A la fin de l’année 1911 la 7° Brigade du Tigre chère à Clémenceau commençait à raréfier ses visites sur Créon afin d’éclaircir l’assassinat du commissionnaire Pierre Teillet. Il faut bien avouer que les dizaines de pistes ouvertes par les inspecteurs du Commissaire Tuaillon s’étaient refermées les unes après les autres. Les preuves. Il manquait à chaque fois des preuves. Cette fois les témoignages de deux personnes reconnues comme digne de foi par le magistrat instructeur Lefranc avaient ouvert une hypothèse intéressante. Le crime aurait pu être commis par un assassin grimé en femme. Le Juge de Paix créonnais Lafeuille fut chargé de vérifier si ce scénario avait une possible crédibilité. Il s’exécuta avec motivation et application.
A l’instar du conte de Cendrillon il réquisitionna chez la marchande de chaussures de la Place de la Prévôté des bottes réservée à la gente féminine ayant des pointures compatibles avec les traces relevées au bord de la route où le crime avait été commis. Les débuts de la police scientifique permettaient ce type d’investigations puisque les moindres indices avaient été soigneusement répertoriés et éventuellement moulés. Lafeuille partit avec son greffier et un inspecteur venu de Bordeaux vérifier si les hommes proches de la scène du crime (deux maisons à bel Air) où fortement soupçonnés au cours des auditions antérieures vivaient sur « un petit pied ». L’échec en ces jours précédant Noël furent patents. Il rendit compte.
Quelques semaines auparavant une attaque similaire à Montussan sur le commissionnaire effectuant le trajet Bordeaux Castillon avait ouvert la supposition d’un criminel « spécialisé ». Un seul élément coïncidait : le poids et la taille des chevrotines enlevées dans un troc d’arbre. Le brave Duverdier avait en effet échappé au triste sort de son collège car, assis sur sa charrette il avait fouetté son attelage et s’était enfui aussi vite que possible. Bien évidemment il n’avait rien vu. L’inspecteur Dufranc et le juge d’instruction Lefranc n’avaient rien trouvé leur permettant de lier les deux attaques.
Les fêtes de fin d’année de 2011 avec la traditionnelle grande foire créonnaise du 24 décembre étouffèrent le ressentiment collectif. Le malheureux Teillet n’entrait plus dans les préoccupations de la population ayant oublié sa peur et étant de plus en plus persuadée que l’auteur de ce crime était venu d’ailleurs.
La crise politique liée à la guerre du Maroc coûta son poste de Président du Conseil à Joseph Caillaux suspecté d’être trop conciliant avec l’Allemagne. Son remplacement par un Raymond Poincaré déjà en campagne présidentielle ne bouleversa pas le contexte paisible de la bastide. Il en fut de même avec les attaques sanglantes de la bande à Bonneau à laquelle les Brigades du Tigre allaient s’attaquer. Le crime de Bel Air fut oublié. Ou presque.
Deux individus braconniers invétérés et voleurs occasionnels furent en effet arrêtés courant mai 1912. Ils avaient commis un vol conséquent auxquels il fallait ajouter de multiples rapines. Les nommés Rivière et Masset furent entendus sur cette affaire par le juge Granger Joly de Boissel. « Au cours de l’instruction menée contre eux signale le journal ce ne fut qu’une (nouvelle) rumeur dans le canton de Créon : les deux malfaiteurs ne pouvaient n’être pas étrangers à l’assassinat du commissionnaire créonnais ». La presse obligea donc le juge Lefranc à rouvrir son dossier depuis six mois était à l’arrêt.
Les dépositions qu’il recueillit étaient d’une extrême gravité. On y retrouvait une femme Duclos, maîtresse de Masset et détenue avec ce dernier pour recel. Elle avoua que « son amant n’avait pas passé la nuit du 25 septembre (sic) avec elle le jour de l’assassinat. « Il est sorti à 1à heures du soir précisa-t-elle et n’est revenu que vers 3 heures du matin et à peine avait-il pris un léger repas qu’il repartit à la chasse. » La vérification de la date fut effectuée et confirmée puisque le lendemain matin Mme Duclos était sur le registre des vendangeurs dans une propriété de Créon.
Masset interrogé fut selon le magistrat quelque peu » démonté ». Il se défendit en accusant : « cette nuit-là j’ai couché chez moi et pas chez ma maîtresse et ne suis sorti que le matin et fort tard pour la chasse. Rivière lui a couché dans une cabane appartenant au Maire de Créon ! » Un sous-entendu valant accusation.
Un imbroglio débutait puisque Rivière se justifia en clamant que pour sa part « qu’ il avait dormi…chez Masset et que la femme Duclos était à Bordeaux ! » Version contre dite par un « débitant de boissons » qui affirma « avoir servi celui qui avait un casier judiciaire bien rempli vers 5 heures du matin. » En plus le duo avait des fusils à baguette dont l’un prêté à Rivière par le facteur de Créon. Or c’est ce type d’arme qui avait servi à abattre Pierre Teillet. Tout repartait… Mais il restait à trouver des preuves absolues. Ce fut impossible car la balistique et les empreintes manquaient. Quand à la sacoche elle restait introuvable ! Le trio resta sur ses positions. Et le juge remit le dossier un peu plus lourd à sa place. D’autres soucis se préparaient…
(à suivre)
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L’art de nous tenir en haleine, comme avec les bons vieux feuilletons de jadis !
Bonsoir J.J. Ce matin, je me suis fait la même réflexion que toi. Un feuilleton comme dans ces bons vieux journaux d’autrefois et où se sont révélés de très nombreux écrivains. A domani Jean-Marie!
Impatiente de lire la suite!!