché détruit la planète et les humains. On doit construire autre chose qui serait un socialisme nouveau aux contours qui se définiront progressivement.

    1. J. J.

      Et ce n’est pas en déployant des arguments comme « aller voter ne sert à rien  » que ça fera avancer les choses, au contraire.
      Comme le déclarait hier soir JL M sur la « 2 » : Si parcours Sup ne vous plaît pas, allez voter ! »
      Abstention piège à c…

  7. Philippe Conchou

    Les propos que tu rapportes montre que l’étroitesse d’esprit n’est pas l’apanage de la droite.

    « Heureux les simples d’esprit, il leur sera beaucoup pardonné  »

    Ceci explique pourquoi de nombreux sympathisants socialites sont partis chez Macron et y restent.

    1. baillet gilles

      On peut les remercier pour la politique antisociale mais « ouverte d’esprit » pratiquée par Macron…

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