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Le jour où Francis échappe aux balles des barbares

En ce 14 août 1944, du haut de ses onze ans, Francis traîne son ennui dans la cour de la ferme de ses parents. Son père est parti comme prisonnier de guerre en Allemagne et sa mère gère la propriété avec les deux ouvriers qu’on lui a accordés au titre de l’absence de son époux. La vie s’écoule dans la morosité à Mauriac, petit village au creux de l’Entre-Deux-mers. « Nous n’avions comme occupations que le catéchisme du jeudi après-midi et les répétions pour un concert que nous préparions afin de récolte des fonds pour envoyer des colis aux prisonniers. Notre institutrice avait dû accueillir les enfants des réfugiés de l’Est. Nous étions une cinquantaine avec jusqu’à trois élèves par bureau. L’institutrice nous faisait chanter Maréchal nous voilà tous les matins avec le lever des couleurs. J’aimais pas trop ça mais nous n’avions pas le choix ! »

Les enfants ne savaient pas grand-chose de cette guerre. Les réseaux de la résistance étaient pourtant très fournis dans le Sauveterrois, terre où se déroulaient des parachutages d’armes, de munitions et de fonds en une période cruciale après le premier débarquement de Normandie. « Il était difficile pour un enfant comme moi de savoir ce qu’il se passait. C’était le silence. Personne ne parlait devant moi. J’ai pris conscience vraiment de ce qu’était la guerre le 11 juillet 1944 quand la gestapo allemande aidée par la milice de Vichy installa deux fusils mitrailleurs en haut de la cote menant à l’église. Ils attendaient sur une dénonciation précise, deux voitures. Ils firent feu sur la première et tuèrent quatre hommes tombés dans le piège (1). J’ai encore dans la mémoire le bruit saccadé de la fusillade. Les Allemands et la milice sont repartis après avoir sortis les corps de l’automobile, les avoir fouillés et abandonnés au bord de la route. Je les ai vus ensanglantés avec leurs vêtements ouverts. » Francis désormais âgé de 91 ans cligne des yeux et baisse la voix. Son souvenir est intact : « ils en avaient mis deux d’un coté de la route et deux de l’autre ». De ce premier jour où il était confronté à la mort il conserve cette seule image.

Une bonne partie du village se mit à chercher quel était le ou les traîtres. Un climat de suspicion s’installa. « Plus rien n’était comme avant explique celui qui apprit à détester les Boches. Les accusations fusèrent. Mais la vie repris son cours à la ferme durant un mois. Probablement que les Résistants maintinrent leur activité car une colonne allemande encore plus lourdement armée et plus nombreuse arriva par la route du bourg allant toujours vers l’église le 14 août au matin. Ils commencèrent à fouiller les maisons avec une liste à la main. Ce fut vite la terreur car ils devinrent de plus en plus violents en constatant qu’ils ne trouvaient pas un seul des noms recherchés, s’en prenant alors à leurs familles.

Ce jour là… il n’était plus question d’attendre. « Ma mère en quelques minutes rassembla les ouvriers et leur dit de déguerpir au plus vite pour aller se réfugier chez nos cousins de Soussac. Elle m’ordonna de partir avec eux. Nous nous sommes enfuis quelques minutes avant que les Allemands et la Milice arrivent. Ils nous ont vus. Ils ont tiré dans notre direction. La route descend et elle est tortueuse ce qui nous a sauvés. Les balles nous sont passées au-dessus de la tête car nous étions en contre-bas et nous avons très vite disparu de leur ligne de tir. Occupés à chercher les gens dont ils avaient la liste ils ne nous ont pas poursuivis. Je n’ai jamais pédalé aussi vite de ma vie ! »

Le groupe ne s’est pas rendu de suite chez les cousins. Il s’est engouffré au plus loin de la route dans un champ de maïs. Il n’est allé à la ferme que la nuit tombée en expliquant aux occupants ce qu’il s’était produit à Mauriac. Un massacre était en cours : maisons incendiées, tortures, exécutions sommaires. En quelques heures le village fut marqué pour des décennies par ces actes de barbarie. Il n’y retournera que le 16 au matin. Les Boches et leurs auxiliaires français étaient repartis dans une retraite sanglante qui les conduiront à nouveau à Blasimon, Sainte Foy la Grande, la Dordogne et la Corrèze.

