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Ici ou ailleurs (40) : Fernando et… Annabella

Fernando Chalana a abandonné la vaste pelouse verte de la vie. Un décès surprenant car il avait encore de nombreuses années envisageables de promenade avec Annabella celle qui ne lui a jamais lâché la main. Au cœur de l’été portugais celui qui était arrivé comme le « Messi » attendu par les girondins de Bordeaux n’a pas réussi à dribbler le destin grâce à son pied gauche magique. En juillet et août 1984 celui qui était venu pour plus de 1,2 milliard de Francs rejoindre le trio bien installé composé d’Alain Giresse, Jean Tigana et René Girard , a beaucoup occupé mon stage estival au service des sports de Sud-Ouest. Avant même son recrutement le parcours était rocambolesque.

Le samedi 23 juin, la ligue d’Aquitaine de football tient son assemblée générale dans la grande salle de sports du parc Palmer à Cenon. Bien que le signes d’un zizanie interne soient bien apparents, l’essentiel des délégués, dans une ambiance étouffante, attendent avec impatience, le discours de l’invité d’honneur descendu de sa rutilante berline. Au faîte de sa gloire, Claude Bez fait une apparition digne d’une vedette du show-biz. Il vient assurer le monde du football amateur de son soutien total et leur présenter la nouvelle saison. C’est l’extase dans la salle quand, dans un style présidentiel, il déclara que son objectif n’était autre que le titre et la Coupe d’Europe des clubs ! Tonnerre d’applaudissements.

« Je suis désolé de vous quitter très vite explique l’homme fort des Girondins mais je pars pour Marseille, vous savez la ville où je n’ai que des amis, pour soutenir l’équipe de France contre le Portugal. Je pense que demain vous aurez une belle surprise ! » Il n’en dira pas davantage mais suffisamment pour que le « journaliste intermittent » que j’étais soit intrigué. Quelle surprise ? Pour approcher le moustachu à la mèche rebelle je savais par avance que ce serait pour le moins délicat. Il me fallait tenter ma chance.

Escorté par les officiels et son garde du corps attitré il sortit sous l’ovation des représentants des clubs. En attendant à l’extérieur j’osais m’approcher pour lui poser une question sur cette fameuse surprise. « Rien à vous dire ! Désolé je suis pressé car j’ai un jet privé qui m’attend à Mérignac. Vous verrez bien.. ! » Il avait ses canaux attitrés au journal et ne me connaissant pas il était dans une attitude contradictoire mélangeant la fanfaronnade et la méfiance. « Un nouveau joueur lâcha-t-il ! » avant de s’engouffrer dans sa monumentale automobile.

En fait Claude Bez n’allait pas à Marseille pour les Bleus mais pour traiter le transfert de Fernando Chalana  comme me le souffla le Président de la Ligue! Le rush exceptionnel de Tigana à la 119° minute sur le coté droit des buts lusitaniens offrit à Platini le but de la qualification (3-2) pour la finale. Dès la fin du match « El Presidente » avait rendez-vous avec une certaine Annabella. La discussion fut rapide et sans trop de salamalecs. Didier Couécou l’accompagnait car il était un ardent partisan de ce recrutement (1). L’accord verbal fut scellé et le petit génie de Benfica et Annabella s’engagea à ce que son mari rejoigne Bordeaux après une période de repos pour signer le contrat qu’elle aurait soigneusement épluché.

Fernando avait été incertain jusqu’au dernier moment pour la demi-finale en raison d’une douleur au quadriceps de la cuisse gauche. Il n’aurait en fait pas dû jouer ce soir-là. Des mois plus tard on apprendra qu’il avait évolué avec une infiltration.  Claude Bez tenait sa recrue de prestige avec un transfert record et un salaire au plus haut niveau. Fernando n’avait eu que dix jours de repos et pas de quoi cicatriser sa blessure. Il ne savait pas encore que sa présence serait épisodique (20 matches en 3 saisons) et seulement marqué par ce fameux tir au but marqué du pied droit (il craignait pour sa cuisse gauche) à Dnipropetrovsk après un voyage « légendaire ».

