Les vendanges en créonnais ont été inhabituelles. Le jour où le commissionnaire Pierre Teillet habitué à transporter vers Bordeaux les fûts de vin blanc sec de diverses tailles pour les cafés, les restaurants, les négociants a été assassiné a perturber cette période joyeuse des récoltes. Cette année 1911 restera comme exceptionnelle même si le repère ne sera pas lié à une production de qualité. En effet si les vins sont généralement bons, malgré les multiples menaces de pourriture, de chaleur et de mauvais temps qui ont pesé sur les vignobles le millésime restera marqué par cet odieux fait divers. En plus une loi très attendue vient d’entrer en fonction : la production du Bordeaux est pour la première fois limitée au seul département de la Gironde, car auparavant tous les vin du Sud-Ouest étaient souvent vendus sous ce nom et même les vins coupés avec ceux de la vallée du Rhône, d’Algérie, d’Espagne et de… Sicile.
Depuis le dimanche 24 septembre on ne parle guère de ces nouveautés mais de l’enquête menée par la 7° Brigade mobile dite du Tigre dépêchée sur Créon pour arrêter le coupable d’un crime ayany défrayé la chronique nationale. Le temps a passé et début décembre au grand désespoir de la populations les inspecteurs à la belle moustache et aux méthodes modernes d’investigation ont disparu de la vie quotidienne. Le meurtrier court toujours. Les magistrats ont suspendu l’instruction attendant un fait nouveau. La vindicte populaire reste vive.
« On aurait laissé l’enquête aux gendarmes ce serait réglé explique à un journaliste de passage Albert le charron. Ils ont voulu mettre les grands moyens et ça n’a rien donné. C’est normal. A Créon on a l’habitude de laver notre linge sale entre nous. » Et c’est vrai. Le Juge de Paix tous les mercredis matins siège au premier étage de l’Hôtel de ville flambant neuf et règle les différents directement et sans tapage médiatique. Le magistrat Lapierre se retrouve donc maintenant avec cette situation tendue sur les bras. Il compte sur une indiscrétion, une confidence d’après descente de chopines ou sur une belle dénonciation pour relancer la quête du meurtrier.
Les fêtes de fin d’année approchent lorsque parvient sur le bureau du magistrat Lefranc deux dépositions recueillies par son collègue de Créon. Deux habitants dignes de confiance domiciliés dans la commune ont en effet été raconter à la Brigade de gendarmerie une drôle d’histoire. Ils auraient vu dans la nuit du 23 au 24 septembre « une femme rentrer chez elle vers une heure trente du matin ! » La chose leur parut normale et ils n’y virent aucune raison d’alerter la Brigade du Tigre. Au hasard d’une conversation avec les représentants de la maréchaussée locale ils apprirent pourtant que la dame avait déclaré lors des enquêtes de proximité « qu’elle se trouvait chez elle à partir de sept heures du soir et qu’elle dormait d’un paisible sommeil à une heure et demie ». Étrange.
Lefranc a donc immédiatement décidé de se déplacer sur Créon avec les fins limiers de la Brigade pour ce que l’on appelait « un transport de justice ». La ville bruissait de cette nouvelle et le retour des enquêteurs relança les rumeurs les plus excentriques. Le 17 décembre 1911 à la fin d’une très longue journée d’interrogatoires « approfondis » le magistrat instructeur reconnut qu’il « avait acquis la conviction que cette femme n’avait pas menti et que ce n’était pas elle que les hommes avaient aperçu dans la nuit ».
Il confirma en revanche que « les témoins avaient bel et bien vu la silhouette d’une femme. » Il ajouta que « leur bonne foi et leur sincérité étaient absolues. » Il n’en fallait pas plus pour qu’une nouvelle hypothèse prenne corps, celle d’un travesti criminel ! « Dans les années antérieures je vous rappelle que les frères Gazol par exemple, membre de la bande Branchery de Langon (1) s’habillaient très souvent en femme pour accomplir leurs audacieux exploits. » rappela immédiatement un reporter venu aux nouvelles. Il faisait allusion à des crimes odieux commis dans une auberge de la sous-préfecture en 1907 et 1908.
La troupe arrivée dans une automobile vrombissante repartit sans avoir éclaircit la situation. Lefranc chargea le Juge du tribunal de Paix de Créon « de continuer à prendre tous les renseignements utiles pour éclaircir cette situation ». Ce que Lapierre exécuta aussitôt. Dans la nuit du 21 au 22 décembre il réalisa une expérience intéressante. Il se plaça vers une heure trente du matin à l’endroit précis d’où les témoins prétendaient avoir aperçu une femme. « J’ai constaté écrivit-il dans son rapport qu’ils avaient bien pu voir de ce lieu quelqu’un entrer dans la dite maison ». Il rappela au magistrat que « l’on avait relevé en bordure de route, le jour où Teillet avait été assassiné, des traces laissées par des bottes chaussant des petits pieds de femme. » Il restait à savoir s’il y avait dans les parages du lieu-dit Bel Air un « homme pouvant faire l’objet de soupçons et dont les pieds seraient suffisamment petits pour chausser des bottes de femme ! »
(à suivre)
(1) Les Branchery tenanciers du Café de la Gare à Langon, les Gazol et Parot et une jeune femme furent arrêtés et jugés pour avoir assassiné un assureur réolais nommé Monget le 6 février 1907. Leur procès fut retentissant avec des milliers de personnes massées Place de la République à Bordeaux le 26 février 1908. Ils furent condamnés à la peine de mort pour Branchery et Parot. Lucia Branchery aux travaux forcés à perpétuité et Gazol à 15 ans de la même peine.
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…la production du Bordeaux est pour la première fois limitée au seul département de la Gironde, car auparavant tous les vin du Sud-Ouest étaient souvent vendus sous ce nom…
Ce qui est parfaitement légitime, mais je pense, peut être à tort, que ça a porté préjudice à la renommée des vins du Sud Ouest, comme le Madiran, Cahors, Fronton, Côtes de Duras(dont j’apprécie en ce moment un échantillon).
Il est vrai que, modeste consommateur, j’ai des critères œnologiques sommaires : un vin de qualité est une vin qui me plaît. Un peu élémentaire…