(..) Lorsque le lendemain elle arriva, elle trouva sur la table de la salle à manger plusieurs pochettes transparentes dans lesquelles se trouvaient des gommettes, des sapins colorés, des silhouettes diverses dont des étoiles et des animaux ainsi que des rouleaux entamés de papier rutilant. Il y avait également des fiches bristol sur lesquelles courait une écriture manuscrite et de petits croquis. Monsieur Georges avait été fouiller la caisse soigneusement rangée dans le garage où semble-t-il, se trouvaient les souvenirs « pédagogiques » de feu son épouse. Pas question de poser la moindre question. Pas question de formuler une remarque. Elle sourit et avança vers la cuisine où événement inhabituel en ce lundi, le vieil instit était encore assis devant son thé vert. Il semblait ailleurs.
« Bonjour Monsieur Georges. Comment allez-vous ce matin ? Il se retourna comme surpris par l’arrivée d’une personne qu’il n’aurait pas entendu entrer.
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Ah ! Bonjour Laurette. C’est toi… Il leva les yeux. Il semblait préoccupé.
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Alors ce week-end ? Comment s’est-il passé ?
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Difficile. Très difficile. A cause de toi d’ailleurs !
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A cause de moi ? Qu’ai-je fait de si terrible?
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Rien… Rien… Tu m’as bousculé.
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Je vous ai bousculé ? Quand ?
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Vendredi quand tu m’as proposé de mettre un sapin au salon. Je t’ai dit que je ne voulais pas trop. Et, pour que tu sois heureuse, j’ai fouillé dans les affaires que ma femme avait rangées « au cas où… ça intéresse quelqu’un » après son départ à la retraite. Ce fut pénible. Un moment douloureux. Combien de fois je me suis moqué d’elle quand elle ramassait les boites vides de fromage, les parties cartonnées des rouleaux de papier hygiénique, les boutons, les petites pignes ou les boules des cyprès ? Et là tout à coup, tout est remonté à la surface. Son sourire, sa douceur avec les enfants, son envie de leur apprendre à aimer les autres, à penser aux autres, à créer pour les autres. Je l’avais enfoui en moi !
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Je comprends. Je comprends répondit Laurette un peu gênée.
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Je suis un vieux comme ils disent au bar. Ils sont raison car je mâchonne sans cesse ma détresse pour en extraire le suc des souvenirs. Et là brutalement, ils étaient devant moi. Une autre époque. Une autre vision de l’enfance. Une autre vie. Tu sais j’ai tellement été heureux dans ma classe et elle-aussi. Les gens ne le croient pas mais en donnant tout aux gosses ils te redonnent dix fois, cent fois plus si tu les aimes et tu leur fais confiance.
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Et alors ?
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Et alors ? J’ai bien réfléchi. Je crois qu’elle aurait répondu favorablement à ta demande. Elle aurait aimé un sapin de Noël décoré par des enfants avec leur propre imagination, leurs propres mains. Mes petits-enfants sont trop âgés pour le comprendre. Ils on été éduqués d’une autre manière. Tu sais la réussite financière des parents ne favorise pas toujours l’autonomie et la responsabilité des enfants… En dehors de leur mobile plus rien ne compte.
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Vous êtes trop sévère comme d’habitude lâcha Laurette.
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Certainement. Alors tout bien réfléchi, j’accepte ta proposition pour te démontrer le contraire. Que Léa et Julien viennent mercredi… On verra bien ! S’ils s’ennuient avec moi tu passeras les récupérer à midi. S’ils ont une ou deux copains de plus je veux bien les recevoir. Mais tu les préviens je suis devenu un vieux solitaire alors qu’ils ne me bousculent pas trop.
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Ne vous inquiétez pas je les brifferai. Je les connais : ils sont pénibles mais ils savent aussi être compréhensifs. Vous voulez des spaghettis à la carbonara plutôt que votre sauté de dinde et du riz blanc triste comme cette journée d’hiver ?
- Pourquoi pas ! «
Ils n’abordèrent plus le sujet durant sa prestation. Laurette évita de se pencher sur la poussière des étagères et du dessus du buffet du salon. Il valait mieux ne pas réveiller le monstre de l’ordre établi. Elle avait obtenu d’entrouvrir la porte de la solitude et un rai de lumière risquait d’entrer pour Noël dans la maison. Elle s’évertua à ne pas casser une dynamique qu’elle savait fragile. Georges se régala avec sa platée de spaghettis. Il en remercia la cuisinière avant qu’elle ne s’éclipse vers une autre personne ayant besoin de son aide. Il se retrouva seul avec France Inter pour accompagner les premières heures de l’après-midi. L’actualité était morose. Les supputations sur le gouvernement l’insupportait.
Avec prudence, l’octogénaire débarrassa la grande table où se réunissait la famille. Elle n’avait pas servi depuis plusieurs mois. Il étala le contenu des pochettes pour vérifier s’il était compatible avec la décoration d’un sapin. Il lut longuement les consignes pour la fabrication d’étoiles ou de pères Noël. L’instit saisit un carnet pour noter ce qui faisait défaut dans les restes des fabrications anciennes. Il sortirait exceptionnellement sa voiture pour se rendre au centre commercial et se procurer des ciseaux efficaces, de la peinture, des feutres, de la ouate, du papier Canson, des attaches parisiennes, des boules de cotillon, de l’aluminium ménager, du crépon… Autant de matériaux dont il n’avait jamais perçu l’intérêt.
La quête fut longue dans les rayons. Il n’avait pas fréquenté ce lieu depuis de longs mois. Il ne l’aimait pas car il y rencontrait toujours des personnes qui lui posait sans cesse cette question qu’il considérait comme idiote : « Bonjour Monsieur comment allez-vous ? » Une absurdité pour lui. Il ne pouvait que répondre « bien ! » alors qu’il se sentait mal. Mais aujourd’hui il passerait outre pour préparer au mieux ce qui devenait la grande aventure de Noël mêlant son passé au présent.
(à suivre)
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Bonjour,
comme vous avez été très sages, pas comme moi, je vous envoie une petite compilation.
https://www.youtube.com/watch?v=dJWiaeQTUzA
bon repas de Noël entouré des gens que vous aimez.
Je garde une pensée pour ceux qui seront seuls oubliés devant la télé et aussi à ceux qui n’ont ni foyer ni nourriture… Toute ma compassion va vers eux, faute de mieux.
Je vous souhaite « Joyeux Noël » pour les uns, « Heureux Solstice « pour les autres.
Bonjour papa Noël, ça me change de t’écrire un peu. Habitant à Bègles autrefois, j’écrivais toujours au maire Noël qui, lui, n’avait pas une grande barbe blanche mais une grosse moustache noire. Et j’ai appris que vous aviez été maire de Créon. Il parait même qu’on mec rond comme un boulon (ou boulard) vous avait pressenti pour devenir premier ministre. Dommage!
C’eût été cadeaux pour tout le monde, pas vrai?
Bonne fêtes à tou(te)s.
Demain, comme le maire Noël, je soufflerai 76 bougies.