« Chaque année, en France, on commémore ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane, c’est-à-dire le massacre de tout un village. Mais on en a fait des centaines, nous, en Algérie. Est-ce qu’on en a conscience ? » C’est cette phrase énoncée sur l’antenne de RTL, le 25 février 2025, par Jean-Michel Apathie fait polémique à quelques jours de la célébration du cessez-le-feu du 19 mars 1962. La France a construit au fil des années un mur du silence sur les exactions de son armée dans de nombreux conflits. J’ai toujours ressenti dans tous les échanges que j’ai pu avoir avec des acteurs des conflits qu’il constituait la meilleure manière de « parler » de ce qui ne fut jamais aussi glorieux que l’Histoire le présente. Malheur à celui qui enfreint cette règle voulant que nos guerres n’aient été parsemées que d’épisodes glorieux.
Récemment un ami m’a apporté un album de petites photos datant des années 1940-1944. Un trésor car elle reflète ce que fut dans un village la Résistance. Ces clichés du quotidien de jeunes dans leur quotidien sont très rares. Ceux-là étaient restés cachés et depuis que l’on connaît leur existence il règne une certaine agitation dans la commune. Qui y figure ? Où ont-elles étaient prises ? Comment sont-elles parvenues à leur possesseur ? Plus de 80 ans plus tard, compte tenu du fait que les réseau a été trahi et a valu à son chef d’être fusillé et à certains de ses membres de connaître la déportation. Des fantômes se sont brutalement réveillés…C’est toujours difficile d’évoquer cette période localement. Il faut laisser cette période à ses mystères.
Les appelés rentrés d’Algérie dont il faut imaginer ce qu’a pu être pour eux de participer à ce que l’on a appelé durant des années des « opérations de maintien de l’ordre . Si l’on part de la colonisation qui a duré 18 ans et a été marquée par de multiples batailles et actions de répression massive sur la population il est certain que les comportements dénoncés par Apathie ont été réels. Certes ils ont échappé aux manuels scolaires de ma jeunesse qui ne retenait que la soumission d’Abdelkader mais on a toujours oublié des massacres, des comportements d’officiers ayant par exemple conduit le général Berthezène qui est relevé de ses fonctions pour avoir en dénoncé des faits coupables. C’est ainsi que la colonisation a toujours été présentée comme bénéfique pour les peuples autochtones !
Comment oublier plus trad les massacres de 1945 dont les historiens ont rarement mis dans les livres. Dans les bourgades de Guelma et de Kherrata le 8 mai 1945 l’armée française tire sur la foule. Dans cette dernière ville vers 22 heures, la légion étrangère arrive. La répression est massive et dure jusqu’au… 24 mai. À Sétif, les choses se déroulent pacifiquement jusqu’à ce qu’un jeune, portant un drapeau algérien, soit abattu. La population se déchaîne et tue 102 Européens. Les représentants de l’Etat décident de riposter militairement contre les communautés locales.
L’aviation et la marine pilonnent des villes et villages alors qu’à Sétif, les hommes du général Raymond Duval mitraillent une foule sans armes. Les affrontements terminés, le 22 mai, on s’efforcera de faire disparaître leurs traces. Une polémique entoure le nombre de décès que les autorités françaises évaluent à 1500 et le consul américain de…40 000 à 45 000. D’autres chercheurs parlent pour leur part de 8 000 à 20 000 morts Le nombre n’a jamais été officialisé et cette répression alimentera le ressentiment algérien contre la France. Il est d’ailleurs difficile d’évoquer ces épisodes car ils ont été oubliés dans la mémoire métropolitaine. les réveiller n’est guère conseillé en ce moment.
Il y a eu durant les années 60 sur le sol algérien des massacres de part et d’autre. Le nier c’est tout simplement ne pas vouloir admettre que dans un conflit armé, l’horreur n’est pas l’apanage d’un camp ou d’un autre. La définition du crime de guerre ne laisse pas de place au doute : « Assassinat, mauvais traitements ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinat ou mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécution des otages, pillages de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires. » Qui peut affirmer qu’en Algérie il n’y en a pas eu ?
Certes les Algériens ont commis de exactions aussi, des assassinats horribles aussi, des crimes impardonnables et le nier serait tout aussi nul. Jean-Michel Apathie a secoué le silence voulant que l’Algérie n’ait qu’à se louer de la colonisation. Il a réveillé le national-populisme en une période où le «patriotisme » est érigé en vertu essentielle. L’armée devient la priorité des priorités et il était malvenu de rappeler des événements qui ternissent son image. C’est la guerre qu’il faut condamner. L’humanisme et la Paix exige parfois des paroles fortes et provocatrices. Nous en avons tellement besoin pour réveiller les mémoires.
Bandeau : la carte publiée dans le Monde des événements de 1945 et des villages touchés
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Les « appelés » qui sont intervenus en Algérie et qui en sont revenus (du moins en entier, et sur leurs deux jambes) ont souvent souffert des séquelles psychologiques suite aux événements dont ils ont été les témoins ou les acteurs.
L’un d’eux, par exemple, parmi mes connaissances, en dépression nerveuse grave, et sans soutien psychologique, a mis très longtemps à se remettre des « missions » auxquelles il avait dû participer : dans un douar encerclé, faire sortir les habitants de leurs misérables logis et les rassembler.
Ensuite il était chargé, comme soldat du génie, de détruire à l’explosif ces habitations au cas où elles auraient abrité des combattants de l’armée de libération.
Une variante de « tuez les tous, dieu reconnaîtra les siens ».
