Dans l’histoire du Parlement il y a des discours qui restent dans l’Histoire comme étant des références oratoires. L’affrontement de tribunes furent durant la période de la IIIe République des moments dont se régalaient un public de connaisseurs. Ils aimaient les bons mots, les attaques acerbes, les envolées lyriques et plus encore les arguments simples mais solides. La presse écrite se faisait l’écho de ces prises de position réservées à des ténors prenant l’Assemblée ou le Sénat pour un opéra des mots et des formules chocs. Désormais ces maîtres du verbe délivrent dans le langage actuel des « punch-lines » sortes de « bijoux » à ranger dans les coffre-forts à citation.
Il faut bien avouer que par les temps qui courent ces gladiateurs de l’expression orale se raréfient puisque la très grande majorité des femmes et hommes politiques se contentent de lire un texte écrit par ce que l’on appelle une « plume ». Rares, très rares sont ceux qui s’astreignent à mettre noir sur blanc une déclaration qu’ils prononcent en général que pour laisser une trace d’une prise de position circonstancielle. Ils prétendent ne pas avoir le temps de s’astreindre à mettre noir sur blanc des prises de position personnelles.
En général un orateur digne de ce nom n’a jamais besoin de réclamer le silence. C’est ce qu’il dit qui l’impose par son intérêt et la manière dont il l’exprime. Les plus performants s’adaptent à leur auditoire ou prépare leur texte en fonction du public auquel il est destiné. Ressentir le contexte dans lequel on s’exprime appartient qu’aux plus « grands » des tribuns. Jean Jaurès, selon tous les témoignages savait parler aux mineurs en grève de Carmaux qui le respectait alors qu’il n’était pas de leur monde. Ils ressentaient la compassion, le partage des colères, la sincérité des propos.
Il fut sans aucun doute l’un des principaux orateurs de la vie politique française : en tête-à-tête ou au sein de groupes, à la Chambre ou en campagne électorale, à l’issue de manifestations ouvrières ou dans des meetings populaires, dans des conférences érudites ou à la tribune de congrès… : Jean Jaurès a parlé toute sa vie durant, n’arrêtant bien souvent de parler que pour écrire ! Les deux vont souvent de pair… Ses déplacements en province attiraient toujours un immense public, et ses prises de position à la Chambre, attendues par ses amis, suscitaient la crainte et l’effroi dans le camp adverse. Un privilège qu’il a payé de sa vie !
En une période où porte-voix et micros n’existaient pas, la prise de parole en public était malaisée. Mais elle demeurait nécessaire au débat démocratique et civique. En tous lieux – et surtout au Parlement, temple de l’éloquence –, les hommes politiques étaient appelés à s’exprimer et à débattre. Jaurès affectionnait particulièrement cela, même si l’irritation de ses cordes vocales l’a forcé au repos à plusieurs reprises. Pour convaincre le plus grand nombre de la justesse de ses pensées, il donnait tout de lui-même.
Dans le film « le Président » d’Henri Verneuil sorti en salle il y a 64 ans, Jean Gabin prononce un discours devant ses pairs de la Chambre des députés exceptionnel et qui n’a pas pris une ride. Le texte écrit par Michel Audiard ne prendra jamais une ride tant que la vie politique reposant sur les faux-semblant, le prêt-à-porter idéologique et la facilité de l’insulte subsistera. Je ne me lasserai pas d’écouter ce moment de cinéma qui n’en n’est pas tellement il est vrai, campé par un acteur exceptionnel dans ce rôle. Le « vieux » Emile Beaufort a de la voix, de l’allure et une force dans l’expression qui m’ont toujours fait rêver.
Lors du débat au Sénat sur le conflit en Ukraine Christian Malhuret a redonné ses lettres de noblesse au discours institutionnel. Son discours a constitué un régal pour les amoureux de ce qui constitue en définitive un spectacle intelligent. Il n’a aucun charisme physique. Il n’utilise aucun soutien gestuel. Il ne possède pas une voix exceptionnelle. N’empêche que la densité de sa déclaration m’a procuré une joie profonde, celle qu’éprouve un amateur du verbe haut en découvrant le talent indiscutable d’un professionnel. Il paraît que son envolée sobre, directe, dense effectue le tour du monde grâce au… réseau d’Elon Musk qu’il a qualifié de « bouffon sous kétamine ».
En regardant hier en soirée la communication de presse du Trumpitre j’ai inévitablement pensé à sa description synthétique expliquant que « Washington est devenu la cour de Néron (avec) un empereur incendiaire, des courtisans soumis(…) » tellement le spectacle était conforme à cette comparaison. Avec des mots, Malhuret a synthétisé lui, le toubib, les maux dont souffre la planète. C’est le privilège des vrais orateurs. Il n’a pas pour autant réveillé le sénat qui le prend pour un farfelu donneur de leçons. « Nous êtions en guerre contre un dictateur, nous nous battons désormais contre un dictateur soutenu par un traître (…) Le roi du deal est en train de montrer ce qu’est l’art du deal à plat ventre ». Aux États-Unis son discours a agi comme un exutoire, un révélateur. Relayé et traduit par CNN et de nombreux comptes d’internautes sur les réseaux sociaux, le discours circule parmi tous les opposants à Donald Trump comme une bouffée d’oxygène. A sa place je me méfierais…
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« Washington est devenu la cour de Néron… »
C’est une image certes, mais plutôt calomnieuse pour Néron qui, sans être un très gentil garçon n’était pas aussi dépravé et brutal que les pères de l’église l’ont voulu décrire. La « fake news » n’est pas une découverte du XXIème siècle, elle existait déjà dans l’antiquité romaine : falsus nuntius, ou quelque chose d’équivalent.
