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Erwan le saltimbanque des mots et des mets

Mais où est donc passé le patron dans ce restaurant ? Il y a bien ce galapiat à la barbe inégale, en maillot aux fines rayures rouges transversales qui se balade de table en table mais il n’a vraiment pas l’allure d’un patron. Il a visiblement ses habitudes et ses habitués puisque dès qu’une grappe de personnes entre, il la guide vers l’espace qui l’attend. Les bises claquent, les remarques fusent. « Alors on s’est perdu ou alors on a fait l’amour dans la voiture ? Quoi qu’à voir la taille et la stature de Monsieur ce n’est pas possible ! » La salle rit…Pas certain que les futurs convives en fassent autant. Peu importe. Il semble qu’ici on pardonne tout à celui qui virevolte en distillant conseils ou plaisanteries

Sa voix de stentor brise parfois le brouhaha des conversations. Erwan, après une escapade professionnelle à Paris, a choisi de revenir au cœur de son village d’origine. Le vaste espace du premier « supermarché » de Rostrenen devenu cantine ouvrière, salle de concert avant d’être inutilisé est maintenant son royaume, celui de son bon vouloir culinaire. Ce cuisinier au naturel sympathique y joue un stand-up permanent, amusant la galerie de son restaurant plein comme un œuf mais veillant à combler les éventuels souhaits de tout un chacun. Un coq de combat doublé d’une mère poule.

A peine assis chaque table reçoit sa visite. « J’ai déniché un porc à quelques kilomètres d’ici explique-t-il avec un enthousiasme communicatif. Je l’ai transformé en pâté de tête, en boudins, en cotes cuites durant de longues heures à basse température. J’ai aussi des rillettes de veau lui aussi venu directement de la ferme. » Tout le monde a droit à son bon mot, à sa remarque, à une saillie de sa gouaille ensoleillée qui redonne la chaleur qui manque à une journée grisonnante. Erwan, devenu vedette de télévision et de youtube, ne joue pourtant pas un rôle. Il vit ainsi. Il est sincère car il aime les autres, il aime ce qu’il leur propose; Il aime partager ce qu’il est avec les autres. Le patron est heureux quand le convive lui accorde sa confiance.

Des centaines de bouteilles sont en vitrine d’un bâtiment marqué par ses mues successives et privé de tout repère de l’existence d’un restaurant de qualité. Simplicité, sincérité et originalité constituent les références réelles de ce lieu transparent de la cuisine à la cave. « Si vous voulez l’apéro, c’est simple les verres sont dans le buffet de gauche et les flacons en face » explique Erwan . Pour le vin c’est pareil vous allez vous servir. Nous facturons le prix d’achat et la somme forfaitaire de 10 €. Vous êtes ici chez vous ! » Il se permet ensuite un commentaire sur le choix et ouvre lui-même les bouteilles. Le patron est partout, lâchant des bribes de chanson en se déplaçant d’un bout de la salle à l’autre. Heur…eux! 

« Madame ne mange pas le gras lance-t-il à une cliente qui chipote sur le contenu du pâté de tête. C’est le meilleur pour la santé ! Donnez-le à votre amie elle se portera mieux. » La cuisine généreuse accompagnée de sauces structurées maison et de pommes de terre sautées réjouit les corps lui laissant ainsi le loisir de s’occuper des esprits. « Quand il est parti confie un membre du personnel les soirées peuvent être longues sauf la dimanche où les gens rentrent plus tôt ! » Le « restau » de désemplit pas. Si l’on ne réserve pas il y a peu d’espoir de trouver une place même en bout d’une table. Erwan, devenu restaurateur prophète en son pays connaît le succès espéré. L’esprit village, le retour sur les racines avec le choix de produits locaux transformés avec soin lui ont permis de figurer pour la première fois sur le Guide du Routard. Le début d’une consécration officielle qui ne le passionne pas. 

Sorte de lutin dégingandé d’apparence insouciante, le Rostrenois bon teint a  en effet conquis une vraie notoriété grâce à son implication et son sérieux. Il ne parade pas, il vit son métier dans son entièreté. Réceptionniste, caviste, cuisinier, serveur, ambianceur et surtout très vite copain avec tout le monde, il a su créer un monde dans lequel on oublie les principes, les dogmes et les certitudes. On s’installe chez Erwan comme on le ferait à la ferme un soir de fin des récoltes. « J’ai la ligne car je n’ai guère le temps de manger, de me poser et j’effectue pas mal de pas dans une journée » ajoute celui qui créée le plaisir sain d’une carte où figurent des mets ornés des mots de celui qui les a imaginés ou empruntés à sa grand-mère.

Au 32, rue Olivier Perrin à Rostrenen (1) au cœur de la Bretagne intérieure bardée de verts de toutes les nuances, pleurant les larmes du ciel, un sacré numéro d’équilibriste est à l’affiche dans ce bâtiment anonyme qu’il faut dénicher afin de prouver sa motivation d’y venir . Erwan n’y triche pas avec l’authenticité. Il se contente d’être lui-même, ce qui est une garantie de qualité par les temps qui courent. Le youtubeur, sorte de saltimbanque de la cuisine, des mets et des mots, régale sans vouloir avoir la tête dans les étoiles.

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Cette publication a un commentaire

  1. François

    Bonsoir Jean-Marie !
    Après Corlay, nous voici à Rostrenen ! Dis donc, La Classe, Toi, l’Instit-écrivain, envisages-tu une version revisitée du célèbre marcheur ? Un titre ?  » les Restos familiaux de la Bretagne profonde » ! !
    Nous tolérons ton infidèle escapade délaissant les chapelles créonnaises pour les bretonnes … si les messes pour athées sont à base de rosé ou clairet de … Bordeaux ! Faut bien soutenir les derniers producteurs !
    Bonnes vacances au pays de Surcouf ! Fais gaffe; il parait qu’il y a encore des pirates dans ces lieux pittoresques . . .
    Amicalement

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