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Le jour où j’ai débuté mes classes (der)

Nommé directeur d’une école de garçons née au milieu d’une bataille intense entre enseignants, élus et administration je me retrouvais à deux jours de la rentrée, inexpérimenté et mineur face à la réalité.

Robert Dumont, électron libre doté d’une redoutable plume (il a été le premier auteur du texte de la bataille de Castillon) me dressa en tête à tête un tableau à la fois pittoresque et acide de la situation de cette école née uniquement pour séparer les belligérants d’une bataille dans laquelle il jouait un rôle essentiel. « Vous allez découvrir le monde complexe, tordu er secret de Castillon me dit-il. Restez en dehors de tout ça et vous survivrez ! Mais au fait vous logez où ? Vous avez intérêt à vite rencontrer le Maire. Ah ! Aussi une particularité castillonnaise : il n’y pas de cantine ! » Décidément le challenge était élevé.

Je décidais de me préoccuper d’abord de ma classe car les 33 (ils furent même à un moment 35) gamins ne me pardonneraient pas une rentrée manquée. Le Directeur avait assez insisté au cours de nos trois heures de « morale professionnelle » sur la nécessité d’imposer sa patte dès le premier jour pour que je ne me soucie pas de ce que je proposerai à cette tripotée de garçons dont certainS avaient moins de dix ans de moins que moi.

En fin d’après-midi je décidais d’aller me présenter à la mairie. J’y fus accueilli avec intérêt par le secrétaire général répondant au nom de Chercheval. Un homme affable et souriant qui s’amusa beaucoup de cette nomination hors normes. Je n’ai jamais su si son sourire était celui d’une personne ironisant sur ma capacité à résister au cataclysme qui s’annonçait ou si dans le fond il pensait que c’était un bon tour joué aux « vieux instits » qui lui empoisonnait son existence de fonctionnaire municipal. Voir le Maire ? C’était possible mais seulement le jeudi matin.

Pour le logement ils avaient me proposa une partie du vaste logement dévolu aux directeurs antérieurs. Il me proposa au-dessus du bureau, une chambre, une salle de bain et un garage… Le reste avait été attribué au nouveau directeur du collège. Et la cuisine ? Il faudrait que je me débrouille. La cantine ? Je verrai avec le Maire. Les fournitures ? Que je fasse une commande et on verrait. Il m’assura de son soutien surtout quand je lui indiquais que je jouais au football. Il était en effet le secrétaire du Sporting Club Castillonnais. Libre de signer où bon me semblait sans faire mutation je devenais un joueur potentiellement intéressant pour un club qui visait les sommets. 

La veille de la rentrée je découvris le reste de l’équipe éducative. Au cours préparatoire la sémillante Mme Barrière, au CE 1 Mademoiselle (elle y tenait) Tailhurat, au CE 2 M. Minvielle, en classe de perfectionnement Madame Manterola. Tous avaient leurs habitudes, ne se parlaient guère et me regardèrent avec l’intérêt que manifestent les entomologistes pour une espèce méconnue. Curieux et pipelette notoire Minvielle rechercha tous les détails me concernant lui permettant d’alimenter la chronique locale. J’avais été prévenu. Ils furent unanimes pour me souhaiter bonne chance pour mon entrevue avec le maire… En leur précisant que j’étais en « mission » et sous surveillance, ils admirent la nécessité de m’aider plutôt que de me condamner ! J’avais l’avantage d’être étranger aux affrontements passés et à ceux qui pouvaient ressurgir à tous moments. Ils furent loyaux et solidaires. 

