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La dame qui distribuait le précieux et doux lait de notre enfance

Madame Camus appartenait à ce qui était le village de Créon. Elle a vendu en direct de la Coopérative le lait du quotidien celui qui sauvait parfois de l’absence de repas. Immigrée espagnole elle avait affronté une vie rude et sans répit. Hommage rendu au nom d’une génération de Créonnaises et de Créonnais

 Tous toutes et vous tous qui êtes venus aujourd’hui si nombreux autour de la dépouille de Georgette Camus, plus exactement Madame Camus devrais-je dire avec le respect que je lui dois, vous avez ancrée dans vos esprits la certitude que sa modestie, sa vaillance, sa fidélité et son dévouement méritaient un hommage. 

Vous êtes partie comme une plume de duvet emporté par le courant d’air froid de la mort en tenant la main de son Aurélie. Elle l’a probablement attendue dans son inconscience pour aller chercher une petite place dans le ciel.

Madame Camus vous étiez une grande dame, ni par la taille, ni par la fortune mais par ce que vous étiez et ce que vous représentiez dans la vie de Créon. Vous étiez pour nous une mère courage et c’est au nom de cette ville où vous étiez installée depuis plus d’un demi-siècle que je m’exprime en cet après-midi gris comme notre cœur. Vous êtes entrée depuis votre disparition, dans notre passé là où se situe le souvenir de ces gens d’autrefois à qui nous devons ce que nous sommes devenus, avec lesquels nous partageons tant d’estime, d’affection et de tendresse pour ce qu’ils ont été et qu’ils resteront.

Des gens simples sûrement, mais des gens d’une si grande richesse humaine que nous avons toutes et tous le sentiment de perdre un trésor que nous possédions mais auquel nous avions fini par nous habituer.

Si depuis quelques temps votre frêle silhouette ne parcourait plus les rues de Créon elle restait présente dans les mémoires poussant sa remorque héritée de sa mère ou son vélo sur lequel je ne l’ai jamais vu monter. Madame Camus vous apparteniez en effet au monde le plus merveilleux, celui des enfants des villages où le bonheur fleurissait naturellement dans les cours des fermes, les cours d’école, les prés ou sur les chemins d’une vie partagée. Votre altruisme était remarquable.

Madame Camus vous étiez en effet, pour tellement de gamins, celle qui apportait le plus précieux du breuvage jusqu’à la fin des années 80 : le lait ! Combien d’entre nous vous doivent leur survie grâce à ce lait doux, mousseux, crémeux qui constituait parfois l’essentiel des leurs repas voire leur seul repas.  Dans votre petit local donnant sur la rue Jean Feuga et appartenant la Coopérative laitière vous remplissiez avec une mesure en aluminium d’un quart de litre, les pots au lait que présentaient avec envie que des Perrette joyeuses ou des Pierrot turbulents.

L’un d’eux apprenant votre départ vers le repos éternel m’a envoyé un message depuis New-York où il vit désormais. Enfant d’immigrés espagnols José Maria devenu un grand coiffeur aux Etats-Unis a écrit : « Je me rappelle très bien d’elle, j’allais chercher le lait. Elle finissait toujours pour me donner de la crème. (la nata) …quand j’arrivais à la maison, il y en avait plus! Je me rappellerai de cette grand Dame toute ma vie. » Tout ce que vous étiez se trouve dans cet hommage affectueux et révélateur de la perception que l’on avait de vous

Peut-être aviez vous gardé de votre enfance de fille d’immigrés espagnols très pauvres cette compréhension, cette générosité, cette envie de voir des regards heureux qui sont l’apanage des gens sachant d’où ils viennent.

Vos mains reflétaient plus que tout votre vie. Elles avaient travaillé à la chaîne en usine, dans les vignes des seigneurs, dans cette coopérative où il fallait chaque jour dimanche compris, laver les lourds bidons de la collecte et le sol de béton à l’eau froide quel que soit la température. Un boulot de titan pour le petit bout de femme que vous étiez. Noueuses, torturées comme tout votre corps vos mains inlassables ne savaient que dispenser de la douceur par la cuisine que vous adoriez mitonner pour votre famille ou leurs amis. Les poulets rôtis, les sauces de lapin et plus encore celle des escargots que vous ramassiez vous-mêmes dans la plus pure tradition de ce quartier de la Gare que vous aimiez tant.

Veuve à 35 ans il vous a fallu élever seule quatre enfants pas faciles. Vous aviez un solide caractère, une volonté de fer et plus que des principes ce sont des valeurs que vous leur avez transmises. « Maman débrouille », « maman poule », « maman solide », « maman exigeante », « mamie gâteau » vous avez surmonté avec une résilience exceptionnelle tous les obstacles selon le constat d’Alphonse Allais voulant que « les gens simples aillent tout droit sur leur chemin à moins qu’il n’y ait une barricade qui les contraignent à un détour » Et la vie ne vous a jamais épargnée les barricades. Les plus hautes, les plus dures, les plus terribles. Vous les avez toutes franchies ou contournées sans mot dire. Vos blessures étaient secrètes, profondes mais vous n’en laissiez rien paraître. Vous les avez enfouies derrière le sourire mouillé de la fatalité.

