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La halte « coquillettes » du cycliste au long cours allemand

Il arrive lentement sur un vélo chargé comme un âne dans le Rif Marocain. Des sacoches étanches de chaque coté de la roue avant. Des rouleaux enveloppés dans de la toile étanchéifiée à l’arrière de sa selle et deux autres grosses « poches » cirées d’un rouge vif. Il pose un pied à terre manquant de perdre l’équilibre sous le poids de son chargement. Les premières gouttes de pluie tombent sut la paisible surface de la Mayenne. Il cherche un abri sous une tonnelle de vigne vierge réservée aux voyageurs au long cours souhaitant une étape réparatrice. Son principal souci réside dans l’équilibre de sa monture rétive à une installation contre un mur végétal instable. Frank se pose quelques minutes sur les chemins qu’il a choisis de parcourir pour des vacances solitaires.

« Je suis allemand m’explique-t-il dans un Français légèrement hésitant mais parfaitement compréhensif. Je viens de Mannheim. Je suis descendu jusqu’à Bordeaux avec mon équipement ce qui n’est pas très facile. Une belle ville. J’ai ensuite pris la route vers l’Océan, j’ai remonté la vélodyssée jusqu’à La Rochelle. » Frank, professeur de mathématiques a décidé de traverser la France en biais lors de ses vacances. « Je vais terminer à Lisieux. Je reprendrai le TGV et je rentrerai via Paris chez moi à Heildelberg, la ville historique de l’autre coté du R hin par rapport à Mannheim. » Pendant notre entretien il touille une casserole sur un bec de gaz. Des coquillettes déjà cuites lui serviront de repas en cette fin d’après-midi.

« Je mange simplement explique ce cycliste amoureux des vois vertes hexagonales. Il avale à grandes cuillerées une mixture peu appétissante paraissant satisfaire sa grande carcasse absolument pas marquée par les efforts. « Je rendre à Angers d’abord. Ce soir j’espère coucher sous la tente au camping de Mayenne. Ensuite je remonterai vers Laval avant de gagner le terminus de mon périple. Actuellement je suis à plus de 1200 kilomètres. J’ai traversé le marais poitevin puis une partie de la Vendée par des petites routes. Une fois ils annonçaient 44 kilomètres mais à l’arrivée j’ai parcouru plus de soixante cinq tellement ça tournait. Que des virages ! » Il avale inlassablement ses coquillettes figées dans le fromage qu’il arrose d’un jus bizarre sortant d’un bidon de cycliste usagé.

« La rentrée pour moi dans le land où je vis est le 9 septembre. J’exerce dans ce qui correspond au lycée avec trois niveaux dont celui du bac. Je suis également dépanneur auprès de mes collègues professeurs de mathématiques qui connaissent des difficultés avec leur classe ou dans l’enseignement. Ils m’appellent et je vais les aider le temps qu’il faut ! » Un système d’entraide dont il a la charge compte tenu de son expérience. « J’ai 57 ans et je n’ai pas encore atteint l’âge de la retraite de 67 ans. » Devant mon étonnement il me fait part avec le sourire du sien sur le débat qui agite la France sur ce sujet. « Regardez je suis en forme ! Je reprends mon service sans problème. » Son large sourire en dit plus long que des mots.

Il n’a pas suivi l’actualité dans son pays. Son périple au long cours l’a éloigné de toutes les turbulences du monde. Frank ignore tout de l’attenta de Solingen dont je lui parle et il ne s’est pas intéressé aux futures élections régionales qui se profilent dans les landers de l’ex Allemagne de l’Est. « Le climat y est détestable. Je pense qu’ils nous en veulent d’avoir un niveau de vie un peu supérieur au leur. Ils n’ont pas eu dans leur système éducatif pour certaines générations la vision historique du régime nazi et de Hitler. Pour eux voter pour l’AFD c’est un acte sans conséquences. Je le regrette mais pour moi c’est surtout une question d’éducation. » Les dernières coquillettes sont avalées. Il n’a plus le temps de discuter.

Frank Zeilfelder replie les quelques objets qu’il avait sortis de ses sacs bourrés jusqu’à exploser. En quelques minutes nous sommes en mesure de partager des idées et des constats. Un vrai plaisir dû simplement au hasard et surtout à l’envie de découvrir l’autre. « Je n’ai pas eu beaucoup de moments de ce genre. Personne ne parle sur les routes et dans les haltes. Chacun s’enferme dans les difficultés de son parcours et de son entreprise. J’ai roulé des jours dans le silence ou les échanges minimum. » En quelques minutes il reprend son périple. Je lui ai probablement fait perdre quelques minutes mais je crois qu’il lui a permis d’oublier son statut d’avaleur de kilomètres.

Il a bien des difficultés à remonter sur ce vélo chargé au maximum. L’équilibre avant le coup de pédale initial n’est guère rassurant. Il titube mais retrouve ses repères. Il ne peut pas lâcher un main pour laisser un brin d’adieu. Nous avons échangé nos cartes de visite, un selfie et nous nous séparons avec la promesse d’un contact dès que nous serons revenus dans nos pénates. Pour lui ce sera plus difficile que pour moi.

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Cette publication a un commentaire

  1. Frank Zeilfelder

    Merci beaucoup pour le bon compte rendu de notre agréable rencontre. Juste une petite chose : j’ai 57 ans en ce moment et ma retraite normale serait alors à 67 ans…
    Frank

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