Les incorruptibles de la 7° Brigade mobile de Police ainsi que le juge Legrand étaient persuadés de tenir en cette fin mai 1912 leur meilleure piste pouvant les conduire aux coupables de l’assassinat de Pierre Teillet. Les dépositions contradictoires et souvent imprécises du trio constitué par Masset et sa maîtresse la veuve Dufau auquel s’était adjoint Rivière, constituèrent un imbroglio impossible à démêler. A notre époque, le juge d’instruction aurait pu parler d’indices concordants.
Cuisinés durant de longues heures par les inspecteurs ayant suivi le dossier, ils ne craquèrent jamais, s’accusant mutuellement de ne pas dire la vérité. A regret mais dans le respect des procédures tous trois furent libérés et reprirent leurs vies chaotiques. Créon commençait à oublier sa colère initiale d’autant que l’actualité locale avait été agitée. Les élections municipales étaient passées par là.
Le scrutin uninominal avait permis au Docteur Marius Fauché de se faire élire au second tour de scrutin. Il rejoignait la liste présentée par Bernard David qui avait ravi la Mairie au Docteur Émile Saligue en 1908. Nouveau médecin établi en ville il jouera un rôle essentiel dans la vie sociale jusqu’en 1942 accédant aux fonctions de maire le 3 mai 1925 dans des conditions rocambolesques. La nouvelle mairie et son musée avaient été inaugurés le 18 février 1909 après de multiples polémiques: le drame était estompé.
Les Brigades du Tigre atteignaient l’apogée de leur célébrité puisque le 29 avril elles avaient définitivement clos une partie l’épisode sanglant de la bande à Bonnot (3). L’affaire de Créon ne pesait pas lourd face à un tel événement. La Grande guerre ensevelit l’enquête. La famille Teillet a déménagé. L’assassinat a été oublié. La recherche de celle ou celui qui l’aurait commis aussi.
La pose d’une pierre mémoire en bordure de la route au lieu-dit Bel-Air à l’endroit précis où le commissionnaire avait été abattu avait rassemblé quelques amis autour de la veuve et de son fils, les autres habitués du trajet et bien évidemment, les maires des communes. Une stèle modeste en pierre de Frontenac portant simplement le nom de la victime avec une croix, maintiendrait sa présence (4) dans la discrétion et la durée. La famille et les autorités s’étaient habitués à ces longs mois de silence autour de la mort du quadragénaire. Il ne restait que quelques semaines avant que la prescription tombe et que la clôture définitive du dossier soit prononcée.
« L’affaire dormait dans les cartons explique le journaliste qui annonce le 15 septembre 1921, l’information selon laquelle dernièrement, le juge Lanoire aurait reçu une autre lettre anonyme (c’est une habitude) disant que l’auteur de ce crime était parti pour… l’Amérique (sic). » L’auteur de la missive expliquait qu’il avait été témoin par hasard du meurtre mais comme il ne donnait pas son nom, il appartenait au nouveau juge d’instruction d’ouvrir… un complément d’enquête. Un rebondissement inimaginable. Il fut donc décidé le retour à Créon des enquêteurs pour non pas retrouver l’assassin mais plutôt l’auteur du courrier. Ce fut assez facile. Le sous-chef de la Brigade fut délégué su place.
L’Américain existait bel et bien. Marié à une Française dont il avait adopté les cinq enfants, ce soldat des Rangers vivait depuis la fin de la Grande Guerre dans le Créonnais. L’éternelle rumeur qui circulait sous les arcades de la Place de la Prévôté et les mercredis jour de marché, vint aux oreilles très affûtées de la Brigade du Tigre : le bel Américain aurait été marié aux États-Unis et serait déjà le père de plusieurs gamins. Conduit manu militari dans le cabinet de Lanoire il avança une version pour le moins surprenante : « je pensais que ma première femme était morte. D’ailleurs, Monsieur le Juge je possède une lettre signée Hamilton qui le prouve. Elle me donne tous les détails sur le décès de mon ex épouse. » Le juge diligenta une commission rogatoire aux USA qui fut négative car on ne retrouva pas de trace du dénommé Hamilton.