En ce jour du 8 mars, jour de la Femme (comme s’il était besoin , dans une société égalitaire et normale de consacrer un jour à la Femme, à sa défense et à sa dignité.)
La manière scandaleuse dont celles ci sont parfois traitées, preuve de cette discrimination, de cette forme de racisme intolérable, comme tous les racisme, rend cette manifestation indispensable. Il y a des progrès à faire dans ce domaine.
En ce jour, dis je, et en considérant l’actualité qui nous vient des régions sauvages d’outre Atlantique, je vous recommande, si vous ne l’avez déjà fait, la lecture de l’écrivaine canadienne Margaret Atwood, une dystopie d’une brûlante actualité : la Servante Écarlate(écrit en 1985, traduit en français en 1987) . Je le relis actuellement, et je crains qu’avec les sous primates qui ont pris le pouvoir aux USA, cela ne devienne réalité.
On peut facilement se procurer cet ouvrage dans toutes les bonnes libraires indépendantes, ou à défaut le commander sur un site d’ouvrages « d’occasion », comme Recyclivre ou AB Books à un prix défiant toute concurrence. (publicité gratuite)
Bonjour,
choisir le 8 mars anniversaire des 75 ans du docteur Malhuret pour rendre hommage au tribun sénateur qui se paye Trump et Musk en une seule fois voila qui m’étonne.
Le sniper du sénat est un habitué des formules qui font mouche. Il est à la fois le dr Jekill le philanthrope et mister Hyde . « Il est malin, mais pas toujours très franc et courageux, il évite de prendre des coups », dit de lui un sénateur. Son discours sur l’Ukraine est un modèle de son écriture stylée permettant d’enfiler les contre-vérités comme des perles sur le fil de son art oratoire. Assénant comme des vérités les mensonges répétés à l’envie sur la santé économique de la Russie, en complète contradiction avec les chiffres du FMI. Le rêve des économistes de salon était de mettre à genoux l’économie Russe, chacun peut constater où nous en sommes aujourd’hui.
Mister Hyde dans son discours énonce « Après Budapest, la Géorgie et Minsk, nous savons ce que valent les accords avec Poutine.» Si l’on s’en tient au dernier accord cité par le sénateur ( Minsk), il a été clairement énoncé par Merkel que cet accord a permis de gagner du temps . « Les accords de Minsk de 2014 ont servi à donner du temps à l’Ukraine […] Un temps qu’elle a utilisé pour se renforcer, comme on peut le constater aujourd’hui. Hebdomadaire die zeit 7 décembre 2022. »
Je pourrais reprendre tous les points contestables du discours de Malhuret mais ce serait fastidieux pour moi et ceux qui ont la patience de me lire. Voici l’épilogue du discours « Nos parents ont vaincu le fascisme ( Monsieur Malhuret oublie volontairement les millions de morts de l’ex URSS) et le communisme au prix de tous les sacrifices. La tâche de notre génération est de vaincre les totalitarismes du XXIe siècle ( Mais surtout pas le capitalisme!!). Vive l’Ukraine libre, vive l’Europe démocratique. ( Nous pouvons tous constater le niveau de démocratie de l’€urope le dernier exemple est la Roumanie)»
Mister Hyde Malhuret dans son discours nous exhorte au sacrifice ultime d’une guerre sans fin pour un honneur de pacotille.
Le Docteur Jekill-Malhuret est aussi un grand humaniste il a co-fondé en 1999 avec le détestable Laurent Alexandre la plateforme Internet médicale Doctissimo, revendu à Lagardère en 2008 139 millions d’€. De 2006 à Novembre 2014, Claude Malhuret a été Directeur du Développement Éthique de Korian, premier groupe européen de maisons de retraite médicalisées et de cliniques de soins de suite. En 2022 le groupe Korian a été poursuivi en justice pour mauvais traitements et mise en danger de la vie d’autrui plus de trente plaintes.l’Éthique mise en place par le Dr était sans doute élastique.
Je pourrais aussi avoir la mauvaise foi de rappeler sa croisade pro-vax et liberticide lors de la covid, mais vous pourriez penser que je lui en veux…
Je me contenterais de rappeler ses bons mots de très bon camarade. « La Nupes est morte. Elle est en soins palliatifs depuis juin. Elle est au stade du prélèvement d’organes. » c’est pas faux ! «Mélenchon? La liberté d’expression d’un révolutionnaire du boboland» pas mal non plus !
« En fait, Faure n’a jamais rien dit. Faure, c’était le petit chien en plastique sur la lunette arrière, qui dit oui pendant tout le voyage. » le scalpel à la main le bon docteur taille dans le vif et sans anesthésie.
Bonne journée
facon jf @ Merci pour cette mise au point.
Il est parfois bon de remettre au figuré les « pendules à l’heure » (ça ne va d’ailleurs pas tarder « au propre », avec le très contestable changement d’heure au début avril dont on constate surtout les effets perturbants, mais n’étant sans doute pas assez intelligent, je n’ai pas encore compris l’intérêt de l’entreprise).
Amicalement
J.J.
@JJ un passionnant entretien sur l’ONU à retrouver ici
https://elucid.media/politique/le-systeme-international-au-bord-de-la-rupture-la-catastrophe-qui-nous-attend?mc_ts=crises