Lorsque je partis vers la mairie ils ne purent s’empêcher de me chambrer. « Tu vas voir il ne prononcera pas ton nom. Sa spécialité c’est de déformer les patronymes » En effet il me baptisa Dartagnan, ce qui aurait pu être flatteur mais n’avait aucun rapport avec mes origines. «  Alors je vous préviens, notre nomination est une vaste connerie. Vous avez dans cette école une bande de barjots et de gauchistes qui va vous bouffer en quelques semaines. Méfiez vous de Dumont qui est incontrôlable et dangereux. Je finirai par avoir sa peau. Le soutenir c’est être contre moi. » L’entame ne prêtait plus à sourire. « On m’a dit que vous vouliez une cantine ? Il n’y en aura pas. A Castillon les élèves peuvent rentrer manger chez eux ! » J’osais un « pas tous ! » . Après une discussions serrée il me promit d’aménager la salle d’un temple désaffecté à coté de l’école pour que les enfants apportant leur repas, puissent le prendre au chaud. Une première victoire qui fut la seule. « Moi je ne veux plus entendre parler de vous et de cette école. Vous réglez tout avec Chercheval !.. Mais vous me paraissez bien jeune pour tenir le choc… Au revoir Monsieur Pardagnan. »

Je ne le revis jamais de l’année scolaire qui fut agitée (mai 68) compliquée (relations avec le principal du collège), harassante (35 élèves plus la direction et un inspecteur hostile), formatrice (visites mensuelles chez Monlau), passionnante (des élèves qui m’enrichirent professionnellement) mais jamais je n’ai un seul instant regretté le jour où je suis devenu par arrêté de l’inspecteur d’Académie le premier directeur d’une école à plus de cinq classes irresponsable administrativement de ses actes !

NB : J’ai raconté cette aventure (car s’en fut une) dans un livre intitulé « Jour de rentrée » devenu collector !

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Cet article a 4 commentaires

  1. P c

    Tu as survécu à la jungle castillonnaise, tes décorations sont bien méritées…

  2. christian grené

    S’cusez moi encore m’sieur, mais le dernier chapitre de votre saga est entachée par ci par là de fautes d’orthographe et de syntaxe que je n’ai pas trouvées dans « Jour de rentrée ». Le titre, lui, m’a bien fait sourire, car il me semblait déjà vous avoir vu faire vos classes. Non pas à Castillon, mais au 31e RG de Libourne.
    Amitiés complices.

  3. M.C.Jolivet

    Ah!!! Grâce à toi j’ai enfin compris! Compris pourquoi en juin 68, après les grèves, quand je suis allée remplacer Mme Manterola (pour dépression, je crois…), j’ai trouvé dans cette école une atmosphère bizarre, en particulier au niveau des relation entre les collègues. J’ignorais jusqu’à ce que je lise ton récit cette histoire de séparation des écoles. M.Dumont, toujours disert, mais les autres soit méfiants, soit m’ignorant carrément. Tu étais mon directeur, mais on te voyait peu, trop occupé que tu étais par les tâches administratives et autres.
    Et j’ai compris aussi le pb de la cantine…
    A la fin de mon remplacement, tu as dû signer le formulaire pour l’I.A. Tu n’en n’avais jamais vu et je t’ai expliqué où se trouvait la partie de l’imprimé qui te concernait.
    Quel courage il a dû te falloir pour supporter ça pendant toute une année scolaire!
    Aussi, en sept.70, quand j’ai été nommée pour l’année en classe de perf. à Castillon, tu n’étais plus là. Un autre directeur, au demeurant tjrs très sympathique à mon égard, te remplaçait, et son épouse qui exerçait au CE2 a été vraiment très gentille, et pourtant j’ai oublié leur nom…
    Mais les tensions existaient toujours…et maintenant je comprends!
    Bien sûr, c’est M.Dumont qui est venu m’annoncer la mort du général de Gaulle, à la veille des vacances de Toussaint, en me disant: » Petite, je crois que nous allons avoir des jours de congé supplémentaires…Le grand Charles a cassé sa pipe! »
    Voilà, tu es le seul qui puisse partager ces souvenirs puisque le seul à connaître le contexte et les personnages.
    Je te remercie de m’avoir éclairée.
    Avec toute mon amitié.

  4. Jolivet

    PS: J’ai retrouvé! En 70-71, le directeur de Castillon et son épouse étaient M. et Mme Laborie.

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