Les rondeurs d’Entre-Deux-Mers, extrêmement soignées se parent d’une sorte de tissu rayé, avec les traces d’un travail précis des vignerons, ne laissant que des sillons parfaitement symétriques dans chaque rang. D’autres fois, sur un lambeau de terre grise, des ceps trapus et rabougris transforment le paysage en tricot aux points parfaits. Dès que l’on prend un peu de hauteur les paysages, propres et ordonnés, forment un patchwork attendrissant, tellement on perçoit l’application des hommes à lui donner une vie.
Ce bel ordonnancement contraste à tout moment des prairies d’un vert très gras ressemblant à une voie lactée. Tout y est confus, poudreux, infini. A perte de vue se confondent des pâquerettes laiteuses et des soleils resplendissants. Abandonné aux hasards de la nature, ce méli-mélo constitue un univers miniature à part entière…pour celle ou celui qui prend le temps de se poser et de l’appréhender dans sa globalité, les yeux mi-clos. Imaginez un instant qu’un soir d’été, quand le ciel invite à la plongée des regards, vous perceviez des étoiles scintillantes au milieu d’une nuée vaporeuse.
Les astres qui percent sur le tapis vert ne portent pas un nom glorieux, donné par un astronome, mais celui que les paysans inspirés simplement par les effets constatés, ont porté depuis des siècles. Les « pissenlits » se haussent du col et arrosent d’une insolence digne de milliers, de millions de rois soleils, la France des chemins, des près et des allées de jardins. Ils sont désormais exclus des rangs de vigne, mais ils ont envahi le monde plat et humide.
Ces plantes, que la société moderne ignore, méprise et condamne, par simple ignorance de leurs vertus gastronomiques ou médicinales, ont pourtant fait des repas superbes dans les chaumières, avant de guérir des restrictions urinaires : d’un vulgaire absolu pour un mini astre flamboyant, dont les rayons éclairent tous les lieux rupestres ! Et, durant des siècles, munies d’une courte lame fine, les grands-mères, de noir vêtues allaient remplir le devant de leur tablier avec les pieds les plus tendres, amenés par le printemps. Parés de leurs fleurs, ils n’offrent plus en effet le moindre intérêt pour la table ou les clapiers..
Qui n’a jamais mangé une salade de pissenlits, avec des oignons nouveaux accompagnant une solide vinaigrette, ne connaît pas les véritables fruits de la terre. Tout repose dans le coup d’œil pour le choix. Attention, regardez bien le cœur de ces plantes, car il se doit de ne pas porter les moindres traces du soleil qui pointera ultérieurement, autrement il vous faudra sérieusement mastiquer le contenu du saladier. Certes, les enfants énurétiques en seront dispensés, puisqu’ il ne faut avoir aucun doute sur l’origine du nom de ces feuilles dentelées qui se collent au sol à leur naissance, avant de s’en détacher lors de leur mort. C’est sa vengeance à l’égard du mépris que les animaux lui portent et de la méconnaissance des hommes des temps modernes, même si désormais les mangeurs ne sont guère nombreux.
Les pissenlits tombent dans l’oubli, et c’est certainement la raison qui les fait se montrer toujours plus le long des routes épargnées par les gyrobroyeurs. Ils veulent retrouver la gloire que leur avait apportée, dans les écoles de la République, le dictionnaire Larousse. Le « Père des ânes » comme l’appelait mon instituteur, a sanctifié le fruit de la plante la plus « paysanne » de la terre française.
En fait, symboliser la distribution du savoir alors que sa seule action positive est de faire « pisser au lit », relève de la prouesse. Mais avez-vous remarqué combien ces boules duveteuses, parfaitement rondes qui dominent le reste de la prairie, portent la fierté de la connaissance ? Elles constituent un « tout » agrégeant les parcelles de l’avenir, résumant parfaitement ce que voulaient les instituteurs de cette époque : lancer dans la vie, sans être certain du résultat ultérieur, les graines de la vie !
