Une tonitruante clameur monte de l’enceinte du Matmut Atlantique. Elle s’envole quelques instants après la sirène par l’ouverture béante vers un ciel qui a viré au noir profond, comme un immense soupir de soulagement. Le cirque acclame ses glorieux gladiateurs ayant vaincu leurs homologues habitués à vivre leur ville en rose. Dans toutes les travées on lève les bras sans mettre les pouces vers le bas. Après avoir scandé des appels à l’Union pour résister à un mascaret toulousain tentant de submerger les rives de la Garonne toute proche, la grande majorité des 42 115 spectateurs témoignait de sa satisfaction sans outrance à avoir vu ses favoris renverser les impudents toulousains.
Le salaire de la peur et du labeur pour cette UBB qui semblait irrésistible avant de flancher lorsque il fallut sortir de la réserve où ils se trouvaient des doublures vite déchirées par les envolées adverses. L’indécision régna jusque dans les cinq dernière minutes. La tension ne gagna jamais ce « peuple » mêlant les chevaux blancs des vieux n’ayant que très rarement appartenu à l’Académie de Musard et les têtes blondes de milliers d’enfants venus avec leurs parents au rendez-vous de la saion. L’école des fans passait avant celle des chiffres et des lettres.
De nombreux supporteurs adeptes du « rouge et du noir » avaient descendu le fleuve pour partager cette rencontre présentée comme le tournant du Top 14. Comme dans tous les affrontements manichéens ont retrouva vite le clivage des « bons » en blanc et des « méchants » en noir. Aucune animosité cependant dans la fan zone où la mise en bière des espoirs de succès des deux camps s’accéléra à l’approche de l’ouverture des portes du coûteux Colisée bordelais.
Les affaires allèrent bon train sans que personne ne renâcle à se parer aux couleurs de l’UBB. Les queues s’allongèrent devant toutes les boutiques officielles… sans le moindre mouvement d’impatience. Les Bleus mis en cartes garnirent les comptes des locataires de ce lieu spécialement aménagé pour une seule étape des jeux du cirque. Pas un mouvement d’humeur. Pas un seul geste d’impatience.
La foule ne s’emporte pas. Elle patiente avec des hot-dogs, des gobelets souvenir logotisés remplis à ras-bord, des barquettes de frites au cheddar, des burgers dégoulinant de mayonnaise et de ketchup et même des plats japonais mais surtout pas de kebabs ou de tacos. Un « pauvre » camion tente de passionner ces cohortes affamées pour des produits régionaux… sans grand succès. La zone ne justifie pas son nom. Aucun cri, aucune exagération, aucun slogan : une cohabitation tolérante entre familles, adolescents, papis et mamies, porteurs de bérets ou de casquettes à l’envers !
L’avant-match ressemble à une kermesse paisible seulement perturbé par les décibels des jeux du podium et une prestation de « Boitaclous ». L’immersion dans cette période d’attente ressemble à un bain en eau tiède avant le bouillonnement de l’enceinte où la ferveur collective transcende les couches sociales, les âges ou les niveaux de connaissance des règles du rugby. Le tourniquet franchi pépère et mémère se hissent au sommet des marches et peinent à suivre le reste de leur tribu juvénile impatiente de découvrir son point de vue sur le tapis vert. Là-haut le spectateur se trouve très loin des étoiles de la pelouse.
Dans un étrange méli-mélo de chasubles multicolores les Toulousains se croisent, se décroisent, jouant à cache ballon grâce à une vitesse des passes. Cette valse de feux follets permettra à Lebel de mystifier une carapace bordelo-béglaise prise de court. Tout Penaud qu’il soit, le dévoreur des grands espaces n’y a vu que du Bleu. En face la préparation de l’UBB ressemblait à une préparation militaire parfaitement réglée. Inlassable répétition des lancers en touche à l’épuisette ou salves d’auto-tampons destinées à préparer les chocs des premiers instants dont certains soulèveront des « ouh ! » admiratifs de cette foule avide de sensations fortes. Le Matmut s’était mis sur son 31 avec artifices divers, mini-pompoms-girls et animations de foire.
La tragédie en deux actes comblera l’arène où les « taureaux » cartonnent les « toreros » voulant échapper à leurs bras armés. L’UBB va s’offrir une première partie de rêve, exploitant les moindres défaillances d’adversaires déboussolés par le départ prématuré de Ramos. Le plus célèbre des Dupont n’en pouvait mais. Même Buros joua au Speedy Gonzalez au sein d’une escouade médusée. L’entracte permit aux fans de trinquer à leurs certitudes : la victoire en jouant devenait plausible. Les drapeaux frétillaient comme autant de témoignages d’un patriotisme triomphant. La déception marquait les coups de pied raté de Lucu.
La scène 1 de l’acte 2 durant laquelle les supplétifs « ubébistes » se retrouvèrent dépassés sur le champ de bataille par des Toulousains plus performants, laissa le bière tiédir dans les gobelets bordelais et les frites refroidir dans leur nid de matière plastique ce qui redonna de la voix aux grappes de supporteurs haut-garonnais jusque-là silencieux ou presque. Dupont devint Dupont et Dupont et encore Dupont pour guider ses compagnons de rédemption et sonner la révolte. A voix basse les fans girondins convenaient de sa classe au poste d’ouvreur des pistes d’évasion pour des Stadistes vexés. Plus rien ne paraissait logique. Le match devint dingue. Il fallut qu’un Bochaton donne un coup de griffe définitif pour que le ciel du Matmut ne tombe pas sur les têtes de ce bon peuple de l’UBB. Mais diable que ce bain de rugby était agréable.
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Bonjour Jean-Marie.
Et moi qui me disais qu’il n’y avait plus de poètes du rugby depuis les disparitions de Denis Lalanne et Patrick Espagnet! Ouais, Jean-Marie, il est devant sa télé des moments privilégiés qui aident à faire aimer le sport. Même aux pousse-citrouilles comme nous. « Quartier Libre », un livre que je recommande à tou(te)s, m’en est tombé des mains. « En-avant » a dit l’arbitre avant de siffler la récré.