« Je n’ai pas oublié l’image des corps calcinés des otages (2) qu’ils avaient exécutés dans la maison détruite de Monsieur Laurier le secrétaire de Mairie. J’ai aussi celles du couple accusé d’être le dénonciateur. Le mari et son épouse avaient été attachés à un poteau devant l’église. Ils essuyèrent insultes, crachats, coups et je revois toujours une personne âgé qui a frappé la femme au visage avec son sabot… le sang giclait. Un homme est arrivé avec une fourche pour éventrer les coupables. Le Maire d’alors a réussi à le retenir. A onze ans cet épisode a constitué un moment clé de ma vie. La haine humaine peut-être incommensurable. » Francis replonge dans son passé. Mauriac (3) se retrouve dans le silence et l’oubli.

Il range son récit dans une enveloppe bistre. Il a témoigné comme chaque année devant la stèle dressée sur les lieux des crimes. Il repart vers chez lui à pas comptés. Il remonte la côte vers l’église. Une centaine de mètres qui lui permet de ressasser ce 14 août, le jour où… la guerre est entrée dans sa tête.

(1) Il n’y a que deux noms sur la stèle : Jean Kulioski, Guy Lozano,

(2) Ils embarquent plusieurs personnes, dont l’abbé Maurice Greciet. Il est abattu, son corps carbonisé. Comme les autres : Alexandre Laurier, Pierre Habri, Jean Gastard, Joseph Costa, Antoine Simert. 

(3) Aux récentes législatives Mauriac a donné 61 % des suffrages exprimés au RN

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Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    Oradour sur Glane ? Un symbole.
    Mais il y en eut combien d’Oradour sur Glane ?
    Pour illustrer ta note N° 3 :
    La « Complainte du Partisan », une chanson assez peu connue et plus tragique, poignante, des mêmes auteurs que le Chant des Partisans ( Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Anna Marly), reprise par Bob Dylan, Joan Baez, Léonard Cohen, qui vous fait venir les larmes aux yeux, se termine ainsi :
    « Le vent passe sur les tombes
    La liberté reviendra
    On nous oubliera
    Nous rentrerons dans l’ombre »

  2. Michel Caron

    La guerre et ses crimes,toujours. Quels souvenirs pour la mémoire d’un homme!Un philosophe a dit que l’histoire apprend qu’elle n’apprend rien…le vote extrémiste récent a été accompagné,voulu et inspiré par le RN,avec ce que ce parti politique charrie de méfiance irrationnelle,de haine de l’autre,de fabrication de boucs émissaires ;et certaines alliances avec l’extrême droite ont montré que la mentalité collabo continuait de prospèrer. Pourquoi donc la presse se croit elle obligée de tendre le micro et d’offrir le cadrage de la caméra à ces gens là? Témoignage ou propagande? Faut il rappeler que le RN porte un projet de réforme constitutionnelle par référendum,empêchant le congrès constuté de nos députés et de nos sénateurs,d’être saisi,consistant à constitutionnaliser la stigmatisation et la discrimination de l’étranger,du bi national et des enfants nés de parents étrangers,tout en parlant de « priorité nationale. » Tout en pensant à Jean Zay,emprisonné par le régime de Pétain,et assassiné par des miliciens Français,je pense que l’esprit de résistance est d’actualité,avec sa nécessaire organisation et expression.
    Pour reprendre les recommandations d’un essayiste américain:
    1/ distinguons bien nos ennemis de nos adversaires
    2/ l’extrême droite est aux portes du pouvoir;lorsqu’elle y accède,elle met les médias au pas en mettant la main sur la radio et la télévision publique
    Rappel:l’extrême droite,c’est Charles Maurras,jean Marie Le Pen et son clan familial…rejoints par de nouveaux élus:la cravate et l’élection suffisent elles à rendre honorable,et socialement inoffensif?
    3/ ne supposons pas avoir tout compris du racisme et de la xénophobie dans le vote d’extrême droite:pourquoi certains musulmans et certains juifs votent ils à l’extrême droite?
    4/ Analysons ce qui constitue l’attrait important du vote d’extrême droite,que d’aucun voudrait banaliser sous la forme d’une nouvelle droite.
    5/ continuons de lutter contre le racisme,l’intolèrance,et les dérives de multiples formes de sectarisme. Continuons à dénoncer l’antisémitisme et l’islamophobie. Continuons de porter une vision de la société fondée sur nos valeurs républicaines. La Fraternité est AUSSI un principe constitutionnel.

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