Plonger dans le film « Monsieur Aznavour » c’est revenir essentiellement sur ces années cinquante du XX° siècle durant lesquelles il fallait oublier la période noire de l’Occupation pour se construire un avenir. Une immersion dans un monde où la volonté et l’adaptation jouèrent un rôle essentiel pour la réussite des enfants d’immigrés ayant traversé la Guerre de la manière la plus discrète possible. Charles Aznavourian fut l’un d’entre eux. Mehdi Idir et Grand Corps Malade ont donc reconstitué le parcours d’un gamin arménien arrivé aux sommets de la chanson mondiale par des sentiers pentus dans lesquels il était le seul à croire.
Découpé en chapitres le biopic « Monsieur Aznavour » ne prétend pas à l’exhaustivité mais restitue une idée fixe omniprésente du début à la fin : être un jour en haut seul d’une l’affiche! Jamais elle ne disparaîtra. Elle ne cessera de grandir au fil des ans au point de rendre dans le film le personnage parfois obsessionnel. Il aura besoin de quelques « hasards » heureux (l’histoire du faux-pas de RTL en est un) pour accéder avec son comparse Pierre Roche à quelques scènes parisiennes de second plan. Le duo va permettre à Aznavourian de devenir Aznavour sans satisfaire celui qui ne se contente pas de cette situation. Il lui faudra la rencontre avec Édith Piaf pour que l’élan soit donné. Il prend alors de l’épaisseur et progresse au contact de celle qui a une renommée internationale et qui le protège.
Tahar Rahim s’installe progressivement dans la peau de ce « petit » Charles dont il a méticuleusement décortiqué les attitudes et les intonations de voix. Un travail d’acteur remarquable et crédible car il ne cherche la perfection de l’imitation. Il respire Aznavour, il vit Aznavour et donne consistance à cette ambition qui anime constamment son personnage malgré le racisme, les moqueries, les ratés ou les bides. Édith Piaf le prendra « sous son aile de moineau » et le poussera à assumer des ruptures avec sa première femme, avec Roche mais lui déconseillera de se lancer comme interprète. il ne l’écoutera que sur les deux premiers points. Leurs relations dans le film manquent du relief qu’elles ont probablement eues et la môme interprétée par Marie-Julie Baup a trop pour moi celle d’une image glacéee d’Épinal. On se trouve un peu trop dans la romance et pas assez dans la réalité.
Idir et Grand Corps Malade ont bâti leur scénario sur le lien entre les événements, les rencontres, les moments clés que fera Aznavour et les chansons qu’il écrira ou mettra en musique. Toutes deviendront des succès parfois planétaires car elles ont su parler aux gens qui les écoutaient. On oubliera le voile sur la voix pour aimer la simplicité de ses textes, leur poésie simple qui coule de couplets en couplets. Avec « je me voyais déjà… » il ouvre une série impressionnante de tubes ayant résisté aux modes des années soixante et suivantes. Stakhanoviste de l’écriture il produit nuit et jour. Il accumule le travail en jetant sur un carnet des mots dont il tirera un jour un texte entrainant ou nostalgique.
Celui qui est devenu le « grand » Charles n’a dans cette période que deux amours : la scène, sa famille et pas grand-chose d’autre. Ses liens avec sa sœur Aïda protectrice, confidente, réconfortante ou critique sont les seuls qui reposent vraiment sur une certaine tendresse. Pour le reste après avoir arpenté les sentiers, il file solitaire et arc-bouté sur la certitude qu’il finira par réussir sur la route du succès sans trop se soucier de savoir qui le suit. Il conquiert du monde et le monde. Il enregistre à tout-va et prend une revanche sur la frustration de ses débuts. Sur le plan financier, sur ses relations avec les critiques, sur ses exigences artistiques, sur ses liaisons intimes Aznavour rattrape ce qu’il considère comme du temps perdu. L’épisode sur le cachet de Franck Sinatra est significatif de cette soif de reconnaissance… et de son besoin de traduire financièrement sa réussite.
Tout était pourtant contre lui : une voix « voilée » ou « cassée » en raison d’une corde vocale paralysée, une présence physique maigrichonne, un manque de moyens financiers et le film démontre le miracle qu’a représenté sa carrière. Elle n’a tenue qu’à un fil, qu’à des mots, des paris osés, et surtout à une volonté de fer ayant détruit tous les obstacles. Jusqu’à la fin de sa vie (98 ans) celui qui se revendiquait comme Franco-arménien n’a jamais levé le pied pour justifier la dernier couplet de la chanson marquante de son répertoire : « (…) On ne m’a jamais accordé ma chance/ D’autres ont réussi avec peu de voix et beaucoup d’argent : Moi j’étais trop pur ou trop en avance : Mais un jour viendra je leur montrerai que j’ai du talent »
Si vous êtes fan d’Aznavour vous ressortirai ravi de deux heures de reconstitution partielle de son ascension car le défilé de ses meilleures chansons, parfaitement intégrées au scénario, vous enchantera. Tahar Rahim les interprète avec soin et respect. Pour ma part j’ai été ému par cette quête de réussite d’un enfant d’immigré. Seul contre tous. Seul à croire en lui. seul à s’accrocher à l’envie du meilleur. Seuls ceux qui ont vécu cette obsession de ce que représente la réussite après des années d’espoir comprendront ce que ressent le fils de Micha et Knar Aznavourian. A plusieurs reprises est répétée dans les dialogues une phrase initiale d son père : « Regarde d’où tu viens et où tu en es aujourd’hui ». Elle reflète l’histoire d’une vie. Elle a souvent porté ma vie.
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Je « m’souviens » déjà d’une critique du canard local à propos de Charles Aznavour, qui à ses débuts avait donné un tour de chant à Angoulême : le journaliste conseillait à l’aspirant chanteur de changer de métier car pour lui un chanteur sans voix n’avait aucun avenir (moins gentiment qu’ Antoine qui donnait à Yvette Horner le conseil de jouer de la clarinette …).
Comme j’ai apprécié que la suite ait contredit ce gratte papier qui avait eu ait eu si peu de flair et surtout d’empathie.
« Y’a tant d’amour, de souvenirs/Autour de toi Gian Maria ».
Signé: Giorgio, le fils maudit.
« Y’a tant d’amour, de souvenirs/Autour de toi Gian Maria ».
Signé: Giorgio, le fils maudit.
Comme quoi, on peut être grand même en étant petit…
J’ai moins apprécié ses chansons contribuant au réchauffement climatique comme » la béhéme et
» emmenez moi au bout de la terre « .
Je conviens que l’ époque était cependant bien différente.
Les temps étaient dur pour les hommes, oh , comme ils disent et tout le monde ne peut pas être
» en haut de l’affiche » non plus .
Cordialement