Tous ont les mêmes racines, mais aucun n’aura le même destin puisque chaque grain reste soumis au bon vouloir du vent. Il s’accroche, quand le zéphyr se contente de le caresser. Il part, toujours à contrecœur, en premier, vers des horizons inconnus alors que le reste de la « classe » poursuit ses « études ». Il n’a pas toujours la chance d’être propulsé par le souffle parfumé d’une nymphe, mais trop souvent c’est le vent mauvais des aléas de la nature qui le contraint à abandonner la tige mère. Ces plumets élégants, raffinés, donnent en fait leur troisième vie… en mourant, aux pissenlits.
Ils succèdent aux éruptions solaires qui se produisent, chaque printemps, dans l’indifférence générale. Seules les mains innocentes des enfants les cueillent, pour un cadeau qu’ils pensent lumineux, pour leurs mères Ils ne sont plus nombreux à souffler sur les boules laineuses en faisant un vœu, que le vent doit emporter le plus loin possible dans leurs vies. ils reviendront bientôt su ces vastes espaces dépouillés des vignes que la crise a engendrés comme une revanche sur le destin que l’on leur a réservé.
Les désherbants n’épargnent plus les rêves, et ils les stérilisent avant même qu’ils soient formulés. Alors, si vous croisez la route d’un pissenlit, laissez le vivre…si c’est trop tard pour le manger. Regardez sa fleur comme vous le feriez d’un espoir de jours meilleurs. Sans le couper, penchez vous (car il faut s’incliner devant le savoir et ne pas se l’approprier), soufflez pour plonger dans le doute de votre avenir.
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Mon grand-père m’avait appris à les cueillir…et à les manger! Lui qui avait fait la guerre de 14/19 (il n’est revenu de Salonique qu’en août 19) a dû en manger pas mal pendant la guerre!
Il fallait surtout éviter de la ramasser là où paissaient les moutons pour éviter la douve, disait-il!
Je pourrais encore en ramasser car ils sont nombreux et se multiplient un peu trop à mon goût…
Mais si la guerre survient, on sera bien content de les trouver!
Allez bonne journée quand même…
Défense et illustration du pissenlit.
Il fallait tout le talent de Jean Marie pour nous faire une flamboyante évocation de ce modeste roi soleil.
Un peu de fraîcheur dans ce monde de brutes(suivez mon regard).
_ « Parés de leurs fleurs, ils n’offrent plus en effet le moindre intérêt pour la table ou les clapiers.. »_
Et bien il parait que non. Il existe une préparation, la « cramaillotte » ou « miel de pissenlit » qui se confectionne avec les fleurs. Je n’en ai jamais jusqu’alors ni consommé ni confectionné, mais je ne sais si, après cette belle lecture je ne vais pas me lancer dans l’aventure(j’ai une recette !).
Il faut ajouter que le pissenlit est probablement, avec ses multiples variétés, la plante répandue au monde. Le petit parachute de ses graines le propulse dans les régions les plus reculées : on en trouve dans la stratosphère et jusqu’aux pôles. Elles n’y ont bien sur aucune chance de pousser mais elles sont probablement les seules représentantes des organismes vivants.
Enfin pour aller plus loin : https://jardinierparesseux.com/2022/05/01/hommage-aux-pissenlits/
BONJOUR, j’adore ramasser les pissenlits et les manger avec une bonne vinaigrette et des lardons frits, c’est un vrai régal. Il fut un temps où dans les marchés de Bordeaux ils étaient vendus sur les étals des marchands de légumes. En plus ils ont une bonne action sur le foie (parait-il)
Bonjour;
un beau billet du jour poétique et bucolique teinté de nostalgie merci ça fait du bien. Pour rester dans la note nostalgique et nous plonger dans l’introspection Proustienne, remontent à la surface les saveurs de la salade de dents de lion avec ses petits croûtons aillés accompagnés de grattons lyonnais ou d’une craquante oreille de porc, ce dernier ingrédient étant devenu introuvable. Un œuf mollet pour sublimer l’assiette et voila un dîner de Lucullus*.