En effet, est ce bien politiquement correct de rappeler ces tragiques souvenirs ?
JM Apathie a eu le courage de dire tout haut ce que beaucoup savent et se contentent de dire tout bas.
Post emprunt de vérité(s), et tu te doutes que je l’apprécie. Bob, la carte ne descend pas assez au sud pour que j’y situe mon dernier séjour de bidasse.
Tu écris « … à ce que l’on a appelé durant des années des « opérations de maintien de l’ordre » C’est d’ailleurs ce que mentionnent nos livrets militaires, le décret refilant les « commémos » et nos « diplômes » de reconnaissance de la Nation.
Tu as raison de rappeler le 8 mai 45, à quoi j’ajouterai que parmi les combattants du continent africain, renvoyés chez eux, avant que nos armées (alliées) passent le Rhin, il y avait donc des Algériens auxquels avait été promis le statut de Français « à part entière » et que la réalité, au pays, remettait au rang d’ « indigènes ».
J’ai été interrompu (tâches domestiques) dans mon précédent commentaire, d’ailleurs incomplet quant à une phrase : on disait aussi « les évènements »…
Je voulais rappeler le cas et le souvenir du général Paris de Bollardière, béret rouge après 1945, Indochine puis AFN dont évidemment l’Algérie. Lors de la « bataille d’Alger », Bollardière refuse d’obéir quant aux moyens d’extraire du renseignement, la torture donc. Ce qu’Aussaresses appliquera avec zèle, Bollardière le refuse. Massu le fait rappeler à Paris, ce brillant général aura en fait sa « carrière » brisée. Il y a quelque 25 ou 30 ans, à l’occasion d’un Salon du Livre sur les quais à Bordeaux, je me suis entretenu avec le commandant (lui aussi béret rouge) Élie Denoix de St Marc et lui expliquait pourquoi le contingent n’avait pas suivi en avril 1961 (putsch des généraux). Lui, qui jusqu’à cette date avait été sans reproche (par rapport à ses devoirs patriotiques), bascula, non par idéologie mais parce qu’il avait compris que la France abandonnerait ses « fidèles » parmi les autochtones (supplétifs divers, harkis, etc) et il me raconta comment, après Dien Bien Phû, il avait dû partir des montagnes où, les villages (aujourd’hui « les ethnies ») loyalistes, les gens (pas seulement des hommes) couraient derrière les GMC, s’accrochant aux ridelles et l’ordre qu’il avait donné de les refouler, éventuellement à coups de pieds (tiens donc… et les Kurdes ailleurs et aujourd’hui ?). Un appel téléphonique… et en quelques secondes St Marc a basculé, a rassemblé les légionnaires bérets verts à Zéralda… pour embarquer et monter sur Alger faire la police pour le compte des putschistes… au nom d’un « plus jamais ça ! ». Et nous avons ensuite parlé de Bollardière.
Enfin, deux derniers points du commentaire que j’aimerais te laisser. D’abord lié à une récente actualité littéraire. J’ai lu Houris, le Goncourt obtenu par Kamel Daoud. Dans les années 90, il n’y a pas eu de guerre en Algérie, circulez y a rien à voir, la réconciliation a tout effacé ; j’ai retrouvé l’ambiance décrite par Boulem Sansal dans Le Village de l’Allemand… la chappe écrasant une mémoire collective et malheur à qui dit mot… Ensuite au sujet du 19 mars, qui approche.
Ce n’est évidemment pas la fin de la « guerre d’Algérie » (qui se poursuit à bas bruit, au niveau des chancelleries et présidences) même si la proclamation d’un « cessez-le-feu » est factuelle et devient calendaire et commémorative. De ce point de vue, aucune date n’est satisfaisante. J’ai longtemps milité pour la commémoration d’une « fin » de cette guerre le 19 mars. Je suis allé voir la stèle du Quai Branly. J’ai compris pourquoi J. Chirac a voulu faire du 5 déc. la date à commémorer, mais l’ai refusé, par solidarité je crois avec des camarades « anciens d’Algérie ». Et puis, et puis… l’âge (peut-être) aidant… j’en suis venu à me dire que, puisque aucune date ne convient, au moins l’hommage de ce président aux soldats et harkis morts durant ce conflit (et dans ma tête : les populations et tous les bidasses qui ont eu à souffrir de cette histoire et en souffrent encore), faisant de ce lieu un Mémorial, constitue peut-être le lieu, et donc une date, le 5 décembre, permettant à tout un chacun(e) de s’y retrouver, s’y reconnaître. C’est mon point de vue… qui ne m’empêchera pas, mercredi prochain, de hisser les couleurs lors de la cérémonie que les anciens combattants ont prévu de célébrer.
et lui expliquait : oh ! et lui expliquais
Bonjour et merci pour les deux commentaires @ B de la Rocque et @ JJ qui illustrent parfaitement le conflit intellectuel entre le devoir d’obéir des militaires et leur propre conscience … Obéir c’était accepter de trahir les autochtones fidèles compagnons d’armes ou désobéir et encourir toutes les conséquences de ce choix. Vous voudrez bien m’excuser de considérer que les commémorations (toutes) ne sont que des hypocrisies nationales. Amicalement
Oui, « devoir d’obéir »… au point que lorsque l’on dit pour les soldats tués ou morts en Algérie « morts pour la France », dans ma tête je marmonne « morts en faisant leur devoir ». Ce n’est pas une clause de style ni un artefact de sémantique mais bien ce que « politiquement » ce fut…