En septembre 1984 alors que Chalana n’avait évolué qu’à deux reprises sous le maillot au scapulaire (110 minutes dont 65 contre Laval et 45 contre Libourne) Sud-Ouest Dimanche me demanda d’obtenir un entretien avec le « blessé » avant un certain Bordeaux-Bilbao en Coupe d’Europe. Une enquête rapide me permit de savoir que tous les matins Annabella le conduisait chez Dominique Delsol le kiné des Girondins. Je décidais de l’attendre dès le mardi. « Fernando vous parlera mais quand ce sera utile. Il en gros sur le cœur» m’expliqua son épouse. Il avait été conspué au Parc Lescure quand il était allé assister à une rencontre de championnat. Le contexte était tendu.

Je revins le lendemain. « Pas aujourd’hui ! Mais je vous promets il vous parlera ! ». Le jeudi et le vendredi même réponse. Le temps pressait. Elle me donna rendez-vous le lendemain à 16 heures à son domicile. Avec Michel André le photographe nous fîmes présent à l’heure dite pour rencontrer portes closes. Je décidais d’attendre… car le trio (Annabella avait un fils) finirait bien par rentrer. Une heure plus tard ils arrivèrent très étonnés de notre présence. La journaliste de A’Bola lâcha «  Ah ! Vous êtes là ! Attendez dehors Fernando va se doucher… Ah ! J’avais oublié : l’interview c’est 5 000 francs. » Devant mes protestations et mon refus catégorique elle finit par comprendre que ce ne serait guère son intérêt de jouer à ce jeu-là (2).

«Des yeux de cocker triste, une longue tignasse bouclée et des bacchantes à la Brassens » ai-je écrit en parlant de celui qui vint nous rejoindre (3). Il ne parlait pas un mot de français contrairement à son épouse. A chacune question elle traduisait pour la forme. Du regard il interrogeait Annabella qui à partir de quelques mots prononcés par son mari répondait à sa place. La blessure plus durable que prévu (4), la colère contre les supporteurs, la promesse d’être rétabli pour Bilbao-Bordeaux, les déplacements avec l’équipe refusés pour elle, un hommage appuyé à Tigana : Annabella avait réponse à tout. Un souvenir impérissable de celui qui ne retrouvera jamais ses moyens physiques car il avait une déchirure beaucoup plus grave que prévu. Avec sa gueule de bon perdu au milieu des brutes et des truands il était émouvant…et vraiment je ne l’oublierai jamais.

  1. « Au club, on a été trois ou quatre à décider de le recruter. Sur le moment, on était content d’avoir décroché la timbale. Mais ça a été un raté dès le début. Il est resté trois ans à Bordeaux, c’était trois ans de trop. Un fiasco de première. » a déclaré Couécou à SO Foot

  2. J’avais demandé à Michel André de faire une photo avec eux pendant l’interview pour bien prouver qu’ils m’avaient parlé…C’est celle qui est en bandeau

  3. À tel point que Chalana ne disputera son premier match en Division 1 qu’en février 1985, au Vélodrome. Un mois avant le fameux quart de finale retour de Coupe d’Europe des clubs champions, qui verra les Girondins arracher une qualification épique face à Dnipropetrovsk.

  4. L’article intitulé « Un baiser un geste de la main » est paru le 9 septembre 1984 dans SOD

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Cet article a 4 commentaires

  1. Gilles Jeanneau

    Pardonne-moi Jean-Marie, je ne me souviens pas de ton article sur SOD mais je me souviens de Chalana…une arlésienne effectivement.
    Avec le recul, il avait beaucoup de circonstances atténuantes…
    Merci pour ce témoignage.

  2. christian grené

    Chalana? Le prototype même du système Bez, adoubé alors par la Mairie de Bordeaux, qui avait déjà joué de la grosse caisse pour faire venir Roberto Benzi au Grand Théâtre.

  3. Alain Le Marc

    Michel André correspondant de « La France » (Sud-Ouest, seule la une était différente) à Créon ? Je vois encore son local dans un angle de rue.

    1. Non pas du tout… il a fini chef du service photos de Sud-Ouest… celui dont tu parles était M. Lacroix

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