Dans le calendrier républicain français, le 26e jour du mois de ventôse ( approximativement mi-mars), est officiellement dénommé jour du Pissenlit, il annonce germinal.
Mon dictionnaire me chuchote : « Les pissenlits « véritables » sont des espèces du genre Taraxacum( genre de plantes dicotylédones anémochores appartenant à la famille des Asteraceae (Composées)). Des espèces d’autres genres de la famille des Asteraceae ( une grande famille de plantes dicotylédones, appelées aussi « Composées » ou plus rarement « Composacées » du fait que ce que l’on prend à première vue pour des fleurs chez ces plantes est en réalité des « composés » de fleurs minuscules, réunies en inflorescences appelées « capitules ».) peuvent prendre néanmoins ce nom vernaculaire. Il s’agit ainsi d’une espèce collective qui comprend de nombreuses sous-espèces ou espèces distinctes suivant les auteurs qui leur donnent des valeurs taxonomiques inégales en raison du grand polymorphisme des plantes. 250 à 300 sous-espèces (ou espèces distinctes) ont été décrites en France, 1 200 en Europe et près de 2 000 dans le monde. »
Merci pour ces précisions à mon ami le dictionnaire orné de l’image représentant une femme soufflant sur les aigrettes de pissenlits, due au peintre Eugène Grasset, marque du dictionnaire Larousse, symbole de « la connaissance semée à tout vent ». j’y songerai lors de ma prochaine chasse aux pissenlits dans ma pelouse.
Les pissenlits sont chassés des vignobles et oui la science a inventé les désherbants sélectifs dont ceux qui s’attaquent aux plantes dites « à large feuille ». C’est la molécule MCPA ** qui garde aussi les terrains de sports à l’abri du pissenlit et autres dicotylédones qui passent mal à la télé.
La science veut-elle tuer les pissenlits ? Il semble bien que non. Le « pissenlit russe », a été cultivé à grande échelle dans l’Union soviétique entre 1931 et 1950 pour supplanter l’hévéa brésilien dont les tonnages produits ne suffisaient pas à fournir l’industrie du caoutchouc en pleine croissance.Des recherches au début des années 2000 , surtout en Allemagne, portent à nouveau l’attention sur ce Pissenlit à Caoutchouc qui peut contenir jusqu’à 5 % de son poids sec en caoutchouc, voire davantage. En modifiant génétiquement cette racine, les chercheurs ont supprimé l’enzyme responsable de la coagulation du latex (par polymérisation rapide) à partir desquelles le caoutchouc peut s’écouler librement et être récolté, obtenant un rendement à l’hectare équivalent à celui de l’Hevea brasiliensis. Continental AG développe des caoutchoucs à base de pissenlit afin de limiter sa dépendance vis-à-vis des fluctuations du marché global du caoutchouc en raison d’un champignon très agressif qui affecte les arbres à caoutchouc, et du caoutchouc synthétique qui doit faire face à l’incidence des prix du pétrole.
Bientôt chez nous des champs entiers de pissenlits sous l’effet d’une mondialisation en fin de course? L’avenir nous apportera sa réponse. En attendant j’en ai appris beaucoup sur cette plante qui envahit ma pelouse
Bonne journée
* Repas de Lucullus : festin, repas somptueux. Lucullus dîne chez Lucullus : Faire un repas somptueux à son domicile, sans avoir d’invités.
** Le MCPA est un chlorophénoxy-herbicide qui, en tant que groupe, a été classé comme cancérigène possible pour l’homme. Suivant le degré d’exposition, une surveillance médicale périodique est recommandée, selon l’OIT. fiche toxicologique
https://chemicalsafety.ilo.org/dyn/icsc/showcard.display?p_card_id=0054&p_version=2&p_lang=fr