Dans tous mes souvenirs de Maire, celui de l’annonce de l’élection d’Aurélie comme centième rosière restera comme le plus émouvant. Vos larmes coulant sur votre visage, votre voix émue, votre plaisir de renouer avec le plaisir que vous aviez eu lors du couronnement de votre fille Josette trop tôt disparue subsistait dans ma mémoire. Aurélie, votre Aurélie, centième Rosière de Créon… Que du pur bonheur pour vous ! Vous en rêviez. Vous en avez savouré les moments essentiels. Aurélie tu l’avais rendue tellement heureuse et elle le méritait bien. C’était la juste récompense de sa sollicitude et de son affection.

Madame Camus, mamie Camus, maman Camus vous emportez au paradis toute une époque. Elle ne fut ni glorieuse, ni grandiose, ni facile, ni prospère mais elle respirait l’effort, les larmes, les joies du partage et l’envie permanente d’être utile aux autres et la douceur du lait ! Selon un proverbe australien « seul l’amour remplace le lait ». je le crois et vous l’avez démontré en nous donnant les deux. Merci pour ces milliers verres de tendresse que vous avez distribués avec générosité.

Mesdames, messieurs ne pleurez pas d’avoir perdue Madame Camus mais réjouissez-vous de l’avoir connue. C’était une bien belle personne qui respirait une saine modestie et une force lumineuse. 


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Cet article a 13 commentaires

  1. J.J.

    Ainsi va le monde Jean Marie, chaque jour nous amène son lot de peine, cela devient hélas de plus en plus fréquent pour les « vieux que nous sommes devenus.
    Même si la vieillesse n’est pas forcément un naufrage comme l’avait déclaré le Général (pour un tout autre sujet) elle nous réserve des moments bien pénibles, avant que notre tour arrive.
    « Sic transit gloria mundi », mais il en est de même de la modestie et de la bonté.

    1. christian grené

      Bonjour J.J.
      En somme, c’est l’histoire du pot de lait et du lot de peine

      1. Laure Garralaga Lataste

        @ à mon ami christian…
        Qui est en pleine forme… !

    2. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami J.J.…
      La vieillesse n’est un naufrage que pour ceux et celles qui ne savent pas se jouer d’elle… ! Notre rôle, à nous les vieux et les vieilles…, n’est-il pas de transmettre à la jeunesse nos expériences accumulées… ?

  2. alain

    bonjour Jean Marie

    Avec la disparition d e Mme Camus c’est une page du passé de Créon qui se tourne
    Nostalgie de ce village qui disparait petit à petit .

    1. Laure Garralaga Lataste

      @ à mon ami Alain…
      Que néni… mon ami ! Créon ne « disparait pas petit à petit »… Créon est un village qui évolue.

  3. Laure Garralaga Lataste

    Etre responsable de la distribution de ce précieux élément qui nous fait grandir et enrichit les neurones de notre intelligence… Y a-t-il plus beau métier au monde… ?
    Un grand hommage à maman/mamie Camus… Compter une madame Camus dans ses ouailles… y a- t- il plus grande chance pour un village ? !

  4. Laure Garralaga Lataste

    Madame Camus, immigrée espagnole… Comme l’était la maman du grand Albert qui immigra en Algérie…et où naquit le grand Albert Camus !

  5. Laure Garralaga Lataste

    Merci Jean-Marie pour cette photo de Mme Camus…
    « ¡ Sí que tiene cara de Española… y lleva en su sonrisa la generosidad de los que han dejado atrás amor de la patria y su juventud… »
    Traduction : Elle a bien le visage d’une Espagnole…! Et dans son sourire, on peut y voir la générosité de ceux qui ont laissé derrière eux l’amour de leur pays et leur jeunesse…

  6. Barbon

    Merci beaucoup pour ce très bel hommage que vous lui avait offert , Madame Camus , Georgette , est la grand-mère de mon mari, celle qui l’a élevé , qui l’a vu grandir … celle qui gardait de temps à temps mes filles (ses petites filles) .. votre très beau texte et sa lecture m’ont beaucoup émue, merci infiniment .. merci pour elle …
    bien à vous

  7. François

    Bonsoir J-M !
    Encore un beau texte …. écrit avec les tripes! !
    Oui, nous pouvons dire que nous sommes dans la continuité car si, hier, ta plume a encensé le partage et la générosité de l’ Homme au camion rouge, aujourd’hui, elle enrubanne la Laitière des créonnais à la générosité reconnue de tous.
    Deux humbles personnes qui quittent l’espace créonnais et dont on ne mesurera l’absence que dans quelques jours en constatant : » Tiens, il manque une main tendue du secours, un visage marqué par l’apreté du parcours mais au sourire sincère … venant du cœur ».
    Ainsi va la Vie … appelant à grands cris la Relève de l’EXEMPLE .
    C’est là que réside le Partage.
    Amicalement

    1. François

      ….réside le Partage : le VIVRE ENSEMBLE ! !

  8. Jose Merat

    …que de bons souvenirs de Madame Camus!
    la première personne qui me faisait un sourire le matin, cette grande Dame,
    Madame Camus. je me rappellerai d’elle toute ma vie! “un poquito de nata” 🙂
    Merci Jean Marie.

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