Pire l’expertise conduite par Jean-Auguste Brutails éminent conservateur des Archives de la Gironde et grand spécialiste de graphologie fut sans appel. « Je suis formel l’auteur du courrier d’Amérique et de celui qui dénonce un assassin américain sont de la même personne qui n’est autre que ce monsieur ! » affirma-t-il devant le magistrat qui l’avant mandaté. La supercherie était trop évidente. Le soldat bigame fut illico expédié devant la Cour d’Assises. Aucun rapport avec le crime de Sadirac. Le criminel n’était pas reparti outre-Atlantique puisqu’il n’avait pas existé.
Le sous-chef de la Police mobile avait cependant relancé l’enquête et effectua encore des dizaines d’auditions. Il eut le sentiment d’approcher de la vérité mais au dernier moment « les précisions nécessaires furent rétractées ou refusées, les personnes aux dépositions desquelles la plus grande importance était attachée s’enfermèrent dans un silence obstiné ». L’omerta s’était installée sur Créon. On n’avancerait plus.
Le juge Lanoire clôtura donc, faute de preuves, le supplément d’information ce qui eut pour conséquence de boucler définitivement l’affaire de l’assassinat de Pierre Teillet le 24 juin 1922. Le « cold-case » créonnais restait toujours un mystère. La stèle dédiée au commissionnaire devint à Sadirac dans le récit de tous les jours durant un siècle, « la pierre du crime ». Elle se trouve au milieu de la végétation, couverte de lierre et de mousse verte. Oubliée et ignorée. Qui connaît sa signification ?
(3) La bande à Bonnot était un groupe anarchiste criminel français qui opéra en France et en Belgique à la fin de la Belle Époque, de 1911 à 1912. Le 24 avril 1912, le commissaire Louis Jouin a une piste. Il perquisitionne un appartement d’Ivry-sur-Seine où se cacherait Bonnot. Surpris, le criminel abat le commissaire, blesse un policier et s’enfuit. Mais les forces de l’ordre retrouvent sa trace à Choisy-le-Roi. Le 28 avril 1912, plusieurs centaines d’hommes assiègent la maison dans laquelle s’est retranché le gangster. Des milliers de spectateurs sont présents pendant le siège. Chez les forces de l’ordre, on fait appel à la Garde Républicaine mais aussi à un régiment de zouaves qui est venu avec une mitrailleuse. Les policiers sont dirigés par le préfet Louis Lépine, à l’origine du concours éponyme. Ils finissent par abattre Bonnot, avant de s’attaquer au reste des membres de sa bande qui seront tués le 14 et le 15 mai.
(4) Elle se situe sur le talus droit de la RD 671 en venant de Bordeaux à une cinquantaine de mètres avant le Camping de Bel-Air
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Rocambolesque affaire, qui nous a tenu en haleine le long de 7 épisodes bien menés, « Cas froid », surgelé même, et nous restons sur notre faim.
Ruth Rendell, mon auteure préférée de romans policiers en eut tiré partie, et gageons que le commissaire Wexford eut trouvé le coupable. Mais ça, c’est dans les livres …
Le feuilleton de l ‘été par JM nous a tenu en haleine pendant une semaine, c’est super.
En as-tu d’autre?
Seul colombo aurait pu résoudre ce mystère , mais il est arrivé trop tard suite a une panne , erreur 404 , dommage .
pourtant il y avait un ou plusieurs responsables mais finalement pas de coupables , comme des années plus tard dans une autre célèbre affaire .
En tout état de cause quand j’ emprunterais la route de Créon ,en passant prés de la stèle, j’ aurais une pensée pour cette triste histoire .
Cordialement.
Il faut aussi reconnaître que pour les proches ce fut une bien pénible et tragique affaire.’
Bonjour !
En effet, triste affaire irrésolue. Reconnaissons que la victime n’a pas coopérée: pas de portable qui borne à tous bouts de champ, pas de photos ou vidéos envoyées à BFMTV par des reporters « bénévoles », pas de relevés d’ADN, pas de drone ou vue satellitaire. A t’on su quelle marque de yaourt il préférait ? Non rien, rien ! !
Excusez, je coupe: il faut que j’aille déclarer que j’ai besoin de pisser …et ça presse ! ! !
Amicalement